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Economie Digitale : Le modèle de Cagliari en Sardaigne est-il transposable en Corse ?


Nicole Mari le Samedi 28 Septembre 2019 à 21:08

Dans une Sardaigne économiquement sinistrée, Cagliari fait figure d’exception avec un secteur digital, né il y a 30 ans et très dynamique. La ville a lancé le 1er webmail au monde, les 1er titre de presse et radio en ligne en Europe, le 1er fournisseur d’accès Internet en Italie (Video On Line), le 1er site web italien (www.crs4.it), la 1ère appli pour journaux sur tablettes et même Tiscali. Elle accueille des géants comme Amazon, Google, Accenture, Indra, Telit ou Huawei, et des startups d'envergure comme MoneyFarm. L’un des promoteurs de cette réussite, Mario Mariani, était l’invité de Femu Qui, samedi, au parc Galea pour une conversation sur le thème « La Sardaigne trace son chemin dans l’économie de la connaissance : l’écosystème de Cagliari ». Fondateur de The Net Value, associé d’United Ventures, principal fonds de capital-risque italien, président de Banca di Sassari, conseiller du CRS4, et ancien CEO de Tiscali Italia, ce Sarde de 52 ans explique à Corse Net Infos comment construire une économie digitale en Corse et donne des conseils aux jeunes entrepreneurs.



Mario Mariani, fondateur de The Net Value, associé d’United Ventures, principal fonds de capital-risque italien, président de Banca di Sassari, conseiller du CRS4, et ancien CEO de Tiscali Italia, était l’invité de Femu Qui, samedi, au parc Galea sur la commune de Taglio-Isolaccio.
Mario Mariani, fondateur de The Net Value, associé d’United Ventures, principal fonds de capital-risque italien, président de Banca di Sassari, conseiller du CRS4, et ancien CEO de Tiscali Italia, était l’invité de Femu Qui, samedi, au parc Galea sur la commune de Taglio-Isolaccio.
- Quel a été l’objet de cette conversation ?
- L’objet était de raconter l’histoire de l’écosystème d’entreprises innovantes et digitales de Cagliari. Je témoigne d’une expérience de 30 ans de travail dans ce secteur, d’abord comme entrepreneur indépendant, puis comme éditeur, enfin comme investisseur dans cet écosystème digital et dans cette ville de Cagliari où je vis. J’ai fondé Net Value qui est une sorte d’incubateur d’entreprises où nous faisons de l’investissement et où nous aidons les jeunes à monter leurs entreprises. Je suis associé à un fonds de capital-risque italien qui investit dans les startups. Je suis, donc, venu raconter à des insulaires une histoire qui s’est faite dans une île voisine de la leur, qui a, sur divers points, des caractéristiques identiques. Je pense que mon expérience peut être utile, d’abord aux chefs d’entreprise de Femu Qui et à d’autres de divers secteurs qui peuvent construire en Corse un parcours similaire à celui de Cagliari en Sardaigne.
 
- La Sardaigne a une économie sinistrée. Comment Cagliari a-t-elle pu construire un tel parcours ?
- L’économie de la Sardaigne va mal, elle est, d’un point de vue général, très faible. L’île vit du tourisme qui est le secteur où les industries sont les plus modernes. L’industrie de la transformation, notamment la pétrochimie, est en fin de course. Le secteur digital de Cagliari a réussi, grâce à Internet, mais aussi au tourisme et aux entreprises présentes dans cette ville, à construire une économie florissante. Mais Cagliari ne représente qu’un tiers de la Sardaigne, le reste de l’île est globalement pauvre, notamment les villages de l’intérieur. L’économie du digital n’est pas une solution pour toute la Sardaigne, c’est juste un exemple de réussite dans une île qui ne va pas bien.
 
- Qu’est-ce qui a permis cette réussite ?
- A la base de tout, il y a la diffusion de la culture digitale. Grâce à une série d’investissements de la région sarde pour développer cette culture s’est créée une infrastructure digitale avec des compétences qui ont permis la naissance et la croissance de nombreuses entreprises dans les secteurs les plus divers. Par exemple, la startup MoneyFarm s’occupe de FinTech, de technologie financière. Dans le même secteur, MutuiOnline, qui est née il y a 6 ans, connaît un succès fulgurant, des investisseurs italiens y ont investi 40 millions d’euros. Elle est, aujourd’hui, cotée en bourse et emploie plusieurs centaines de personnes. Toujours dans le secteur financier, Sardex.net est une plateforme de services qui a mis en place une monnaie complémentaire à l’euro, une monnaie locale. Elle permet, dans toute la Sardaigne, à partir de comptes courants et d’une application, de payer les biens et les services. D’autres startups ont connu une grande croissance. Tiscali, qui est devenu le 3ème plus grand fournisseur d’accès Internet d’Europe et est présent dans 15 pays, est né à Cagliari.
 
- Vous parlez d’investissement de la région Sarde. Quel rôle concret a joué la région dans le développement et la réalisation des projets ?
- Je ne sais pas combien d’argent a été mis en tout. Cette histoire est née il y a 30 ans parce que la région Sarde décide, avec IBM, de mettre à Cagliari un superordinateur IBM relié à Internet. Arrivent, du Centre de recherche de Genève, le prix Nobel de physique, Carlo Rubbia, avec des chercheurs qui vont inventer l’Internet moderne. Ils inventent le langage HTML qui permet de créer et de structurer des pages Web, et le browse pour interpréter les pages HTML. Grâce à des financements de la région, ils développent cette compétence digitale. Voyant cela, un entrepreneur sarde, Nicola Grauso, qui était l’éditeur du journal « L’unione sarda », décide de mettre son journal sur Internet. Ce sera le premier quotidien mis en ligne en Europe et le 3ème dans le monde. Puis, Grauso lance le premier service commercial en ligne, Video On Line, qui devient le premier fournisseur d’accès à Internet d’Italie, racheté deux ans plus tard par Telecom Italia. Celui-ci ne sachant pas faire d’Internet ouvre la première entreprise d’Internet italienne Tin.it à Cagliari, où sont concentrées les compétences. Et c’est ainsi que les compétences se sont développées et qu’est née Tiscali. Nous l’avons créé à trois. En 4 ans, la startup a conquis 15 pays européens, dont la France, et a acheté notamment Liberty Surf. Nous avions 2 millions de clients en Angleterre et 8 millions en Europe.
 
- Par rapport à la Sardaigne, la Corse a 30 ans de retard. Comment les combler ?
- C’est simple. En même temps que survenaient toutes ces choses à Cagliari, la région sarde a mis en place une agence régionale qui s’appelle « Sardegna Ricerche » pour investir dans l’économie de la connaissance, dans des projets de recherche en collaboration avec l’université et les entreprises et aussi pour financer les startups. Cette agence a donné des petites contributions pour permettre aux startups de démarrer et de grandir. De nombreuses startups ont reçu de 100 000 € à 300 000 € de subventions dès la phase initiale de leur projet. Beaucoup ont échoué, mais ces entrepreneurs, même ceux qui ont échoué, sont des gens très dynamiques qui sont, ensuite, allés travailler dans des startups plus importantes. De cette façon, l’écosystème digital s’est renforcé. En 30 ans, la région n’a jamais cessé d’investir dans ce secteur. Ces dernières 4 années, elle a investi 150 millions € dans des projets universitaires, des projets d’entreprise, des innovations et des startups. La Corse ne doit pas nécessairement suivre le même chemin que la Sardaigne.
 
- Que peut-elle faire ?
- La technologie digitale est invasive, elle est partout. Il y a tant de secteurs dans lesquels elle peut être appliquée et peut faire naître des entreprises innovantes. C’est un composant fondamental de l’économie moderne. Aujourd’hui, par exemple, on travaille beaucoup ces technologies en médecine ou dans le secteur de l’agriculture avec un mix digital-agricole. Au lieu de mettre 100 kilos de pesticides sur une culture, on peut n’en mettre qu’un kilo parce que la technologie digitale permet de définir ce qui est nécessaire. On peut faire tant de choses ! L’important est d’avoir une approche innovante et une politique d’investissement en continu sur le long terme. On ne peut pas investir une année oui, l’autre non. La réussite de Cagliari est une histoire de 30 ans. Il faut persévérer. La France a un capital-risque dix fois supérieur à l’Italie : 2 milliards € contre 200 millions €.
 
- Pour démarrer des startups, il faut quand même des fonds importants, un certain volume financier ?
- Non ! Il faut d’abord une idée et des entrepreneurs, l’argent vient après. Des entrepreneurs qui ont une idée et investissent leur propre argent dans cette idée. Ensuite, les financements viennent. Mais si on n’investit pas son propre argent, les financements n’arriveront pas. Nicola Grauso n’était pas un expert, ni un financier, mais un éditeur qui a compris l’importance des technologies numériques issues du Centre de recherches, il les a apprises et a créé Video On Line. Il a transformé les compétences des chercheurs en une entreprise digitale. Les entreprises, qui réussissent aujourd’hui, ne sont pas celles qui inventent les technologies, mais celles qui les adoptent et les adaptent pour améliorer les choses, améliorer les usages.

- Quels conseils donnerez-vous aux jeunes Corses qui veulent monter une startup ?
- L’idée arrive quand on s’ouvre au monde. La première chose est, donc, d’avoir l’esprit ouvert. Les jeunes doivent, d’abord, voyager, connaître d’autres choses et les approfondir. S’ils ont cette aptitude à imaginer le monde, cette curiosité, alors les idées finissent par venir. Et lorsqu’un jeune a une idée, il trouve les personnes qui ont les compétences complémentaires pour développer cette idée et la transformer en business. Et c’est en unissant petit à petit les idées et les compétences que le succès arrive. Moi qui suis un investisseur, si j’ai en face de moi une équipe qui a une idée et des compétences pour la mettre en œuvre, je suis prêt à prendre un risque et à investir des fonds pour monter cette startup. Mais d’abord, il faut que l’entrepreneur mette tout son temps et tout son argent pour réaliser son rêve. S’il ne le fait pas, pourquoi d’autres le feraient-ils à sa place ?
 
Propos recueillis par Nicole MARI.