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DOSSIER. Quel est le périmètre d’action des maires face à la misère et à la pauvreté ?


le Dimanche 23 Octobre 2022 à 19:14

Partout en France, des municipalités et des citoyens ont, à l’échelle communale, choisi de réinventer les codes et mis en place des actions inspirantes afin de répondre aux questions majeures du XXIème siècle telles que la lutte contre la précarité énergétique et la pauvreté.
Des exemples que l’auteur Mathieu Rivat en a recensé dans son livre « Ces maires qui changent tout : le génie créatif des communes », publié en 2017 aux éditions Actes Sud. Il était l’invité du colloque de la Coordination inter-associative de Lutte contre l’Exclusion vendredi soir à Ajaccio afin d’évoquer des exemples en zone rurale. De quoi peut-être donner de nouvelles idées à des communes insulaires.



Mathieu Rivat
Mathieu Rivat
- En 2017, vous avez publié « Ces maires qui changent tout, le génie créatif des communes ».  Quelle était l’idée de cet ouvrage ?
- L’idée était d’essayer de voir dans quelle mesure les municipalités peuvent être un accélérateur des transformations économiques, sociales et démocratiques que réclame le XXIème siècle. Dans quelle mesure elles peuvent jouer un rôle de premier plan pour faire face aux grands enjeux sociaux et écologiques du siècle. Il s’agissait surtout d’essayer de faire un travail d’enquête, d’aller regarder ce que peut construire un maire, son équipe municipale et les citoyens. 
 
- Dans ce livre, vous vous intéressez à deux grands domaines, la justice sociale et la justice environnementale, et, en vous appuyant sur de multiples exemples, vous y donner des clefs pour être un outil de réflexion. Justement quel est le périmètre d’action des maires aujourd’hui face à la misère et à la pauvreté ?
- Ce qui m’intéressait c’était de concilier les deux sujets. D’une part, parce que souvent on fait de l’écologie un sujet pour bobos et c’est un peu malheureux, dans le sens où c’est un sujet qui concerne les classes sociales les plus défavorisées. Dans le livre il y a plusieurs exemples qui le montrent, la convergence peut se faire sur un certain nombre de sujets, notamment les questions de rénovation thermiques. Je prends par exemple le cas de Loos-en-Gohelle, une commune dans le Nord de la France qui a un passé minier et où tout le bâti était dégradé. Les habitants y vivaient une réelle précarité énergétique, puisqu’ils consacraient 20% de plus qu’un ménage moyen de leur budget au paiement de leurs factures énergétiques. Le maire a proposé de rénover l’ensemble des bâtiments d’un point de vue thermique, ce qui fait que la facture énergétique des ménages est descendue de plus de 100€. Cela a été pour eux un réel gain en termes de pouvoir d’achat. Cette commune a aussi été l’une des premières à mettre en place l’habitat social collectif aux normes Haute Qualité Environnementale, en disant que c’est aussi un sujet pour les classes populaires d’avoir accès à des logements efficaces au point de vue énergétique, parce que derrière il y a la question des factures. La question sociale va de toutes façons de plus en plus découler de la question écologique. 
 
- Dans votre ouvrage, vous prenez en exemple de grandes communes comme Paris ou Grenoble, mais aussi de plus petites qui ont, elles aussi, mis en place des initiatives audacieuses pour répondre aux enjeux actuels. La taille n’est donc pas un frein ?
- Chaque exemple a ses avantages et inconvénients. Une petite commune a moins de financements, forcément, mais de fait elle a une plus grande facilité de mise en œuvre dans le sens où il y a une complexité moindre en termes de jeu politique. Et puis, il y a aussi une facilité de coordination, de coopération qui est quand même un avantage certain. Sur les plus grandes communes, la force c’est leur capacité financière qui est réelle. Par contre, c’est certain que sur l’action en tant que telle il y a tout de suite une complexité plus grande liée à des enjeux politiciens qui peuvent parfois venir un peu freiner l’action. Mais dans tous les cas, le livre est là pour le montrer, même une petite commune qui a des moyens limités peut imaginer des leviers d’action innovants. 
 
- La Corse est depuis de nombreuses années frappée par une pauvreté et une précarité  galopantes. En parallèle, son territoire est essentiellement constitué de petites communes rurales. Comment peuvent-elles agir malgré des moyens moindres ?
- Comme ce sont des communes qui ont probablement des marges financières faibles pour agir, cela peut effectivement être difficile. Mais j’ai pu observer des initiatives innovantes dans de petites communes, comme à Trémargat en Bretagne qui compte à peu près 400 habitants. C’est un village rural, très agricole. Là-bas, les habitants se sont vraiment dits que la commune était le cadre qu’il leur fallait pour pouvoir s’organiser collectivement pour gérer le territoire. Et puis ce qu’ils m’ont confié, c’est que le fait que la commune ait peu d’argent les a obligés à être imaginatifs et innovants sur un certain nombre d’actions, comme sur leur principal enjeu qui était de conserver le foncier. Ils voulaient en sorte que toutes les terres qui se libéraient au niveau de la commune ne partent pas soit pour de l’agriculture intensive, soit pour faire des zones commerciales. La commune a ainsi constitué une SCI où elle a mis un peu d’argent et a aussi fait appel à des dons de citoyens pour constituer un petit fonds. Ainsi, quand une terre se libérait sur la commune, elle présentait à la SAFER un projet pour permettre à de jeunes paysans qui n’avaient pas de liens familiaux dans le monde agricole de s’installer. À plusieurs reprises, le projet a réussi et la commune a pu installer des maraîchers, des éleveurs ovins et bovins sur son territoire. Cela a donc permis aux nouveaux installés de payer à la mairie un loyer très faible, ce qui évite l’endettement qui est souvent un problème quand on est paysan et qu’on n’a pas de terre, et puis à la commune d’avoir des paysans qui s’installent sur son territoire qui vivent sur la commune. Aujourd’hui, elle compte 14 fermes bio et paysannes son territoire. Dans un village qui connaissait un exode rural très fort, la tendance a été inversée en 20-30 ans et le territoire est devenu attractif. Il y a donc des leviers possibles pour les petites communes. Et puis, pour moi les zones rurales sont le vrai enjeu pour demain, puisque c’est là où se situent les terres arables. C’est là où la richesse existe, même si on a perdu cette notion car on est dans un monde hors sol.