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"J’ai toujours su qu’un jour, les Nationalistes prendraient le pouvoir!"


Nicole Mari le Mardi 22 Décembre 2015 à 00:15

C’est une constante, chez les leaders nationalistes : aucun n’aime à se livrer. L’homme privé s’efface, souvent, avec beaucoup de réserve et de pudeur, derrière l’élu public et se réfugie derrière un propos presque exclusivement politique. C’est particulièrement vrai avec Jean-Guy Talamoni qui bannit le « Je » au profit du « Nous » ! Agé de 55 ans, le leader indépendantiste, avocat de formation, qui vient d’être triomphalement élu premier président nationaliste de l’Assemblée de Corse, après un long parcours politique et militant de presque 40 ans, refuse de parler de destin ou de réussite personnelle et se place, uniquement, dans un parcours collectif. Il a, néanmoins, accepté, au cours d'une journée historique d’investiture, de glisser, à Corse Net Infos, quelques confidences.



La joie du leader indépendantiste, Jean-Guy Talamoni, venant d'être élu président de l'Assemblée de Corse. Photo Marcu Antone Costa.
La joie du leader indépendantiste, Jean-Guy Talamoni, venant d'être élu président de l'Assemblée de Corse. Photo Marcu Antone Costa.
- Comment êtes-vous devenu militant indépendantiste ?
- J’ai 55 ans, je suis militant depuis l’âge de 16 ans, mais cela faisait déjà très longtemps que mes parents, qui étaient autonomistes, m’emmenaient au meeting d’Edmond Simeoni. J’avais huit ans, j’allais à la Clef des Champs, à Corte, aux journées de l’ARC (Action régionaliste corse), puis de l’UPC (Unione di u populu corsu). Depuis que je suis en âge de comprendre ce qu’est la politique, j’ai toujours été nationaliste. Je fais partie de la première génération qui n’a connu que le Nationalisme, qui n’a milité, ni à droite, ni à gauche. C’est la génération d’Eric Simoni qui est entré en même temps que moi à l’ULC (Unione di Liceani Corsi) à Bastia. A l’époque, en 1976-77, nous étions peu nombreux. Le combat débutait. Il y avait eu Aleria, puis la création du FLNC (Front de libération nationale de la Corse). J’étais trésorier de l’ULC qui était solidaire du FLNC.
 
- L’université de Corte a-t-elle été un élément déclencheur ?
- Non ! J’étais étudiant à Aix-en-Provence. J’avais un an d’avance sur la création de l’université de Corte. Quand j’étais en seconde année de droit, a été créée la première année de droit à Corte, quand j’étais en troisième année, a été créée la seconde… A l’époque, existaient la CCN (Cunsulta di i cumitati naziunalisti), la CSC (Cunsulta di i Studienti Corsi), puis le MCA (Muvimentu corsu per l'autodéterminazione). La période était assez tendue avec des arrestations, des procès, mais aussi la solidarité…
 
- Ne vous êtes-vous jamais posé de questions sur votre engagement militant ?
- Non ! Jamais ! Défendre la Corse, c’était, pour nous, une évidence ! Nous étions un groupe d’amis et nous suivions le même fil depuis l’adolescence. Nous avons continué ensemble, sans interruption. Quand j’ai eu 28 ans, j’étais avocat, j’ai intégré l’Exécutif d’A Cunculta où j’étais chargé du secteur « Droit et institutions » avec Vincent Stagnara. Je suis resté un membre de l’Exécutif jusqu’à aujourd’hui. Je n’ai jamais dévié de mon courant de pensée.
 
- Avez-vous imaginé qu’un jour, vous seriez président de l’Assemblée de Corse ?
- Non ! Pas du tout ! Jamais ! Je ne pensais même pas être élu ! J’étais un militant de base. J’ai exercé des fonctions parce que, la vie étant ce qu’elle est, les choses se sont présentées comme ça. Etre élu à l’Assemblée n’était pas un objectif, encore moins être président de cette Assemblée.
 
- Rêviez-vous, quand même, d’une prise de pouvoir des Nationalistes ?
- Ah oui ! C’est certain ! Nous pensions, qu’un jour, nous gagnerions et nous prendrions le pouvoir. Nous avions la faiblesse de penser, comme tous les gens qui font de la politique, que nos idées étaient meilleures que celles des autres. A ceci près, que nous étions engagés dans un mouvement un peu particulier, un mouvement de libération. C’était autre chose que le PS ou Les Républicains ! Cet engagement était difficile : il y avait des arrestations, des prisonniers et même, assez tôt, des morts. Des militants du FLNC sont morts dans des opérations dans les années 80. Le mouvement a, aussi, connu des moments graves. Comme, depuis le début des années 90, j’exerçais la responsabilité de président du groupe à l’Assemblée de Corse, j’étais en première ligne.

- N’avez-vous jamais eu envie de renoncer et de vous retirer, comme d’autres l’ont fait ?
- Non ! Jamais ! Je ne fonctionne pas comme ça ! Même dans les moments les plus difficiles et les plus graves, quand nous avons traversé certaines tempêtes, même à une époque où ma place n’était pas très convoitée, je n’ai jamais songé à laisser tomber. Ce n’était pas possible ! Abandonner, c’était anéantir tout mon parcours qui n’aurait plus eu de sens !
 
- Même pas quand le processus de Matignon, qui avait soulevé tant d’espoir, n’a finalement pas donné grand chose ?
- Non ! Il y a différentes manières d’analyser les choses. Je suis assez circonspect et prudent, mais plutôt de nature optimiste. Je me suis toujours dit que si nous étions arrivés, une fois, à obtenir des négociations à ce niveau-là, cela allait se reproduire. Tout est toujours possible. Je suis persuadé, au fond de moi, et depuis très longtemps, qu’un jour, un gouvernement français négociera pour aller très loin. Avec ce qui s’est passé dimanche, j’en suis certain !

Photo Marcu-Antone Costa.
Photo Marcu-Antone Costa.
- Quel a été, pour vous, le moment le plus fort de votre vie politique ?
- Il y a eu des moments forts lors des procès de membres du mouvement, que je défendais comme avocat. Comme nous avons rarement obtenu des décisions de relaxe ou d’acquittement dans des dossiers difficiles, les moments forts étaient plutôt négatifs. Le moment d’aujourd’hui est inédit. Les Nationalistes prennent la direction des affaires de la Corse. On ne peut plus nous dire, comme on l’a fait pendant 40 ans, que nous sommes minoritaires.
 
- Quand avez-vous senti que l’élection basculait, que ce moment, tant attendu, arrivait ?
- Jusqu’au dernier moment, je n’étais pas sûr. Même si, pendant la campagne, on avait senti une forte adhésion de manière générale. En discutant avec les militants de Femu a Corsica, nous nous sommes rendus compte, alors que nous avions fait une campagne séparée pour le 1er tour, que nous avions senti cette même dynamique et ce même besoin de changement dans la population. Mais, c’est le lundi soir, après le 1er tour, quand nous avons signé, entre responsables des deux formations, l’accord d’union, que nous avons été le plus surpris par l’ampleur de cette dynamique. C’était un accord d’appareils. Or, il a déchainé, dans les minutes qui ont suivi, un enthousiasme tel, les militants s’embrassaient… C’était étonnant de voir à quel point cette union était attendue !
 
- En doutiez-vous avant de signer ?
- Non ! On le savait ! Pendant la campagne, tout le monde voulait l’union, nous disait qu’il fallait la faire : la base, les jeunes, les sympathisants, même les Corses qui ne sont pas nationalistes ! Mais, juste après la signature de l’union, quand nous avons quitté le local discret où se tenaient les négociations et que nous sommes rentrés dans les permanences, l’ambiance, chez nous, était délirante de joie ! A celle de Femu a Corsica, j’ai été accueilli très chaleureusement. C’est là que j’ai vraiment compris qu’il se passait quelque chose. L’union prenait au niveau des militants. On a vu, très vite, lors des deux meetings, à Ajaccio d’abord, Bastia ensuite, qu’elle prenait au niveau de la population.
 
- N’aviez-vous jamais auparavant vécu un tel enthousiasme ?
- Non ! Jamais ! Pourtant, il y a eu des phases d’union, mais jamais elles n’ont provoqué ça ! On voyait que les gens réagissaient de manière différente. C’était vraiment une adhésion incroyable ! On passait notre temps à embrasser des gens qu’on ne connaissait pas ! Je pense que certains, qui sont nationalistes depuis peu de temps ou qui ne l’étaient pas, nous ont rejoints parce qu’ils voulaient participer à ce qui se passait, à cet espoir que l’union soulevait. Il y a toujours une part d’irrationnel dans ces moments-là ! L’entre-deux tours des élections territoriales a vraiment été un moment incroyable, extraordinaire !
 
- Quelle a été votre première pensée quand vous avez appris la victoire et son ampleur ?
- Nous avons, tous, bien sûr, ressenti une grande joie et une grande émotion. En même temps, le poids des responsabilités, qui pèse sur nos épaules, est très important. Dès qu’on se promène dans la rue, on voit que l’attente des Corses est très forte. Cette attente-là, nous n’avons pas le droit de la décevoir. Si nous la décevions, ce serait catastrophique, pas pour le mouvement national, mais pour la Corse. Si les Nationalistes échouent, qui d’autre, en Corse, pourrait susciter un tel espoir ? L’ensemble de ceux, qui s’engagent, aujourd’hui, dans ce gouvernement corse, ont un travail considérable à accomplir.

- Craignez-vous d’échouer ?
- Non ! Nous n’échouerons pas ! Nous n’avons pas le droit d’échouer ! Je suis très serein sur notre capacité à travailler de manière performante au bénéfice de l’ensemble des Corses, et pas des seuls Nationalistes. Nous avons, au sein de nos équipes et des groupes d’élus, les compétences, la volonté, le sens de l’abnégation, la foi et l’amour de cette terre. Il faudra, tout de suite, dans les heures qui viennent, travailler d’arrache pied pour que ce gouvernement de la Corse soit le plus efficace possible et pour mettre en œuvre les orientations qui ont toujours été les nôtres. Je suis persuadé que, dans les mois qui viennent, les Corses sentiront déjà la différence. Nous allons tout faire pour !
 

Photo Marcu-Antone Costa.
Photo Marcu-Antone Costa.
- Vous êtes le premier président nationaliste. Comment vivez-vous cette réussite personnelle ?
- Mon cas personnel n’a pas beaucoup d’importance. Cette fonction, je ne l’avais pas prévue. Ce n’était pas mon projet de vie. Ma vie était organisée autrement entre mon cabinet d’avocat et mes activités à l’université de Corte. Depuis quelques années, je me suis investi dans la recherche et dans l’enseignement. Il va falloir que je m’organise autrement.
 
- Cette fonction de président de l’Assemblée est plutôt honorifique. On imagine qu’elle ne le sera pas avec vous ?
- L’Assemblée de Corse est relativement jeune, elle a connu des présidences beaucoup plus visibles par le peuple que d’autres, notamment celle de Jean Paul De Rocca Serra ou celle de José Rossi au moment du processus de Matignon. Cela dépend du contexte, les hommes, aussi, apportent leur touche. On verra bien. Je serai ce que je suis ! Je ne vais pas changer !
 
- Comment envisagez-vous votre fonction ?
- La question ne se pose pas vraiment en ces termes ! Nous sommes une équipe, nous avons commencé à travailler ensemble. Cela se passe très bien. Nous travaillons main dans la main avec Gilles Simeoni et l’ensemble des élus de notre groupe à l’Assemblée et ceux du Conseil exécutif. Bien entendu, je tiendrai ma place parce que je suis mandaté pour cela par un courant, Corsica Libera, qui a ses particularités. Nous venons avec ce que nous sommes et ce que nous portons et qui sera entendu. Nous avons un contrat de mandature bien précis qui est une feuille de route sur la mise en place de nouvelles institutions, une nouvelle gouvernance, la rupture avec les archaïsmes politiques, la moralisation de la vie publique et le développement économique, social et culturel.
 
- Quel sera votre premier acte de président ?
- Provoquer une première réunion avec les élus du Conseil exécutif pour décider, dans quelles conditions et dans quel délai, nous engagerons une discussion avec Paris sur la question de la réforme et de l’amnistie.
 
- Cette négociation est-elle votre première priorité ?
- Oui ! Nous devons négocier avec Paris pour qu’il entende ce qui a déjà été voté, lors de la précédente mandature, à l’Assemblée de Corse, notamment la question de l’amnistie des prisonniers et des recherchés. Nous allons ouvrir les portes de prison parce c’est la volonté populaire. Cette amnistie, les institutions corses l’ont relayée et 95% de la société corse la veut. Il n’est pas question de reculer un seul instant ! Nous allons nous présenter à des négociations sur cette question en particulier et sur les autres aussi avec la force que nous ont donnée les Corses à l’occasion de ces élections, avec la confiance qu’ils nous ont témoignée et avec les institutions gouvernées par les Nationalistes.
 
- Que vous inspire la déclaration de Manuel Valls qui prétend qu’il n’y a pas de prisonniers politiques ?
- Des bêtises, tout le monde peut en dire ! A tout péché, miséricorde ! Il peut, demain, dire autre chose. Il ne faut jamais désespérer de l’espèce humaine ! Nous allons discuter avec les responsables français qui ont été désignés par les Français. Ce n’est pas nous qui les choisissons. Aujourd’hui, il y a Manuel Valls, François Hollande et tout un gouvernement. Nous avons, déjà, commencé à discuter avec Bernard Cazeneuve, qui était très fermé au début, puis a beaucoup évolué, et Marylise Lebranchu, qui, elle, était beaucoup plus enthousiaste. Depuis, il s’est passé quelque chose ! La réaction de Manuel Valls à l’élection de dimanche est relativement complexe. Il a semblé rendre hommage au vote des Corses.
 
- Comment réagissez-vous à toute cette polémique qui fait rage autour de l’indépendantisme ?
- De temps en temps, les uns et les autres répètent « La Corse, c’est la France… ! ». Le répéter ne produit rien de positif, mais contribue à mettre de la distance entre les hommes au moment où il faudrait les rapprocher. On a vu, pendant la campagne avec les attaques hors-saison de Nicolas Sarkozy et de certains candidats, l’inefficacité de ces discours martiaux ! L’indépendance n’est pas un épouvantail en Corse où certains sont indépendantistes et d’autres pas. Ceux, qui ne le sont pas, n’ont pas peur de nous puisqu’ils travaillent ou ont travaillé avec nous. Tout le monde le sait. José Rossi a dit, pendant la campagne, que si j’étais élu, les touristes ne viendront plus en Corse. On va le vérifier dès la saison prochaine ! Tout cela est absurde et grotesque ! Les Corses ne marchent pas ! Ils nous connaissent, ils savent comment nous vivons. Cela peut marcher auprès d’une partie de l’opinion française. J’ai reçu nombre de félicitations d’élus français qui estiment qu’il est temps que les choses changent.
 
- Que ferez-vous si Paris continue de faire la sourde oreille ?
- Si Paris continue de faire la sourde oreille, cela voudra dire qu’il refuse que la démocratie soit appliquée en Corse, il faudra en tirer toutes les conséquences, notamment sur le plan international. Nous ferons valoir l’attitude de la France qui se prétend le pays des Droits de l’Homme et qui devra assumer d’être mis au ban et attaqué. Ce qui a déjà commencé, il y a quelques mois, lors de la conférence internationale que nous avions organisée, ici, où des responsables français, comme Michel Rocard, et européens sont venus dire qu’il fallait prendre en compte la nouvelle situation. Aujourd’hui, la situation est encore différente. Le gouvernement peut dire ce qu’il veut, il changera de position. On le fera changer de position. Je suis d’une sérénité absolue sur notre capacité à gagner ce bras de fer avec Paris. Je n’ai aucun doute là-dessus !
 
Propos recueillis par Nicole MARI.
 

Jean-Guy Talamoni prononce, in lingua nustrale, son premier discours en tant que président de l'Assemblée de Corse. Photo Marcu-Antone Costa.
Jean-Guy Talamoni prononce, in lingua nustrale, son premier discours en tant que président de l'Assemblée de Corse. Photo Marcu-Antone Costa.