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Cherté des carburants : L’Assemblée de Corse acte des pistes d’action pour faire baisser les prix


Nicole Mari le Samedi 2 Octobre 2021 à 21:02

Comment réussir à diminuer le prix des carburants en Corse ? La question ancienne, récurrente et complexe a été examinée, vendredi après-midi, en fin de session de l’Assemblée de Corse avec un certain consensus et des avancées notables. Les causes des surcoûts ont été identifiées et des pistes se dégagent : diminuer le monopole dans la distribution, mettre un mécanisme de régulation des prix consommateur et un fonds de garantie pour les détaillants et surtout négocier une évolution législative et règlementaire pour concrétiser ce nouveau dispositif. Le rapport a été adopté par la majorité et Core in Fronte, non-participation de la droite et du PNC-Avanzemu.



C’était une promesse faite aux Gilets jaunes et l’un des points-clefs de la Conférence sociale lancée par l’Exécutif corse, mais une promesse très difficile à tenir. « Le problème de cherté des carburants en Corse remonte à 1987. Plus de 34 ans sans que nous ne trouvions de solution satisfaisante, cela démontre que le problème est complexe. S’il avait été simple, il aurait été réglé avant ! Mandature après mandature, l’Assemblée de Corse s’est penchée sur ce problème sans réussir à trouver des solutions efficaces. Avec ce rapport, pour la première fois, nous ouvrons et balisons un chemin au plan politique et technique qui doit nous permettre de trouver des solutions ». Cette affirmation du président de l’Exécutif, Gilles Simeoni, en préambule de la présentation du rapport sur le secteur de la distribution des carburants routiers, ne soulève aucune contestation dans l’hémicycle de l’Assemblée de Corse, vendredi après-midi. Tout le monde est bien conscient de la difficulté de la tâche dans un contexte de crise économique et sociale et de flambée des prix à la pompe sur un marché extrêmement fluctuent, soumis à des logiques privées, difficiles à appréhender et à canaliser. Le rapport de l’Exécutif ne prétend pas donner de solutions miracles, mais de poser le décor et d’avancer des mesures concrètes permettant de supprimer ou de compenser le différentiel de prix existant entre la Corse et le continent.

Gilles Simeoni, Paul-Félix Benedetti et Nanette Maupertuis. Photo Michel Luccioni.
Gilles Simeoni, Paul-Félix Benedetti et Nanette Maupertuis. Photo Michel Luccioni.
Un monopole dangereux
Diverses études, notamment de l’Autorité de la concurrence, ont été menées pour mieux comprendre les raisons des surcoûts très pénalisants pour les consommateurs insulaires. Deux facteurs se cumulent : un coût moyen à la pompe supérieur à la moyenne française - près de 1,5 centime par litre de diesel et 2,9 centimes par litre de sans plomb - et l’impossibilité de bénéficier du régime fiscal des biocarburants qui ne sont pas distribués sur l’île. « Ce constat suffit à lui seul à légitimer l’intervention de la puissance publique, la recherche d’un prix juste, forgé en respectant la notion de bénéfice raisonnable des acteurs économiques du secteur, seule de nature à éviter les dérives, potentielles ou avérées, inhérentes à l’existence de marchés captifs ou de situations dominantes générés ou accrus par l’insularité », estime le président de l’Exécutif. « On a cherché à savoir si certains opérateurs prenaient une marge supérieure à celle pratiquée sur le continent ? S’ils faisaient des sur-bénéfices ? Quelles étaient les contraintes objectives ? Nous avons beaucoup avancé. Nous avons identifié l’ensemble de la chaîne ». Une chaine caractérisée par un approvisionnement unique et un monopole du groupe Ruby. « Une situation de monopole dans une île est potentiellement dangereuse. Cela ne nous convient pas ! », réagit Gilles Simeoni, tout en précisant : « L’Autorité de la concurrence, saisie par l’Etat, n’a constaté aucun abus de concurrence ou de position dominante ou de surprofits de la part du groupe Ruby ». En réponse à l’action de la Collectivité de Corse, le groupe Ruby l’invite en qualité de tiers-observateur au sein des instances décisionnelles des Dépôts pétroliers de la Corse (DPLC). Pour le président de l’Exécutif, « Il faut mettre un pied dans la place ». Ceci dit, « il faut réfléchir à des formes juridiques ou économiques pour casser ce monopole. L’une des solutions est de créer une structure d’économie mixte pour gérer l’approvisionnement. Cela va être mis à l’étude ». Idem pour la propriété des infrastructures de stockage.

Un système adapté
L’approvisionnement entraine également des surcouts liés à l’insularité, à la taille et la saisonnalité des structures de stockage. Sur le continent, la distribution au consommateur a comprimé les étapes intermédiaires, soit par une gestion directe et automatisée des compagnies pétrolières, soit par la vente des carburants comme produits d’appel dans les grandes surfaces. En Corse, les opérateurs récupèrent l’essence dans les dépôts pétroliers et l’amènent dans les 135 stations services, gérées par des exploitants propriétaires ou en location gérance. « Nous ne souhaitons pas remettre en cause le système de détaillants actuels, ni déstabiliser les emplois induits. Nous ne sommes pas favorables à ce que le carburant soit vendu dans les grandes surfaces comme produit d’appel. Notre recherche de solutions doit se concilier avec des projets de moyen et long terme pour faire émerger des solutions alternatives avec du transport collectif et de la mobilité douce. Nous devons construire un système adapté aux contraintes de l’île ». Gilles Simeoni résume les pistes d’actions : la lutte contre les situations de monopole et une réflexion spécifique sur les seuils de concentration en Corse, la diminution des surcouts objectifs, la mise en place d’un mécanisme de régulation des prix et des mesures de compensation au plan économique et social pour les détaillants insulaires et leurs salariés, mais aussi une évolution de la structure de la distribution et une fiscalité adaptée… Ce nouveau dispositif spécifique nécessite une évolution législative et règlementaire. « Il faut construire un système global dont, pour l’instant, nous n’avons pas les clés. Il faut ouvrir la discussion avec le gouvernement pour mettre en place le plus rapidement possible les solutions qui s’imposent ».

Jean-Martin Mondoloni. Photo Michel Luccioni.
Jean-Martin Mondoloni. Photo Michel Luccioni.
Encore trop d’opacité
Le rapport fait globalement consensus, comme l’exprime Jean-Martin Mondoloni, élu du groupe Soffiu Novu : « Un travail de fond a été opéré, mais la complexité de la construction du prix génère une opacité qui nous empêche d’y voir clair ». Il avoue son incompréhension des prix : « Concrètement, en faisant la somme de tous les efforts et même de nous être déplacés sur site, en lisant les rapports de l’Inspection des finances et de l’Autorité de la concurrence, on ne comprend pas ce différentiel. On parle grosso modo de 300 millions de litres, tous carburants confondus. L’État dit que sa part d’effort vaut 35 millions € par le jeu d’une TVA dérogatoire à 13% au lieu de 20%. Pour la CdC, l’effort est estimé à 7 millions € de par la non activation de la modulation TGAP. En gros, l’effort de la puissance publique est de 42 millions €. Du coup, on devrait observer un différentiel au litre de 14 centimes. On n’arrive pas à expliquer que le différentiel qui devrait être à notre avantage se retrouve, à l’inverse, à notre détriment ». Pour lui, le problème viendrait des tankers : « On doit comprendre ce qu’il se passe depuis la raffinerie de Fos, comment se décomposent au centime près les marges des uns et des autres ». Mais pas seulement : « L’Autorité de la Concurrence s’est limitée à la distribution sur le secteur local, laissant penser à tort que ce sont les stations qui s’engraissent. Du coup, il apparaît difficile de mettre en œuvre les mesures d’encadrement que vous proposez au nom du droit. Comment convaincre le gouvernement de faire usage de dérogations du moment que l’Autorité de la Concurrence dit qu’il n’y a pas monopole ? ». La droite dépose un amendement pour saisir l’Autorité de la Concurrence afin « d’élargir son champ d’expérimentation depuis Fos jusqu’à Cozzano ».
 
Une reconquête stratégique
Incompréhension également de Paul-Félix Benedetti, président du groupe Core in Fronte : «  Un pays qui ne maîtrise pas ses énergies est un pays qui ne se maîtrisera jamais. Je n’arrive pas à comprendre la notion de non-saisine de concentration, de monopole par l’Autorité de la concurrence. Il y a concentration ! Il faut au regard du droit que la Corse demande une adaptation règlementaire qui donne la possibilité d’une rétrocession d’actifs ». Il ne voit pas l’utilité de siéger au Conseil d’administration du groupe Ruby. « Notre position est la reconquête de ce qui est stratégique et le refus de faire les pantins ou de proposer une réfaction de TVA qui fera grossir les dividendes. Je suis favorable à l’esprit du rapport, mais pas sur le reste. Il faut envoyer un message clair au gouvernement, dire que l’on veut un règlement global qui permet de nous protéger, de ne pas nous faire spolier. Ce sont des millions d’euros qui sont ainsi pris aux plus démunis ». Il invite à déposer par le biais des parlementaires un projet d’évolution législative et règlementaire. Une nécessité actée également par Josepha Giacometti, élue de Corsica Libera qui partage la structure du rapport, la volonté affichée et le travail fait, mais « diverge totalement sur la question des moyens que nous aurons pour peser ». Elle rejette de même la proposition du groupe Ruby : « Nous sommes réservés sur la question du tiers-observateur qui a des effets pervers, comment la garantir, nous sommes partisans d’étudier une entrée au capital dans un secteur stratégique ».

Jean-Christophe Angelini. Photo Michel Luccioni.
Jean-Christophe Angelini. Photo Michel Luccioni.
Une évolution institutionnelle
La complexité du problème justifie, à elle seule, selon Jean Christophe Angelini, président du groupe PNC-Avanzemu, toutes les demandes d’évolution du statut de la Corse : « Ce rapport est un antidote à ceux qui opposent les problèmes institutionnels à la gestion du quotidien. S’il y a un problème qu’on ne pourra pas régler fondamentalement et durablement sans pouvoir règlementaire, c’est bien celui-là ! Il exige une évolution institutionnelle d’ordre règlementaire. Je ne crois plus à l’adaptation règlementaire, nous en avons fait notre deuil ! ». Pour lui, il faut agir sur deux leviers : l’approvisionnement et la fiscalité. « La petite station-service de village participe d’une forme de service public et ne peut être amalgamée à ces stations de groupes qui ont des positions dominantes. Attention à ne pas stigmatiser les nôtres ! ». Il récuse également l’offre du groupe Ruby : « Faut-il envoyer des gens siéger dans les Conseils d’administration ? La réponse est non ! Au mieux, c’est une caution, au pire, c’est un piège ! » et préfère une entrée en capital. Le groupe dépose deux amendements « pour être plus clairs sur les situations de contentieux et de sur-marges ». En tout, six amendements seront examinés en commission.

Un rapport attendu
Le groupe majoritaire Fa Populu Inseme insiste sur la nécessité de faire aussi baisser le trafic routier en offrant des alternatives par le développement de la mobilité douce et du train : « C’est en faisant baisser la consommation de carburants qu’on diminuera les monopoles. Il faut sortir du prisme mortifère : une personne, une voiture. Ce n’est plus possible ! Le train ira jusqu’à Folelli ! », affirme Louis Pozzo di Borgo. Tout en précisant : « Il y a cela que l’on peut faire seuls, et il y a ce que l’on ne peut pas faire seuls. Il y a un monopole du groupe Ruby et des sur-marges qu’il faut démontrer et combattre, mais c’est à l’Etat de démontrer qu’il y a monopole ou entente illicite ». La préfète a diligenté en 2018, auprès de la Direction de la concurrence et des fraudes, une enquête sur les prix des carburants en Corse, dont les conclusions devaient être divulguées en mai 2019 et ne le sont pas toujours pas. L’Exécutif corse l’a demandé en vain à trois reprises. « On est toujours dans l’attente de ce document crucial. Nous vous demandons de saisir l’Etat pour obtenir ce rapport qui nous permettrait d’agir au niveau du prix consommateur sans fragiliser la filière. Nous proposons aussi la constitution d’un fonds de garantie lié à la mise en place d’une fiscalité adaptée, comme dans les DOM-TOM ».
 
Un outil d’émancipation
La présidente de l’Assemblée de Corse, Nanette Maupertuis, intervient pour défendre la création d’un Institut territorial de la statistique, notamment titulaire des compétences des observatoires des prix et des marges, comme cela existe dans les territoires ultra-marins, une création jugée inutile par le CESEC et la droite. « Le CESEC prétend qu’il y a déjà l’INSEE, mais l’INSEE a des protocoles de recherche de données qui sont nationaux, sa mission n’est pas de travailler sur l’économie corse. Il faut à chaque fois lui faire une demande particulière. Ce que nous cherchons à quantifier, c’est le niveau des prix et les facteurs qui agissent sur ces prix. On a besoin pour cela d’un Institut qui travaille en ce sens, mesure les données, fait des analyses. Ce n’est pas un fétiche universitaire, c’est une procédure qui nous permet de gérer nous-mêmes les données et de prévoir les chocs exogènes. C’est un véritable outil d’émancipation. On a mis des années pour connaître le niveau du stock existant ! Il est important de ne pas répéter les mêmes erreurs ». Ce type d’Institut existe dans presque toutes les îles, en Sardaigne, aux Baléares… « On a besoin de cet Institut », renchérit Gilles Simeoni, « On va continuer à travailler sur le prix des denrées de première nécessité, on le fera sur le prix des loyers et de l’eau ».

Gilles Simeoni et Frédéric Poletti.
Gilles Simeoni et Frédéric Poletti.
Le fond du problème
Le président de l’Exécutif accepte de prendre en compte certains points avancés par l’opposition. A la droite, il répond que « la saisine à l’Autorité de la concurrence ne s’est pas limitée au champ insulaire, mais a porté sur l’ensemble du périmètre avec la possibilité de s’autosaisir si elle découvrait quelque chose. Je ne suis pas opposé à la saisir de nouveau, mais je n’en vois pas l’utilité ». Devant la levée de boucliers contre le poste de tiers-observateur chez Ruby, il s’incline avec diplomatie : « C’est un moyen d’avoir un regard sur le fonctionnement d’une société, mais cela ne vaut que si nous sommes tous d’accord. Si nous ne le sommes pas, nous retirons ce point-là ». Il rejette par contre une entrée au capital de Ruby : « Si on entre au capital et si on est minoritaire, aura-t-on la possibilité de contraindre Ruby ? Non ! Il faut chercher une autre solution et sortir de cette situation de monopole. Nous ne voulons pas d’un monopole qui nous place en position de faiblesse et nous avons besoin d’un mécanisme de régulation des prix et un retour encadré à la fiscalité. Le fond du problème est la mise en œuvre rapide d’une adaptation législative et règlementaire à l’instar de celle mise en place dans les DOM-TOM ».
 
Une avancée significative
Pour porter ce message au gouvernement, Gilles Simeoni plaide longuement pour un vote à l’unanimité : « Vous devez voter ce rapport pour toutes les personnes en situation de précarité, qui souffrent plus que les autres de la cherté du prix du carburant, eu égard au fait qu’en Corse, il y a peu de transports en commun ». Mais il n’obtient qu’une unanimité des votants, la droite et le groupe PNC-Avanzemu ne participent pas au vote. « Je suis un peu surpris parce que tous les amendements ont été travaillés en commission et votés à l’unanimité, y compris par U Soffiu Novu et PNC-Avanzemu. Je pensais logiquement que cette adhésion à tous les amendements et à l’esprit du rapport conduirait à un vote positif et unanime, cela n’a pas été le cas. Je suis d’autant plus surpris en ce qui concerne le PNC-Avanzemu que le principe, qui est au cœur de cette délibération, reprend toutes les orientations fondamentales nationalistes, à savoir la demande d’adaptation législative et réglementaire par rapport aux contraintes spécifiques de la Corse, adossées à l’insularité, la lutte contre les monopole, la volonté d’une fiscalité adaptée, l’encadrement du prix pour que les personnes en situation de précarité ne subissent pas les effets de la hausse du prix du pétrole ou des sur-profits anormaux. En même temps, la préservation des intérêts de la filière insulaire. Ce rapport coche toutes les cases ! Je regrette qu’il n’ait pas été voté à l’unanimité, j’espère que les deux groupes reviendront sur leurs positions ». Un regret partagé par le Collectif « Agissons contre la cherté des carburants » dont le porte-parole, Frédéric Poletti, a assisté au débat. « On aurait préféré un consensus. Tous les groupes étaient d’accord sur le fond, il est dommage que malgré cet accord, il n’y ait pas eu de consensus. Je pense que les amendements, qui ont été présentés, auraient pu être davantage travaillés en amont. Nous n’aurions pas exprimé notre insatisfaction à la lecture du rapport si on avait tous travaillé de concert ». Gilles Simeoni se veut rassurant : « Il s’agit de ne pas décevoir les Corses. Rien n’est gagné ! Mais je crois vraiment que c’est une avancée très significative ».
 
N.M.