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Gilles Simeoni : « Il faut lutter contre la décorsisation des emplois »


Nicole Mari le Lundi 8 Juillet 2013 à 01:04

Lors de deux récents conflits sociaux, à la Société générale à Bastia et à Pôle Emploi à Ajaccio, le syndicat STC dénonçait une politique discriminatoire à l’embauche, privilégiant, malgré les accords d’entreprise, le recrutement extérieur. Dès l’ouverture de la session de juillet de l’Assemblée de Corse, lors des questions orales, les deux groupes nationalistes se sont fait l’écho de cette « décorsisation des emplois » et ont plaidé pour la création d’un statut favorisant l’emploi local. Explications, pour Corse Net Infos, de Gilles Simeoni, conseiller territorial, leader de Femu a Corsica.



Gilles Simeoni, conseiller territorial, leader du groupe Femu a Corsica.
Gilles Simeoni, conseiller territorial, leader du groupe Femu a Corsica.
- Quelle est la problématique de l’emploi local que vous dénoncez ?
- La problématique d’ensemble est déterminée par des difficultés économiques structurelles dues à une crise française, européenne et mondiale, mais aussi à des facteurs locaux, notamment l’état de sous-développement dans lequel se trouve notre île. Les indicateurs socio-économiques sont globalement mauvais et continuent de se détériorer avec un taux de chômage important, surtout au niveau des jeunes qui ont des difficultés pour s’insérer sur le marché du travail et y évoluer favorablement. Ce contexte général est aggravé par des facteurs spécifiques, notamment la décorsisation des emplois qui est, malheureusement, une réalité.
 
- Qu’entendez-vous par là ?
- De nombreuses administrations et certaines grandes entreprises, publiques et privées, privilégient systématiquement le recrutement extérieur pour des raisons politiques. Le conflit sectoriel à la Société générale est né du choix de ce groupe d’appliquer un accord d’entreprise qui favorise la mobilité interne, donc le recrutement extérieur, plutôt que le recrutement local. Alors que le recrutement local intègre, aussi, à notre avis, le retour des salariés originaires de Corse qui ont du partir dans le cadre de leur formation ou de leur progression de carrière. Cette politique active de décorsisation des emplois vient aggraver les difficultés d’accès au travail.
 
- Y-a-t-il d’autres facteurs ?
- L’autre facteur est l’inexistence d’un cadre juridique qui permettrait de privilégier, à compétences égales, le recrutement local. Ce cadre juridique, il appartient à l’Assemblée de Corse d’en définir les contours et d’inscrire cette avancée dans la discussion en cours concernant la perspective d’une révision constitutionnelle.
 
- Ce cadre juridique est-il légalement possible ?
- Oui. Ce cadre ne serait pas un précédent puisque ce type de dispositif existe déjà, notamment dans des lois organiques prises pour la Nouvelle Calédonie et la Polynésie française. La loi organique du 29 janvier 2004 sur le statut d’autonomie de la Polynésie française organise le recrutement local, à compétences égales, y compris dans les emplois publics. Cette loi n’a pas été censurée par le Conseil Constitutionnel. Elle représente une voix d’entrée juridique et constitutionnelle qui nous permettrait de développer notre propre politique.
 
- La Polynésie n’appartient pas à l’Union européenne. Le principe de libre circulation ne s’oppose-t-il pas à un tel statut ?
- La Polynésie est intégrée dans l’ordre juridique français, donc dans l’ordre communautaire. Le recrutement local ne s’oppose pas au principe de libre circulation qui s’applique. Il nécessite des mesures d’ordre juridique, combinées à des politiques en cours que nous devons développer. Notamment, la politique de mise en œuvre du statut de coofficialité.
 
- De quelle manière, la coofficialité agirait-elle ?
- De facto. En intégrant dans les profils de recrutement la maîtrise totale ou progressive de la langue corse, nous favorisons, soit le recrutement local des gens qui parlent corse, soit le retour des Corses de l’extérieur qui souhaitent revenir, soit le recrutement de gens qui ne sont pas d’origine corse mais choisissent de s’intégrer dans ce pays et dans ce peuple. Cette troisième solution nous intéresse autant que les deux premières. La mise en œuvre concrète du principe de coofficialité permettra d’organiser un recrutement local et une sorte de corsisation des emplois. Le mot « corsisation » étant compris, non comme une démarche ethniciste, mais comme l’intégration dans un projet collectif.
 
- Tablez-vous sur le retour de la diaspora ?
- A partir du moment où nous élaborons un projet collectif, mobilisateur pour la jeunesse et pour toutes les forces vives de ce pays, il est évident qu’il faut y intégrer les Corses de l’extérieur. La diaspora représente une richesse, en termes d’hommes, de savoir-faire et de compétences à mobiliser. Bien sûr, cette diaspora est hétérogène. Elle n’est pas composée de gens qui ont conservé le même degré d’attachement à la Corse. Il n’empêche qu’il y a, à l’extérieur de l’île, des Corses qui, à travers leur parcours professionnel, ont su acquérir des compétences.
 
- Pensez-vous à une agence de retour comme il en existe dans d’autres pays ?
- Une agence de retour est un outil à développer. Le terme est générique. L’Assemblée de Corse doit donner les moyens de prospecter, d’anticiper les besoins et, chaque fois que c’est possible, de faire revenir des Corses pour occuper des postes où ils pourront mettre en œuvre leurs compétences. Elle doit créer les conditions pour que ces Corses-là, lorsqu’ils le désirent, puissent rentrer en Corse et s’intégrer dans le projet collectif.
 
- Vous avez proposé une méthode. Quelle est-elle ?
- Nous avons proposé de procéder à une large concertation, d’abord au sein de l’Assemblée de Corse entre les différents groupes, mais aussi ouverte à ceux qui ont vocation naturelle à participer à la réflexion et à la mise en œuvre de ce statut. En premier chef, les syndicats. C’est indispensable. Le travail, que nous avons engagé notamment sur la langue, le foncier et la fiscalité, est essentiel, mais ne peut pas prétendre épuiser toutes les problématiques vitales pour la Corse.
 
- Quelle a été la réponse de l’Exécutif ?
- Nous avons demandé au président de l’Exécutif ce qu’il pensait de cette problématique d’ensemble et s’il était d’accord pour engager une réflexion et un travail collectif sur ce sujet. La réponse a été apportée par Jean Zuccarelli, en sa qualité de conseiller exécutif en charge des questions d’emploi et de formation. Il a rappelé qu’il ne fallait pas stigmatiser les gens qui venaient de l’extérieur et que nous avons, quelquefois, besoin de leurs compétences. Ce sont deux principes sur lesquels nous sommes d’accord. Tout en ne répondant pas de façon très claire, ni en termes très positifs à notre demande, il a dit que l’Exécutif était prêt à engager la réflexion au sein de l’Assemblée.
 
- Qu’allez-vous faire maintenant ?
- Nous allons nous saisir de cette réponse ouverte, mais, à nos yeux, insuffisante. Nous aurions souhaité une adhésion beaucoup plus large et un engagement beaucoup plus marqué. Nous prenons acte du fait que cette question peut faire l’objet de débats et de travaux. Nous allons demander que ce soit le cas très rapidement.
 
Propos recueillis par Nicole MARI