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ENTRETIEN. François-Régis Gaudry : "J’ai un lien très particulier avec la cuisine corse"


Livia Santana le Vendredi 30 Septembre 2022 à 17:47

À l'occasion de la quarantième édition du festival Arte Mare qui se déroule à Bastia du 30 septembre au 9 octobre, le critique culinaire et journaliste gastronomique d'origine corse François-Régis Gaudry, a enregistré son émission radio "On va déguster" au théâtre municipal de Bastia. Dans une interview accordée à CNI, l'amoureux des saveurs insulaires revient entre autres sur les particularités du terroir, ses possibilités de développement et les saveurs qui ont marqué son enfance.



François-Régis Gaudry, journaliste et critique culinaire, auteur de "On va déguster l'Italie"
François-Régis Gaudry, journaliste et critique culinaire, auteur de "On va déguster l'Italie"
Quelle est la raison de votre venue en Corse ? 
Nous avons enregistré l’émission « On va déguster » au théâtre de Bastia ce vendredi et elle sera diffusée sur France Inter ce dimanche 2 octobre à 11 heures. Dedans on explore les patrimoines culinaires du monde entier, mais c’est vrai que j’ai une affection particulière pour la Corse. L’an passé nous sommes allés enregistrer une émission à Ajaccio, mais il me tardait d’en consacrer une à la Haute-Corse, car il n’y a pas une cuisine corse, mais des cuisines corses avec une mosaïque de différents savoir-faire qui se sont développés selon les climats, les sols et les traditions.

- La cuisine corse est chère à votre cœur …
- Je viens de Soriu dans le Nebbiu où j’ai eu la chance d’appartenir à une famille qui aime vraiment le bien manger, où on attachait une importance particulière à ce qu’il y avait dans notre assiette. La cuisine du Nebbiu de mon arrière-grand-mère m’a bercé mais aussi celle de ma grand-mère bastiaise et de ma mère lyonnaise. Tout petit je mangeais déjà le fiadone de ma grand-mère, ses courgettes farcies au brocciu… Après j’ai grandi, je suis devenu journaliste, j’ai voyagé, mais la cuisine corse est toujours restée près de moi, j’ai un lien très particulier avec elle. 

Cela pourrait aller dans le sens d’une autonomie alimentaire ? 
Économiquement c’est encore compliqué, car nous avons affaire à l’émergence de sentinelles qui sont de nouveaux porte-parole dans le terroir. Sur le plan de la transformation, c’est encore problématique, car il y a une volonté et une prise de conscience sur l’idée qu’il faut se réapproprier notre alimentation et notre production. On n’y est pas encore, ça prend du temps, mais il n’est pas impossible que cela se transforme plus vite que prévu.

Au-delà du lien affectif qui vous relie à elle, qu’aimez-vous dans cette cuisine ?
- C’est une cuisine méditerranéenne, mais qui a ses spécificités. J’aime dire que c’est une cuisine des fonds et des monts.Par son relief, ses sols et ses climats, on n’a pas les mêmes recettes et cela a donné un patrimoine culinaire très diversifié.La cuisine est à la foi agropastorale avec la charcuterie et les fromages, une cuisine de la mer comme à Ajaccio et dans le Cap Corse, une cuisine lacustre avec l’étang de Diana ou d’Urbinu, une cuisine très maraîchère et possède une diversité de vins extraordinaire… c’est une espèce de corne d’abondance incroyable que je continue à explorer.
 
De plus en plus de jeunes chefs talentueux s’engagent pour une cuisine plus durable, basée sur le circuit court, est-ce l’avenir de la cuisine ? Quelle place à ce phénomène en Corse ? 
- La Corse a des atouts immenses par son territoire naturel très diversifié, mais encore très préservé. Comme partoutl’agriculture productiviste a fait des dégâts, mais je pense que la Corse a une chance unique à saisir, préserver un modèle alimentaire à la fois vertueux et qui repose sur un terroir relativement protégé. Au niveau local il y a beaucoup d’initiatives qui vont dans ce sens. Par exemple, on voit des personnes qui font du pain avec des farines anciennes corses, là où c’était impossible d’y penser il y a 20 ans. Aussi, il y a une énergie folle en matière brassicole. Cette démarche me réjouit, car les métiers agricoles avaient pris un coup dans l’aile. Finalement, les jeunes s’y remettent. Ils ont une démarche sincère, intègre, mais aussi identitaire sans se replier et se fermer du monde.
 
Vous connaissez bien le terroir, quel est selon vous le produit à côté duquel il ne faut pas passer lors d’un séjour sur l’île ? 
- Pour moi la cuisine corse est avant tout hivernale. Il y a un produit qu’il ne faut surtout pas goûter l’été car il n’a pas lieu d’exister : le figatellu. Ce produit est un peu mon petit rendez-vous annuel. J’aime cette espèce de sensation, cette texture, ce goût intense, puissant, ces notes fumées du feu de bois. Je le mange avec un pain bien imbibé, pour moi c’est une expérience rare que je pratique depuis longtemps puisque petit ma grand-mère de Bastia nous envoyait chaque année un carton avec du figatellu dedans. Ce n’est pas une saveur évidente, elle peut déplaire mais pour moi il représente à la fois la tradition, la puissance et la délicatesse corse. 

Une spécialité et un produit que vous affectionnez particulièrement ? 
- Je suis profondément sensible à ce parfum, cette odeur et senteur unique à la Corse et même plus particulièrement à la Haute-Corse qu’est la Nepita. Quand je froisse une feuille, c’est tout un voyage nostalgique dans lequel je suis embarqué. Il y a à la fois ces notes camphrées, mentholées, ce parfum de maquis. Je l’aime fraîchement cueillie, c’est une sensation difficilement exportable. 
 
Un produit corse sous-estimé ? 
- Depuis tout petit, ma mère cueillait les anémones de mer pour en faire des beignets. Il y a très peu de régions dans le monde où c’est le cas. A Marseille un petit peu, en Italie… mais c’est une espèce d’animal que l’on a laissé de côté parce qu’elle a des filaments, elle est bizarre, elle crache du venin donc on s’en méfie un peu, il faut la ramasser, elle est dure à ramasser, mais c’est pour moi une saveur d’une profondeur incroyable. Cela ressemble à la texture d’une cervelle d’agneau que me préparait ma grand-mère, le mou fondant avec cette longueur en bouche marine exceptionnelle. C’est un bien précieux et sous-estimé.

- On connaît votre attachement à la cuisine insulaire, est-ce qu’on pourrait penser à un « on va déguster la Corse ? »
J’y pense activement. Pour moi la Corse pendant longtemps, professionnellement cela a été une espèce de jardin secret. J’ai beaucoup voyagé et la Corse c’était quelque chose que je gardais pour moi mais je me rends compte que là j’ai amassé des connaissances, des contacts… le projet est en train de maturer. En plus, j’ai un partenaire privilégier qui est mon cousin germain Stéphane Solier pour entamer cette aventure. 

De la télé, de la radio, des livres… vous êtes un véritable couteau suisse, quel projet pourrait encore vous animer ? 
- Je cuisine beaucoup au quotidien, j’adore glaner des recettes là où je trouve que c’est bon puis les passer et les transmettre.Alors, pourquoi pas approfondir et amasser des recettes.

Une centaine de spectateurs est venue assister à l'enregistrement de l'émission diffusée ce dimanche 2 octobre sur France Inter
Une centaine de spectateurs est venue assister à l'enregistrement de l'émission diffusée ce dimanche 2 octobre sur France Inter