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Gilles Simeoni : « La conférence sociale doit nous permettre de dégager des solutions rapides »


Nicole Mari le Lundi 14 Janvier 2019 à 22:41

La conférence sociale, mise en place lundi matin par la Collectivité de Corse au théâtre de Bastia, a servi d’exutoire à la colère des Gilets jaunes insulaires. Une vraie colère sociale qu’il faut entendre et prendre en compte pour le président du Conseil exécutif, Gilles Simeoni. Il a proposé, à travers deux groupes de travail réunissant tous les acteurs concernés, de diagnostiquer les raisons de la cherté du carburant et des biens de consommation courante dans l’île, et d’apporter le plus vite possible des réponses concrètes. Tout en appelant l’Etat à prendre ses responsabilités.



Gilles Simeoni, président du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse. Photo Michel Luccioni.
Gilles Simeoni, président du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse. Photo Michel Luccioni.
- Quel est votre sentiment après cette première réunion parfois houleuse avec les Gilets jaunes ?
- Tout d’abord, il était normal et indispensable que cette réunion se tienne. C’était la volonté politique de la Collectivité de Corse toute entière d’ouvrir un espace de dialogue et de réflexion, d’action et de construction en commun. Les collectifs citoyens, les Gilets jaunes, le Collectif contre la cherté des prix de l’essence… ont exprimé une vraie colère sociale, une angoisse du lendemain qu’il faut entendre et prendre en considération. L’objectif est clair, notamment sur les deux premiers thèmes identifiés - la cherté des carburants en Corse et la cherté des produits de consommation courante – : poser un diagnostic partagé sur les différentiels de prix et les raisons de ces différentiels, et mettre en place des mesures qui permettront de corriger ces différentiels.
 
- Les Gilets jaunes ont demandé une baisse immédiate du prix du carburant dans l’île, Vito répond que c’est impossible. Comment concilier cet antagonisme ?
- Notre responsabilité politique est de créer les conditions d’un changement rapide, notamment de diminution du prix de ces produits qui sont indispensables. Ceci dit, nous n’avons pas, dans nos attributions, la possibilité d’imposer ces diminutions de prix aux distributeurs ou aux revendeurs. Les acteurs de la filière carburant sont autour de la table. Il est important qu’ils acceptent de s’impliquer dans un processus qui devrait nous conduire à très court terme à comprendre comment les prix se forment, à supprimer les éventuels surprofits qui pourraient être constatés et à mettre en place les mesures correctrices qui permettront aux Corses, notamment aux personnes en situation de difficulté, de pauvreté et de précarité, de ne plus être impactées durement comme elles le sont actuellement.
 
- Parmi les taxes, la TICPE que l’on vous accuse d’avoir augmentée, peut-elle être un levier ?
- Ce reproche est infondé ! Nous avons fait précisément le choix de ne jamais augmenter la TICPE (Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques), en tous cas à l’initiative de la Collectivité de Corse (CdC). Comme nous avons fait le choix politique dans la situation économique et sociale actuelle, si difficile, que connaît la Corse plus encore que d’autres régions ou territoires, de n’augmenter aucun des leviers de la fiscalité locale. Alors même que la CdC a besoin de recettes, nous ne l’avons pas fait parce que nous considérons qu’en l’état de cette situation de difficultés et de crise, les particuliers, les ménages, les citoyens et même les entreprises n’ont pas les moyens de supporter une aggravation de la fiscalité.
 
- Les Gilets attendent des mesures concrètes, mais avez-vous la compétence de les prendre ?
- Là aussi, il faut être effectivement très clair sur la répartition des compétences et des responsabilités entre, d’un côté, l’Etat et, de l’autre, la Collectivité de Corse. Nous considérons que nous devons aller au bout de nos compétences pour faire changer les choses. Tout ce qui se passe en Corse, tout ce qui intéresse les Corses, ne nous est pas étranger. C’est la raison pour laquelle, dans ce domaine-là, comme dans d’autres, nous décidons quelquefois d’aller au-delà de nos compétences stricto-sensu. Ceci dit, à chacun de prendre ses responsabilités. En ce qui nous concerne, nous créons les conditions du dialogue, les conditions d’un échange serein pour essayer de comprendre les raisons des distorsions de prix. Il faudra, ensuite, que chacun, dans le cadre de ses prérogatives, prenne les mesures qui seront nécessaires pour corriger ces différentiels de prix. Il appartient, aussi, à l’Etat d’exercer ses compétences de ce côté-là.
 
- Pensez-vous réussir au final à faire évoluer la situation ?
- Je pense que nous avons une obligation de résultats. On le sent bien à travers le désespoir, la colère, la rage sociale qui est en train de monter. Nous ne pourrons peut-être pas tout régler, mais notre responsabilité est d’essayer d’apporter des réponses concrètes le plus vite possible.
 
- Quand est-ce « le plus vite possible » ?
- Nous avons fixé un calendrier resserré pour que nos travaux soient productifs. Nous mettons en place deux groupes de travail - un sur les carburants, l’autre sur les produits de consommation courante – qui réuniront l’ensemble des acteurs de ces filières : les représentants des collectifs citoyens, notamment les Gilets jaunes et le Collectif contre le prix de l’essence en Corse, les partis, les élus – majorité et opposition -, les syndicats, les associations, les institutions… L’implication de la Collectivité de Corse, du Conseil exécutif, de l’assemblée de Corse et du CESEC, qui sont organisateurs de cette conférence sociale, est totale. Le but est d’essayer d’avoir, dans les jours et les semaines à-venir, un diagnostic partagé et un train de mesures à mettre en œuvre ou à solliciter pour corriger l’écart de prix qui est constaté dans ces deux secteurs, essentiels pour la vie courante.
 
- La colère des Gilets jaunes, qui brandissent la possibilité d’actions violentes, vous inquiète-t-elle ?
- Il y a, aujourd’hui, dans l’ensemble de la société française et dans d’autres pays d’Europe, mais aussi dans la société corse, la montée d’une angoisse sourde par rapport aux lendemains, la montée d’une colère qui ne touche pas seulement les gens qui sont dans la très grande précarité. Comme l’a expliqué le Dr Pernin, les précaires ne sont pas ceux que l’on voit ou que l’on entend le plus depuis quelques semaines. Ceux qui sont frappés de plein fouet par la crise, et qui l’auraient été encore plus si les mesures envisagées par le gouvernement et le président Macron avaient été appliquées, sont des gens qui arrivent encore à joindre les deux bouts, mais au prix de très grandes difficultés. Si, demain, leur situation se détériore ou s’aggrave, ils basculeront véritablement dans la trappe à pauvreté. L’affaire du carburant a été un facteur déclenchant qui explique que toutes ces inquiétudes, ces frustrations, ces mécontentements, ces sentiments d’injustice sont remontés à la surface en même temps et sont en train de se coaliser. Pour éviter que cette colère et cette inquiétude ne s’expriment en termes violents, il faut créer des espaces politiques et apporter des réponses politiques.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.