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Clémentines corses : Des débouchés, un marché d’avenir, mais une production encore trop faible !


Nicole Mari le Mercredi 16 Décembre 2015 à 00:13

Profitant de la clôture de la campagne de récolte de la clémentine corse, le Préfet de la Haute-Corse, Alain Thirion, s’est rendu, mardi après-midi, en Casinca et en Costa-Verde, pour rencontrer les producteurs et les professionnels de la filière agrumes. Il a, d’abord, visité la structure de conditionnement AgruCorse à Folelli, puis le GIE Corsica Comptoir à Moriani, ainsi que les vergers alentours. L’occasion de faire le point sur, à la fois, la réussite et les difficultés d’une filière d’avenir qui bénéficie d’un label de qualité reconnu et de l’IGP (Indication géographique protégée), mais souffre de sous-production. Explications, pour Corse Net Infos, d’Alain Thirion, suivies de celles de Jean-Paul Mancel, président de l’APRODEC (Association de promotion et de défense de la clémentine de Corse).



Alain Thirion, préfet de Haute-Corse, visitant la structure de conditionnement AgruCorse à Folelli, en compagnie de son directeur Mathieu Donati, des représentants de la filière et de Jean-Paul Mancel, président de l’APRODEC.
Alain Thirion, préfet de Haute-Corse, visitant la structure de conditionnement AgruCorse à Folelli, en compagnie de son directeur Mathieu Donati, des représentants de la filière et de Jean-Paul Mancel, président de l’APRODEC.
- Pourquoi vous intéressez-vous à la clémentine corse ?
- C’est la fin de la récolte. C’était, maintenant ou jamais, l’occasion de voir comment le système était organisé. C’est un très bel exemple de réussite d’une profession qui s’est regroupée sur l’ensemble de la filière, de la production jusqu’à la distribution. Un travail intéressant est effectué au niveau de la qualité. Tout le monde connaît, aujourd’hui, la clémentine corse qui s’exporte si bien que, quelque soit la production, il n’y en a jamais assez ! La clémentine est un marché très prometteur et très bénéfique pour l’image de qualité des produits corses. Le même travail est en train de se faire pour le pomelo, le citron ou le kiwi. Le but est d’assurer la promotion des produits corses qui sont des produits de qualité à des prix permettant aux producteurs de vivre tout à fait décemment.
 
- Comment la clémentine corse peut-elle lutter contre la concurrence espagnole qui affiche des écarts de prix de 1 à 3 ?
- Le secteur exporte entre 85% et 90% de sa production sans aucune difficulté. L’année dernière, la production a atteint entre 35 000 et 40 000 tonnes. L’intégralité a été vendue. Il n’y a, donc, pas de problème de débouchés. Du moment que l’ensemble de la profession a réussi à s’organiser autour de l’IGP, elle est dans une logique de développement. La clémentine corse est reconnue partout pour sa qualité. Des personnes sont prêtes à payer plus cher pour avoir une clémentine plus juteuse, un peu plus acide… Ce fruit n’a pas grand chose à voir avec les fruits espagnols ou marocains qui sont de qualité beaucoup plus médiocre et ne s’adressent pas au même public. C’est plutôt rassurant !
 
- Que manque-t-il à cette filière ?
- D’assurer la continuité de la production dans la durée puisque, elle varie, d’une année sur l’autre. Faire en sorte que la chaine fonctionne bien de la production jusqu’aux débouchés en passant par la problématique des transports. Nous avons fait en sorte qu’au moment de la collecte, les 10 000 ou 12 000 tonnes qui devaient, à tous prix, trouver un débouché maritime, l’ont trouvé. Nous avons, sur une période courte de quelques semaines, apporter un certain nombre de solutions. Enfin, donner à ce produit, comme à d’autres, la possibilité de bien se vendre dans l’ensemble du secteur de la grande distribution.
 
- Quelles demandes vous ont été faites par les représentants de la filière ?
- Il y en a eu plusieurs. D’abord, le souci d’une plus grande simplicité, notamment sur les modalités d’application du code de travail concernant la main d’œuvre saisonnière qui arrive d’ailleurs. Nous y travaillons avec l’unité de la DIRRECTE. Ensuite, favoriser, en cas d’intempéries et surtout de grêle, les dispositifs de prise en charge, notamment des filets de protection. Nous réfléchissons à un certain nombre d’aides avec les collectivités concernées comme l’ODARC. Enfin, permettre aux jeunes d’avoir, sur ce marché qui fonctionne bien, les débouchés qu’ils attendent. Sur toutes ces questions, les professionnels ont compris que nous étions des interlocuteurs attentifs. Nous sommes dans une logique de résolution de problèmes et d’apport de solutions.
 
- Vous parlez des jeunes. S’implanter dans une filière végétale nécessite beaucoup de moyens au départ. Comment les aider ?
- Un travail global doit se faire avec tous les acteurs concernés, y compris la CTC (Collectivité territoriale de Corse) qu’il ne faut pas oublier ou le lycée agricole qui est rentré dans une grande logique de professionnalisation avec des intervenants de qualité. L’élément majeur de ce secteur est, d’une part, de disposer de professionnels qui connaissent parfaitement la réalité de leur métier. La clémentine est un métier à part. Cette logique-là est enclenchée et commence à produire ses effets. D’autre part, faciliter les conditions d’installation des jeunes, les aider à obtenir les prêts nécessaires, mobiliser les subventions en liaison avec les interlocuteurs publics et les chambres d’agriculture qui ont vocation à faire cette intermédiation. Les outils, que l’on met en place, sont plus intéressants que ceux qui existaient auparavant, même s’il reste encore pas mal de choses à faire.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.
 

Jean-Paul Mancel, président de l’APRODEC (Association de promotion et de défense de la clémentine de Corse).
Jean-Paul Mancel, président de l’APRODEC (Association de promotion et de défense de la clémentine de Corse).
Jean-Paul Mancel, président de l’APRODEC : « La clémentine corse n’est pas en concurrence avec la clémentine espagnole, c’est un autre produit ! »

- Quel est le volume de la production annuelle de clémentines corses ?
- Les quantités sont très variables. Elles varient de 34 000 tonnes, l’année dernière, à 16 000 ou 17 000 tonnes, cette année. La moyenne est de 20 000 tonnes par an.
 
- Qu’est-ce qui explique de telles variations ?
- La Corse se situe à la limite Nord de la zone de production des agrumes. Les fluctuations et les incidents climatiques agissent sur de jeunes vergers qui ne fonctionnent, ainsi, plus très bien. Par exemple, en mars dernier, il y a eu énormément de vent qui a déplumé les arbres. Ce qui a eu un mauvais effet sur la production. Ces aléas, qui surviennent de temps en temps, expliquent pourquoi la production varie sensiblement.
 
- Quel est le profil du producteur corse de clémentines ?
- La Corse compte 130 producteurs de clémentines d’une moyenne d’âge de 55 ans. C’est, donc, une filière où les agriculteurs sont assez âgés. La superficie moyenne des vergers d’agrumes est de dix hectares. Il y a deux types d’exploitations : celles en monoculture dépassent généralement dix hectares. Les producteurs, qui ne disposent que de dix hectares, associent, toujours, la clémentine à d’autres cultures comme le pomelo, le kiwi, voire la vigne.
 
- Quelles sont les réussites et les difficultés de la filière clémentine en Corse ?
- Les réussites d’abord. L’obtention de l’IGP, il y a sept ans, a donné, à la clémentine de Corse, une très grande notoriété. Elle a trouvé son marché et se vend de mieux en mieux. Les difficultés, que nous rencontrons, sont, d’abord, liées aux problèmes du transport par bateau. Chaque année, nous y sommes confrontés. D’autres difficultés sont d’ordre climatiques. Les années où il y a beaucoup de pluies et une forte chaleur entrainent des problèmes qualitatifs. Enfin, il y a des difficultés de passation d’exploitation. Nous avons beaucoup de mal à trouver des jeunes qui acceptent de reprendre les plantations d’agrumes.
 
- Le problème lié aux transports est-il si récurrent ?
- Oui ! Chaque année, il y a des problèmes parce qu’une compagnie, qui se nommait la SNCM, a des conflits sociaux. Pratiquement chaque année, il y a eu des mouvements de grève à la période de récolte. Nous avons, chaque fois, été pris en otages. Ce qui est très préjudiciable ! Une journée ou deux de non-approvisionnement sur le continent nous coupe des lignes et nous fait perdre des ventes. Plus ça va, moins on peut se permettre ce genre de choses !
 
- Si peu de jeunes s’installent dans la filière agrumes, ne sont-ils pas, avant tout, bloqués par le manque de foncier et de moyens ?
- C’est vrai ! C’est très compliqué pour un jeune de s’installer, en agrumes, en partant de zéro. Il faut d’abord qu’il dispose de foncier. Ensuite, l’installation d’une plantation d’agrumes coûte très cher. Enfin, il faut attendre au minimum sept ans pour espérer un revenu. Pour un jeune qui veut s’installer exclusivement en agrumes, c’est impossible ! Il n’y a pas beaucoup de solutions. Il doit avoir une autre culture à côté qui soit rentable plus vite, lui permettant, ainsi, d’attendre. Il faut, aussi, favoriser les reprises d’exploitations.
 
- En même temps, peut-on dire que la clémentine est, de nouveau, une filière en plein développement ?
- Oui ! On a stoppé l’hémorragie. Il y a 25 ans, la filière comptait 3 000 hectares. Aujourd’hui, seulement 1200 hectares. Il y a eu une déperdition très nette ! A une époque, la production atteignait 40 000 tonnes. Elle est tombée en moyenne à 20 000 tonnes. On a réussi à stabiliser la profession. Il y a, quand même, des jeunes qui s’installent, des fils ou des filles de… reprennent des exploitations. C’est encourageant, mais ça ne suffit pas. Il faut inciter plus de jeunes à s’installer et augmenter la production pour la stabiliser à 30 000 tonnes par an. Aujourd’hui, en Corse, on sait vendre 30 000 à 34 000 tonnes de clémentines. Quand, comme cette année, la production n’est que de 17 000 tonnes, on perd les clients que l’on ne peut pas fournir.
 

- Cela signifie-t-il que la Corse est en sous-production ?
- Oui ! C’est très dommageable ! Cette année, faute de production, des clients se sont peut-être désintéressés de l’origine corse et se tournent vers l’Espagne. Ce sera difficile, l’an prochain, de les ramener vers nous. L’idée est de perdre le moins de clients possibles.
 
- Quel pourcentage de la production est écoulé sur le marché local et quelle part est exportée ?
- C’est difficile à déterminer ! Il y a peu de chiffres. On a l’habitude de dire qu’environ 1000 tonnes sont vendues en Corse, c’est-à-dire 5%, mais cela échappe à la profession organisée. Le reste est exporté, pratiquement en totalité, sur les marchés français. Même s’il y a des agrumes, surtout des citrons, dans la région de Nice et de Menton, la Corse est la seule région française productrice de clémentines. Une petit part est vendue en Suisse. Quelques pays, comme l’Angleterre, s’intéressent à la clémentine corse, mais, là aussi, tant qu’on n’aura pas une sécurité et une régularité de production, on ne pourra pas s’attaquer à des marchés européens. On a déjà du mal à assurer l’approvisionnement en France ! Ce fameux objectif de 30 000-34 000 tonnes nous permettrait, justement, d’être fiables sur ces marchés qui, eux, n’acceptent pas du tout que l’on soit présent une année et pas l’autre.
 
- Parmi les agrumes corses, est-ce la clémentine qui se vend le mieux ?
- Oui, pour l’instant ! Elle est talonnée par le pomelo qui a obtenu l’IGP, il y a un an. Il commence suivre le chemin de la clémentine, à être reconnu et a développé un marché auprès de la grande distribution. Le prix, payé au producteur, est en train d’augmenter. L’orange de Corse, qui était, jusqu’à présent, très peu exportée à cause de la concurrence de l’Espagne, du Maroc et de la Sicile, bénéficie depuis un an d’une vraie démarche auprès de nos clients de clémentines. Petit à petit, elle commence à être, elle aussi, demandée et on parvient à ouvrir des marchés qui sont prometteurs et rémunérateurs.
 
- Comment vivez-vous la très forte concurrence espagnole et les écarts de prix de 1 à 3 entre vos produits ?
- Je ne sais pas si le rapport de prix est aussi grand ! Il est plutôt de 1 à 2 ! Mais, c’est vrai qu’il y a une très forte différence de prix entre la clémentine espagnole et la clémentine corse, à l’exception de certaines démarches telles que « la succulente » espagnole qui se vend souvent aussi cher que la Corse en raison de son sérieux et de sa qualité. Le prix corse est du à la notoriété, à la qualité et à la fraicheur de la clémentine corse, qui arrive, très fraiche chez le consommateur, ce qui n’est pas souvent le cas du produit espagnol.
 

- La qualité de la clémentine n’est-elle pas aussi affectée par la quantité de pesticides qu’elle reçoit. Quelle est votre politique en la matière ?
- Il y a une très grande différence au niveau des pesticides entre la clémentine corse et la clémentine espagnole. Déjà, au niveau de la réglementation : en France, très peu de produits phytosanitaires sont homologués pour les agrumes, contrairement à l’Espagne qui en autorise beaucoup plus. Ensuite, les Espagnols ont un très fort programme de traitement, entre 15 et 16 traitements par an sur les arbres, plus un traitement après récolte pour conserver les fruits plus longtemps. En Corse, outre le peu de produits, nous sommes engagés sur des élevages d’auxiliaires, c’est-à-dire de petites bêtes qu’on lâche dans nos champs et qui mangent les prédateurs tels que la cochenille asiatique…
 
- Est-ce de l’agriculture raisonnée ?
- Oui ! Pour la mouche méditerranéenne, nous disposons de piégeages massifs qui nous évitent de traiter. S’il faut vraiment traiter, nous utilisons des produits BIO qui sont généralisés dans toutes les exploitations en Corse, même celles qui ne sont pas BIO. Contre la ciccadelle, nous employons de l’argile, un autre produit Bio, absolument pas nocif, en remplacement des traitements phytosanitaires. Les producteurs corses ne font que 2 à 3, voire 4 traitements phyto par an contre 15 à 20 chez les Espagnols. Au niveau qualitatif et phytosanitaire, les deux produits n’ont rien à voir.
 
- La clémentine espagnole ne vous porte-elle aucun préjudice ?
- Non ! Avec tout le travail que nous avons réalisé, l’IGP, les campagnes de communication et les services commerciaux qui se sont organisés, la clémentine corse a vraiment sa niche, ses acheteurs et ses consommateurs. Les gens la reconnaissent et l’attendent. Elle n’est pas en concurrence avec la clémentine espagnole. C’est vraiment un autre produit !
 
Propos recueillis par Nicole MARI

Alain Thirion rencontre les acteurs de la filière clémentine au GIE Corsica Comptoir à Moriani.
Alain Thirion rencontre les acteurs de la filière clémentine au GIE Corsica Comptoir à Moriani.