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Budget CDC : L’héritage « catastrophique » de l’ancien Conseil départemental 2A


Nicole Mari le Jeudi 26 Avril 2018 à 22:21

Ce n’est pas une surprise ! L’audit externe, réalisé par le cabinet Klopfer sur l’état des lieux des trois collectivités de Corse ayant fusionné au 1er janvier, a cristallisé l’essentiel du débat sur les orientations budgétaires (DOB) 2018 qui s’est tenu, jeudi après-midi à l’Assemblée de Corse. Comme prévu, sur la sellette, la gestion très controversée du Conseil départemental de Corse du Sud que son dernier président, présent sur les bancs de l’opposition, a assumé sans sourciller. Prenant acte de ce nouvel héritage catastrophique qui plombe ses marges de manœuvre, le président de l’Exécutif, Gilles Simeoni, a affirmé qu’en dépit de la gravité de la situation, il dégagerait les moyens financiers pour mettre en œuvre la politique de transformation profonde de la société pour laquelle il a été élu. Et annoncé qu’il refusait de contractualiser avec l’Etat.



Budget CDC : L’héritage « catastrophique » de l’ancien Conseil départemental 2A
Le Document d’orientations budgétaires (DOB) est un exercice obligé, récurrent et annuel, mais il revêt, cette année, un caractère exceptionnel, voire unique, puisque c’est le premier de la nouvelle collectivité de Corse (CDC). L’occasion, pour l’Exécutif, de dresser un état des lieux des trajectoires financières des trois collectivités qui ont fusionné - Collectivité territoriale (CTC), Conseils départementaux de Haute-Corse (CD2B) et de Corse du Sud (CD2A) - sur les trois dernières années à travers un audit réalisé par le cabinet Klopfer. Un second audit très attendu, après celui de la mandature Giacobbi qui avait révélé un passif énorme de 104 millions d'euros d’engagements non budgétisés, et guère plus rassurant. Pour la seconde fois en deux ans, l’Exécutif nationaliste doit assumer un héritage miné, laissé par d’autres. « Certaines choses auraient pu être évitées, si nous avions réussi à mettre en place la concertation que nous avons appelée de nos vœux et qui nous a été refusée », commente le président de l’Exécutif, Gilles Simeoni. S’il a commandé une analyse objective, c’est pour « définir les contraintes budgétaires et les champs du possible, c’est-à-dire les choix stratégiques en termes d’investissements et d’épargne qui intègrent ces contraintes et les dépassant ».
 
Le refus du contrat
Les contraintes abondent tant au niveau exogène – Etat et Union européenne – qu’endogène. En premier lieu, l’impact de la loi de programmation des finances publiques 2018-2022, la baisse continue des dotations publiques et le terrible nœud gordien de la contractualisation désormais imposée par l’Etat aux régions. Ce contrat, qui prévoit le plafonnement des dépenses et de l’endettement des collectivités sous peine de sanctions financières, suscite la fronde unanime de la plupart des régions françaises qui refusent de signer cette contractualisation. Par transposition mécanique des dépenses engagés par les deux départements, la Corse se retrouve au-dessus du seuil de 1,2% assigné par Bercy et, donc, amputée de 20 millions € de recettes. « C’est insupportable politiquement ! C’est contraire à l’esprit de décentralisation ! C’est déséquilibré ! Nous soumettre à ce régime est incompréhensible, inacceptable, indéfendable ! Nous ne sommes pas une région de droit commun. On ne peut pas nous considérer comme des sujets à qui on imposerait une signature. Ce n’est que la énième manifestation de refus systématique du gouvernement de prendre en compte notre situation. Il est exclu que nous signons cette contractualisation définie unilatéralement par l’Etat, qui compromet toute trajectoire financière équilibrée et toute marge de manœuvre pour mener à bien nos politiques publiques », assène Gilles Simeoni.
 

La dette latente du CD2B
Une marge de manœuvre encore plombée par l’héritage des trois collectivités. L’audit confirme la remise en forme de la collectivité territoriale en deux ans d’exercice nationaliste. « Nous avons hérité en 2015 d’une collectivité qui était sur une trajectoire ruineuse. Nous avons fait la traque aux dépenses somptuaires tout en menant une politique de maintien de la qualité des services publics. Nous sommes la seule collectivité de l’ensemble français à avoir un solde négatif en matière d’évolution de dépenses de fonctionnement. Notre emprunt ne représente plus que 10 % du montant de la dette globale », se réjouit le président de l’Exécutif. Le verdict est plus nuancé pour le CD2B. « Nous héritons d’un CD2B qui n’est pas critique, malgré des dépenses de fonctionnement deux fois plus dynamiques que la moyenne nationale (+5,8% en 3 ans). Il s’est désendetté et son épargne est à un niveau acceptable. Néanmoins, un élément d’inquiétude vient des emprunts toxiques qui font peser sur la CDC une dette latente de 50 à 80 millions € ».
 
Jusqu’au dernier sou !
Les craintes sont confirmées pour le CD2A dont l’épargne brute a chuté de 40 à 17 millions € en deux ans. « Le seuil d’alerte (7%) a été touché. Le CD2A a pulvérisé le plafond de dépenses de fonctionnement en atteignant des taux de +14,1% qui, selon le cabinet Klopfer, n’ont jamais été atteints ailleurs, dont 9% sur la seule année 2017 ». En ligne de mire, les 180 embauches effectuées sous la dernière mandature. « Vous m’avez dit : « je dépenserai l’argent jusqu’au dernier sou. Je ne vous laisserai même pas une larme pour pleurer ». Vous avez tenu parole ! », lance, in lingua nustrale, Gilles Simeoni à un Pierre-Jean Luciani impassible. « Vous avez fait des choix infondés que vous n’auriez pas du faire, ce faisant, vous avez pris des décisions qui ont lourdement pénalisé la nouvelle CDC et limité sa capacité d’agir. Vous n’avez pas fait qu’augmenter unilatéralement les dépenses, vous avez choisi aussi de diminuer les recettes. En quelques mois, ça fait beaucoup ! ». Résultat : « Les départements ont vécu à crédit, au-dessus de leurs moyens. On ne peut plus le faire ! Nous sommes dans une situation tendue. Nous devons réduire les engagements et définir un nouveau cadre de contractualisation avec les collectivités locales ». Pour autant, le président de l’Exécutif n’entend pas renoncer à son « projet de transformation profonde de la société sur lequel nous avons été élus. Nous dégagerons les moyens financiers pour le mettre en œuvre et maintenir les investissements à un niveau très haut ». 

Pas de gestion hasardeuse
Le premier à réagir est François Orlandi, le dernier président de l’ex-CD2B, qui tente de corriger quelques chiffres de l’audit en lui opposant un autre audit réalisé à la fin de sa mandature par le département. « Nous avons maintenu un niveau de financement dynamique parce que le département a voulu soutenir les collectivités locales qui investissaient. Nous avons du faire face à des épisodes climatiques majeurs qui ont entrainé des dégâts de plus de 30 millions €. Nous avons maîtrisé l’endettement. Les frais de personnels ont augmenté de seulement 1,2% ». Il récuse le terme de « gestion hasardeuse… Nous laisserons un héritage tout à fait positif avec une maitrise des budgets et des ratios qui ne prennent pas en compte la spécificité des départements insulaires, notamment en matière environnementale et de gestion des espaces sensibles ».

Des résultats erronés
On attendait la réaction de Pierre-Jean Luciani qui a écouté sans sourciller Gilles Simeoni dérouler sa charge. « Je revendique, d’abord, le principe de la libre administration des collectivités », riposte-t-il. Il rejette la faute de la dette sur la CTC. « Vous avez, en 2016, cassé la contractualisation de nos programmes qui étaient financés à 50% par la CTC. Sur les 63 millions € de dépenses, il manque 23,5 millions que vous n’avez pas donnés. Nous avons, quand même, continué à investir un montant égal ». Et assume complètement la flambée des dépenses de personnels : « Elle est due à l’augmentation de 150 € attribuée à chaque agent de catégorie C et D afin de les mettre au niveau des deux autres collectivités, s’y ajoute la consolidation des emplois précaires. Vous me critiquez parce que j’ai donné 8 millions € pour nos vieux. Je l’ai fait. Tant mieux, je m’en réjouis ! ». Avant de remettre en cause, avec la présidente de son groupe Valérie Bozzi, « les résultats erronés de votre consultant qui n’ont rien à voir avec la gestion du CD2A, il n’a jamais mis les pieds au département ».
 
La nécessité d’investir
Le reste de l’opposition, plutôt gênée aux entournures, a botté en touche.
Pour le groupe Per l’Avvene, Xavier Lacombe balaye l’audit d’un revers de main : « On hérite, on gère, on assume. C’est le rôle de tous les élus » et se contente de commenter la prospective sur trois axes. « Contenir à 1% les charges de fonctionnement, notamment les dépenses de personnel. Avoir assez de marges de manœuvre pour emprunter et investir. Maintenir le niveau d’investissement dont les communes et intercommunalités ont besoin en empruntant 115 millions d’euros pour y parvenir. Le cabinet Klopfer nous conseille fortement de contractualiser avec l’Etat. En Commission des finances, nous avons pris la décision contraire. Notre choix doit être guidé par l’objectif de payer le moins de pénalités pour investir le plus possible. L’investissement est la clef, en maîtrise d’ouvrage ou en aides aux tiers ». Et interpelle l’Exécutif : « Qu’allons-nous faire maintenant ? Contenir les dépenses de fonctionnement pour privilégier l’investissement ? Ou s’accorder des dérapages préjudiciables pour l’avenir ? ».

La crainte d’une année blanche
Son colistier et président du groupe Jean-Martin Mondoloni revient sur la question de la contractualisation : « Nous constatons que Gérard Larcher partage votre position. La contractualisation pose un problème politique qui contrevient au mouvement de décentralisation. Nous souhaiterions connaître votre niveau d’exigence. Les autres régions négocient avec les préfets. Vous visez un niveau gouvernemental, pourquoi pas ! On voudrait connaître les orientations des négociations que vous entendez mener ? Elles doivent être précises et raisonnables ». Dénonçant des « pesanteurs constantes », il demande à l’Exécutif de « faire l’effort de consolidation des comptes avec les budgets des agences et offices. La demande n’a jamais été satisfaite ». Et exprime « la crainte d’une année blanche en investissement. Votre programme prônait une Corse plus innovante, solidaire et émancipée. Un paese dà fà un po micca esse sole parole. Nous attendons donc de trouver dans le prochain document budgétaire les traces prégnantes de l’ambition pour laquelle vous avez été élus ».

La main tendue
Seule voix discordante, le président du groupe Andà per Dumane, Jean-Charles Orsucci, exhorte à contractualiser avec l’Etat. « Vous ne pouvez pas pointer du doigt des collectivités qui ont dérapé sur des dépenses de fonctionnement et reprocher à l’Etat, même s’il n’a pas toujours été vertueux, de les inciter à contingenter les dérapages budgétaires qui peuvent mettre à mal les investissements sur le terrain. Qui dit contrat, dit discussion ! Nous serons à vos côtés pour faire entendre la spécificité de la Corse. Refuser la main tendue nous emmènera dans une situation pire. J’espère que vous ne ferez pas de cette question, une question politique ».
 
Aller à Canossa
La désinvolture de Pierre-Jean Luciani déchaîne une charge incisive de la majorité territoriale. Petru-Anto Tomasi ouvre le feu pour Corsica Libera rappelant « le refus obstiné du président Luciani de participer à un dialogue. Nous avons, enfin, une vision consolidée de la trajectoire budgétaire des 3 collectivités, mais ce n’est pas faute de l’avoir demandé ! Des seuils d’alerte ont été atteints. Une banqueroute a été annoncée. Mais les 22 élus du CD2A ont voté le budget. C’est beau ! Ils auraient pu arrêter la machine infernale. Il faut que les Corses le sachent. Que n’avons nous pas subi et entendu en 2016 quand nous avons adopté le 1er budget de la mandature ! La gauche était dans le déni. La droite développait des prophéties de l’Apocalypse. Nous avons eu raison contre vents et marées de maintenir ce cap ». Il revient également sur la contractualisation avec l’Etat : « Ce que dit Macron, ce n’est pas le contrat, c’est la coercition, c’est d’aller à Canossa, de retourner avant 1982, avant la décentralisation, sous la 3è République ! Nous ne l’acceptons pas ! Nous allons nous battre pour faire valoir nos droits pour changer ce pays ».
 
De l’argent public !
Hyacinthe Vanni, président du groupe Femu a Corsica, tient également à rafraîchir la mémoire de l’opposition : « Quand nous avons annoncé, il y a deux ans, le passif de 100 millions €, on nous a accusés de raconter des mensonges. Plus personne ne le conteste aujourd’hui. En deux ans, nous avons réussi à remettre la CTC à flots. Il y avait des dettes et des retards de paiement qui ont mis des entreprises et des associations en difficulté. Il ne faut pas que ça se reproduise ». Avant d’envoyer une seconde salve encore plus cinglante en direction de Pierre-Jean Luciani : « Votre comportement est inadmissible, choquant, inacceptable ! On ne peut pas faire ce que vous avez fait  avec de l’argent public ! Vous n’avez pas été élu pour dilapider l’argent public, mais pour le gérer. Vous avez hypothéqué l’avenir de cette collectivité pour 30 ans. Je ne citerai que deux chiffres : la dépense de fonctionnement par habitant est de 484 € en Corse du Sud contre 265 en moyenne nationale. L’argent qui a été dépensé n’était pas le vôtre, c’était l’argent de la Corse ! Vous avez fait la politique de la terre brûlée ».
 
L’ancien président incriminé ne se laisse pas démonter pour autant et lâche débonnaire : « Ils se sont élevés en procureurs et en censeurs. De quoi se mêlent-ils ? J’assume ce que j’ai fait au nom du personnel du département et de la Corse du Sud, et j’en suis fier ». Déclenchant l’hilarité de l’hémicycle…
 
N.M.