- Vous avez pris vos fonctions à l'Office Public de l'Habitat de la Collectivité de Corse le 20 mars 2018. Comment se sont passés ces premiers mois de mandat ?
- Un besoin d'implication de tous les instants sur une structure fragile, et dans un contexte extrêmement difficile où il a fallu faire face à des sinistres et surtout au drame du 30 janvier 2019 qui nous a beaucoup affectés. Difficile d'opérer la révolution interne dont a besoin cet office dans de telles conditions et avec si peu de moyens. Mais s'il y a des frustrations de ne pouvoir répondre à toutes les attentes, c'est un travail passionnant où l'on se sent utile pour aider les plus démunis. L'outil a du potentiel, pour peu qu'on le renforce en moyens.
- Quel rôle jouez vous dans la structure ?
- Mon rôle consiste à apporter le soutien politique indispensable à l'Administration Générale et rechercher les appuis financiers et en ressources humaines nécessaires pour qu'elle soit en mesure de suivre les orientations données par le Conseil d'Administration. L'héritage est lourd, il faut beaucoup d'investissements, sortir aussi des réflexes clientélistes du passé et donner à l'outil le rôle qui est le sien en toute transparence et équité. C'est ce à quoi je me suis personnellement engagée lorsque j'ai accepté cette mission.
- Il y a encore ces réflexes aujourd'hui ?
- Ce type de révolution s'inscrit dans le temps. Nous avons deux plaintes au pénal en cours qui concernent les mandatures passées. Nous avons aussi été interpellés par l'organisme de contrôle des bailleurs qui pourrait sanctionner l'office financièrement du fait du non respect des règles d'attribution sur la période 2013-2017. Il nous faut rester très rigoureux car les gens sollicitent leurs connaissances et les demandes sont quotidiennes. Pour insister sur les difficultés à impulser le changement en Corse, Edmond Simeoni disait souvent : "entre l'autonomie et la démocratie, je choisis la démocratie". C'est tout le challenge du "paese da fà", surtout dans ce domaine qui touche à la précarité.
- Quelles sont les règles d'attribution ?
- Tous les bailleurs sociaux, publics ou privés, doivent puiser dans le fichier national d'enregistrement (SNE). Il ne peut pas en être autrement. Ces inscriptions se font directement sur internet, ou par le biais des services sociaux ou d'une assistance sociale. Les inscriptions les plus anciennes sont prioritaires. Mais d'autres urgences sociales nous mobilisent, personnes à la rue, femmes battues, enfance en danger, handicaps etc. Les services instruisent, vérifient les seuils de revenus et les conditions d'éligibilité. Lorsque ces revenus sont trop faibles, les logements ne peuvent pas être attribués hors de dispositifs sociaux à mettre en place. Tout cela se vérifie en amont de la tenue des commissions d'attribution. Pour garantir la transparence, il ne doit y avoir aucune anomalie dans l'instruction. L'office est doté bien sûr d'un règlement intérieur, en cours de révision.
- Sur les forums de discussion ou les réseaux sociaux, il y a de nombreuses réclamations...
- Il est extrêmement difficile de satisfaire nos locataires car nous héritons d'un office qui cumule plusieurs problèmes. Un parc ancien et dégradé qu'il faut réhabiliter quasiment dans son entier (3007 logements) ; y compris les résidences les plus récentes accusent des problèmes dus aux mauvais choix du passé ! Tous les offices réhabilitent en moyenne au terme de 40 ans. Le problème avec l'OPH2C, c'est qu'à peu près l'ensemble de nos résidences arrivent à ce terme et, qu'entre temps, il n'y a pas eu le gros entretien indispensable, et donc les urgences sont partout : toitures, réseaux, menuiseries, voiries etc. Nos recettes reposent essentiellement sur les loyers, qui comptent parmi les plus bas de France. Du fait d'un public largement éligible à l'allocation logement (APL), l'Office est touché davantage que les autres bailleurs par la baisse de ces APL imposée par le gouvernement Macron-Philippe pour supprimer l'Impôt sur les grandes fortunes. C'est profondément injuste. En 2018, cette perte de recettes a été de 550.000€. Elle le sera d'autant sinon plus en 2019 et doublera en 2020, car ces mesures sont progressives. C'est difficilement surmontable sans nouvelles ressources. Et bien sûr, ça pèse sur la gestion car cela nous enlève des moyens d'agir ! À cela s'est ajouté la hausse avec effet rétroactif de la TVA construction de 5,5% à 10%. Sur les seules opérations de construction en cours, il a fallu abonder 1M€ en fonds propres ! C'est violent pour un petit office comme le nôtre, qui plus est avec de mauvaises habitudes ancrées qui pèsent sur l'organisation des services comme sur la perception de son rôle par ses locataires ou par ses partenaires.
- Le gouvernement a pourtant annoncé des mesures de compensation ?
- Tout est appréciable, mais ces "compensations" n'en sont pas vraiment et font figure de placebo eu égard aux pertes engendrées. Le gel du taux du livret A et autres dispositifs représentent péniblement 100.000€. On est loin, très loin de nos besoins. Le Pacte d'investissement signé en avril dernier avec les Fédérations de bailleurs annonce un retour à la TVA logement social à 5,5% pour les logements les plus précaires (prêts PLAI), les programmes de rénovation urbaine, et les acquisitions-améliorations en prêt intermédiaire (PLUS). Mais dans le meilleur des cas, ces mesures ne seront pas effectives avant le 1er janvier 2020. Autrement dit, l'OPH2C a bel et bien perdu plus de 2M€ sur ses fonds propres sur la période 2018-2019 et ne les recouvrera plus.
- Où trouvez-vous les ressources pour agir ?
- Il faut trouver des moyens nouveaux. Nous avons contractualisé pour 1,260M€ avec Action Logement, qui est le partenaire des bailleurs avec lequel l'OPH2C n'avait jamais conventionné. C'est pour l'heure un soutien uniquement à la construction. Nous avons également renouvelé une convention de partenariat avec la Légion étrangère à Calvi. La Caisse de Dépôts et Consignations nous accompagne notamment par des prêts de haut bilan à taux bonifiés. Et bien sûr, nous comptons sur notre collectivité de rattachement, la Collectivité de Corse, pour obtenir des moyens supplémentaires. Ces soutiens doivent absolument se compléter par des efforts de gestion pour que nous dégagions des fonds propres.
- Quels efforts avez-vous fait sur la gestion interne ?
- L'office a réduit ses frais de fonctionnement de manière importante en réorganisant sa Régie et les partenariats d'entreprises. Un nouveau directeur du Patrimoine est en place depuis janvier 2019, le poste était vacant depuis deux ans. Cela explique nombre de nos difficultés organisationnelles. Deux audits sont en cours pour voir comment mieux répondre notamment aux réclamations et au traitement de la vacance. Ceci dit, à moyens constants, il y a déjà eu des résultats tangibles dans la gestion. Quand la remise en état d'un logement libéré par le locataire s'élevait à 11.000€ début 2018, il est aujourd'hui de 5.000€. Soit plus de 50% d'économie. Par ailleurs, nous avons mis en place un service contentieux et pré-contentieux et nous progressons dans l'encaissement des impayés (-15% à ce jour). Plus d'un million d'euros étaient dus à l'office. Mais c'est un travail délicat qui mobilise des dispositifs sociaux, et demandent du temps car il s'agit de ne pas pressurer davantage un public en difficulté. Nous devons nous adapter aux situations tout en permettant à l'office de récupérer ce qui lui est dû, et dont nous avons besoin pour améliorer le quotidien de nos locataires.
- Vous avez dit la semaine dernière lors d'un point presse "il faut un plan d'urgence pour le logement social", pourquoi ?
- Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Plus de 80% de la population corse est éligible au logement social du fait de faibles revenus. Un Corse sur cinq est en situation de précarité. 6000 demandes sont en attente, et pendant ce temps, les aides à la pierre du gouvernement et des collectivités soutiennent moins de 500 logements en construction neuve par an tous bailleurs sociaux confondus. Il faudra des décennies pour rattraper le retard !
Alors oui, il faut afficher une forte volonté politique qui dépasse les dispositifs actuels. Alléger nos impayés par exemple, c'est directement nous renforcer en fonds propres. Tous les acteurs doivent se rassembler, communes, communautés d'agglomération, Collectivité de Corse, Etat, Action Logement, Banque des Territoires. Il faut donner les moyens aux bailleurs de construire et réhabiliter davantage pour répondre à la demande de logement social.
Le Président du Conseil Exécutif est sensible à ces questions. Il travaille à la rédaction d'un nouveau règlement d'aides au logement qui devrait comprendre un volet spécifique à l'office. Il faut que cela se concrétise vite.
- Et l'Etat ?
- Localement, les services sont à notre écoute, mais c'est au gouvernement que les décisions se prennent.
- Quelle a été votre action depuis votre arrivée aux responsabilités de l'office ?
- Notre Plan Stratégique de Patrimoine (PSP) est ambitieux. Parmi les priorités, nous avons lancé la réhabilitation des Pléiades à Bastia. Les locataires attendaient depuis plus de 15 ans un engagement concret. Nous le leur avons apporté dès notre arrivée : la maîtrise d'ouvrage est en cours, dans quelques mois, le projet d'architecte pourra leur être présenté, et nous pourrons démarrer les travaux au premier semestre 2020 ! En octobre prochain, les travaux de la réhabilitation de San Fiurenzu démarrent. Nous venons également de lancer la consultation pour les réhabilitations de Lucciana et de Saint-Antoine. La réhabilitation de Cànari, qui n'était pas prévue, a été mise à l'étude immédiatement après rencontre avec les locataires et sa nécessité a été intégrée à notre PSP. Même chose pour Oletta dont l'AMO sera lancée l'an prochain. C'était des urgences, mais il y en a d'autres qui sont programmées dans un avenir proche (Calinzana, Olmeta di Tuda, Corti, Belgudè, Santa Riparata di Balagna, Fulelli, Cervioni). Nous avons également terminé en novembre 2018 la réhabilitation aux normes BBC de la Caravelle à Bastia. Je voudrais faire plus.
- Sur les réclamations ?
- Les gros entretiens ne peuvent plus attendre dans le rural comme dans l'urbain. Nous avons établi nos cahiers des charges pour lancer les diagnostics avant travaux pour les toitures (infiltrations), les réseaux, les menuiseries intérieures et extérieures, la recherche d'amiante, la sécurité électrique ou gaz... Autant de sources de mécontentement des locataires. De notre côté, nous sommes prêts depuis plusieurs mois et n'attendons plus que les moyens budgétaires qui nous ont été promis.
- Et pour la construction neuve ?
- 48 logements sociaux viennent d'être livrés à Furiani, sous la forme d'une résidence R+1 avec place de stationnement privative pour les locataires, et jardin pour les rez-de-chaussée. Ils s'intègrent dans un quartier résidentiel où le promoteur a réalisé une opération d'accession à la propriété à prix modéré, ce qui permet d'intégrer une mixité sociale. De même nous avons réceptionné 15 T2 de qualité à Lupinu. 64 logements encore à Viscuvatu et 42 à Fulelli nous seront livrés avant la fin de l'année. Au total 169 logements neufs réceptionnés en 2019. 4 autres logements seront livrés dans le quartier historique du Puntettu et 30 sont programmés à Furiani en 2020. Nous espérons monter de nouvelles opérations sur d'autres communes mais cela suppose de trouver des moyens. Enfin, il y a sur Bastia le Nouveau Programme de Rénovation Urbaine (NPRU) lancé par la municipalité.
- Un programme qui rencontre apparemment l'hostilité des locataires ?
- Il y a très longtemps que ces logements auraient dû être réhabilités. ça n'a pas été fait. Aujourd'hui ceux qui sont la cause de cet abandon viennent jouer sur les inquiétudes légitimes des habitants. Le projet de la municipalité dépasse une simple réhabilitation. Il s'agit de travailler sur tout un quartier, de l'ouvrir sur l'extérieur, d'y réhabiliter les logements, certes, mais aussi les voiries, d'y ajouter des aménagements publics, des commerces, des espaces verts. On parle de "rénovation urbaine", en termes d'accessibilité, de services publics, d'initiative économique, de mixité sociale. Ce qui est vécu aujourd'hui comme une souffrance pour certains résidents qui y vivent depuis des décennies parfois et craignent le saut dans l'inconnu, leur apparaîtra comme une chance dès que nous sortirons des manipulations dont ils ont été victimes et que nous pourrons parler tranquillement avec eux de leurs souhaits et des compensations qu'ils peuvent obtenir pour quitter un logement auquel ils sont attachés. Les accompagner au mieux, c'est notre priorité.
Pour l'OPH, il s'agit de toucher 750 logements de notre parc bastiais, soit 2000 résidents. C'est une plus-value pour nos locataires qui y gagneront en qualité de vie.
- Quelle est votre action sur les questions de sécurité et de mieux vivre ensemble dans les quartiers de Bastia notamment ?
- Nous intervenons quotidiennement sur ces questions. Nous signalons aux services sociaux toute situation qui réclame une intervention. Là encore, on pourrait faire plus si l'on avait la possibilité de mettre un gardien dans chaque résidence. Nous voudrions pouvoir développer ce contact de proximité à l'avenir, faire en sorte que nos agents y trouvent une valorisation, et nos locataires un service plus complet. Mais il y a d'autres problèmes que la simple gestion locative. Des conflits de voisinage à une délinquance plus marquée, il faut être davantage présent. Nous avons pour cela rencontré la Directrice Départementale de la Sécurité Publique de Haute-Corse et noué ensemble un partenariat qui va nous permettre de sécuriser davantage nos résidences. Agir de manière dissuasive sur les comportements délinquants, mais aussi rassurer nos locataires. Je salue bien sûr le travail de la ville et des associations qui sont très présentes et anticipent sur ces problèmes par leur travail quotidien d'animation et d'accompagnement.
- On reproche à l'Office de mettre parfois très longtemps pour remettre ses logements en location, quelles en sont les raisons ?
- Ça fait partie de l'héritage. L'office a accumulé une forte vacance, et pour la résorber il faut investir de gros moyens, tout en ne délaissant pas nos autres priorités. Nous comptons aujourd'hui 175 logements vacants, c'est un chiffre en évolution quotidienne, au rythme des départs ou des remises en location. J'ai dit plus haut qu'il est nécessaire d'investir en moyenne 5.000€ par logement. En réalité, certains sont dans un tel état, qu'ils demeurent fermés durant des mois voire des années car le coût de remise en location est élevé. Il nous faudrait au moins 1M€ pour résorber la vacance. Et cela ne serait pas immédiat, puisqu'il faut le temps aux entreprises de travailler.
- D'où le partenariat avec la Fondation du Crédit Agricole ?
- Oui. Un beau partenariat, qui montre que lorsqu'on se rassemble on est plus efficace au chevet des plus démunis. Nous allons pouvoir rénover 3 logements très dégradés, deux à Bastia, un dans le rural. Je dis merci et bravo aux collaborateurs du Crédit Agricole. Grâce à eux, trois familles supplémentaires pourront être logés cette année. Je souhaite que ce partenariat se pérennise. L'appel au mécénat peut être un bon coup de pouce.
- Vous avez connu un conflit social en novembre dernier, où en est le dialogue social ?
- Il est permanent. Avec la Direction générale, nous apportons toutes les réponses qu'il est possible d'apporter à notre niveau. Mais pour qu'il opère correctement sa réorganisation et soit plus performant dans ses missions, l'office a besoin de moyens pour agir. Les dispositifs de subventionnement classiques n'y suffisent pas, il faut renforcer nos équipes et abonder nos fonds propres. Par nous mêmes, nous n'avons pas les moyens budgétaires. Nous comptons donc sur l'Etat et sur notre Collectivité de rattachement, Pour le reste, des agents aux locataires, en passant par les administrateurs et les partenaires, nous devons tous nous serrer les coudes et apporter à l'outil le calme, l'attention et le travail dont il a besoin pour progresser.