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Gilles Simeoni : "L’avancée est importante sur le plan constitutionnel, mais des lignes rouges restent posées sur nos fondamentaux"


Nicole Mari le Vendredi 5 Janvier 2018 à 22:07

Satisfait, mais prudent et surtout vigilant. C’est l’état d’esprit du président du Conseil exécutif de Corse, Gilles Simeoni, après sa rencontre avec la ministre Jacqueline Gourault, la « Madame Corse » du gouvernement. Une rencontre qu’il a voulue en trois séquences : un premier tête-à-tête, à 9 heures du matin, avec la ministre dans son bureau, suivi d’un second tête-à-tête entre la ministre et le président de l’Assemblée, Jean-Guy Talamoni, tous deux de 45 minutes chacun, enfin un entretien à trois d’une quinzaine de minutes pour clore cette première prise de contact. Si Gilles Simeoni se réjouit de « l’avancée importante » que constitue l’annonce surprise de l’ouverture d’un dialogue sur une révision constitutionnelle tant demandée par les Nationalistes, il explique, à Corse Net Infos, que, sur le fond, beaucoup d’inconnues persistent et que des lignes rouges restent posées sur des points fondamentaux.



La Madame Corse du gouvernement, la ministre Jacqueline Gourault, accueillie à son arrivée à l'hôtel de région à Ajaccio par le président du Conseil exécutif de la nouvelle collectivité de Corse, Gilles Simeoni.
La Madame Corse du gouvernement, la ministre Jacqueline Gourault, accueillie à son arrivée à l'hôtel de région à Ajaccio par le président du Conseil exécutif de la nouvelle collectivité de Corse, Gilles Simeoni.
- Comment s’est passée cette première prise de contact avec Mme Gourault ?
- Ce fut, sur la forme, une rencontre détendue et cordiale. Mme Gourault nous a transmis l’état d’esprit du gouvernement et a fait passer un message d’ouverture. J’ai voulu, pour ce premier contact, une séquence en trois temps. D’abord pour différencier les deux fonctions de l’Exécutif et de l’Assemblée, ensuite pour que chacun puisse discuter en tête-à-tête. Enfin, une séquence ensemble pour bien insister sur le fait que le président de l’Assemblée et moi-même, nous parlons d’une même voix et qu’il ne faut pas chercher à nous opposer ou à jouer l’un plutôt que l’autre.
 
- Quel message d’ouverture exactement, la ministre est-elle venue vous transmettre ?
- Elle nous a dit que le gouvernement reconnaît notre légitimité issue des urnes et qu’il veut travailler avec nous. Elle a validé les deux axes de travail que nous proposons. Le premier, plutôt à son initiative, mais auquel on s’attendait, concerne la mise en œuvre et la réussite de la nouvelle collectivité de Corse. Mme Gourault a insisté sur les difficultés et la lourdeur de cette mise en œuvre et sur la nécessité de la réussir. Le deuxième axe est un élément nouveau : le gouvernement est d’accord pour avancer, y compris en acceptant l’horizon de la révision constitutionnelle. Plus exactement, il accepte l’ouverture d’un dialogue sur l’insertion d’un volet spécifique consacré à la Corse dans le cadre de la révision constitutionnelle prévue dans le courant de cette année. Ce sont des points positifs.
 
- Et pour le second, très inattendu ?
- Oui ! C’est une avancée importante, significative, de dire qu’on ne travaille pas à droit constitutionnel constant, mais qu’on accepte de s’inscrire dans une perspective où on reconnaît, y compris au plan de la Constitution, la spécificité de la Corse. Elle confirme le discours d’ouverture de Mme Gourault sur la forme. Sur le fond, son mandat reste assorti de points d’interrogation.
 
- Lesquels ?
- Cette avancée est tempérée par le fait que nous ne savons pas, pour l’instant, ce que sera le contenu des discussions susceptibles de déboucher sur une révision constitutionnelle. Même si elle n’emploie pas l’expression, Mme Gourault réaffirme de façon allusive et très polie qu’il y a des lignes rouges. Elle nous a dit que le gouvernement, aujourd’hui, n’envisage pas de répondre positivement à nos revendications concernant le statut de résident, la coofficialité de la langue corse ou les prisonniers politiques. C’est, quand même une restriction importante ! Nous avons, pour notre part, réaffirmé que ces lignes rouges sont, pour nous, des fondamentaux.
 
- Craignez-vous que cette révision constitutionnelle ne soit qu’un cache-misère et qu’elle ne donne à la Corse que des prérogatives à peine majorées par rapport au droit commun ?
- Nous ne pouvons pas préjuger aujourd’hui de ce que sera le niveau des discussions, ni leur point d’arrivée. Nous avons rappelé, Jean-Guy Talamoni et moi-même, d’abord séparément, puis ensemble, à Mme Gourault que nous sommes les dirigeants élus de la Corse, que nous avons été élus et mandatés pour mettre en œuvre nos revendications, pour obtenir la prise en compte du statut de résident, de la coofficialité de la langue corse, de l’amnistie des prisonniers politiques, de l’inscription de la Corse dans la Constitution, d’une autonomie de plein droit et de plein exercice… Notre légitimité est double, d’abord à travers les délibérations votées par l’Assemblée de Corse, y compris par des élus non nationalistes et sous des mandatures parfois anciennes, ensuite, plus récemment, par le suffrage universel. Nous avons réaffirmé que nous étions dans une démarche qui, bien sûr, pouvait être progressive, nous ne sommes pas dans une logique, ni de surenchère, ni d’immédiateté, mais nous comptons bien avancer fermement et mettre en application le mandat que les Corses nous ont donné.
 
- Concrètement, avez-vous parlé d’autonomie ?
- Bien sûr, en ce qui me concerne, j'en ai parlé ! J'ai rappelé que cela fait partie de nos fondamentaux. La ministre, elle n'en a pas parlé, elle n'a pas prononcé le mot d’autonomie. Mais, c’est une première prise de contact. Nous ne sommes qu’au début d’un premier cycle d’échanges qui doit conduire à apprendre à se connaître, à préciser les positions et à définir le périmètre des discussions. Le 22 janvier, nous avons rendez-vous avec le Premier ministre. Mme Gourault a la gestion au quotidien du dossier corse. Comme je l’avais pressenti, elle a confirmé que le ton global serait donné par le Président de la République qui devrait, in fine, s’exprimer.
 
- Concernant la Collectivité unie, avez-vous abordé le point délicat et polémique de son financement ?
- Oui ! Mais sans plus ! Mme Gourault s’est dite prête à en discuter. Nous n’avons pas voulu rentrer dans le détail des discussions au stade d’un premier échange, mais nous concentrer sur la définition d’une méthode et d’un champ potentiel de dialogue. J’ai, néanmoins, confirmé que la Collectivité de Corse est, bien sûr, pour nous, un chantier majeur dans lequel nous nous investissons totalement. Mais pour le réussir, il est nécessaire d’établir des relations de travail et de confiance entre la Corse, le gouvernement et l’Etat. Je lui ai rappelé que nous avions une vision stratégique et un projet à mettre en œuvre avec la volonté déterminée de répondre aux attentes au quotidien des Corses. En même temps, de façon indissociable, il est, pour nous, essentiel d’amorcer un dialogue pour une solution politique globale.
 
- Peut-on dire que vous êtes, donc, satisfaits, mais prudents ?
- Exactement ! Nous sommes satisfaits parce que, pour la première fois, Paris accepte de se situer dans la perspective d’une révision constitutionnelle à court terme. Mais, nous restons prudents parce qu’il y a beaucoup d’incertitudes sur le contenu de la discussion que nous aurons, sur la volonté du gouvernement d’aller au bout de ces discussions, et sur la faisabilité même de cette révision constitutionnelle. Et surtout, nous restons vigilants.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.

Gilles Simeoni : "L’avancée est importante sur le plan constitutionnel, mais des lignes rouges restent posées sur nos fondamentaux"