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Bilinguisme à l’école Toussaint Massoni : Saveriu Luciani dénonce une « vraie fausse polémique »


Nicole Mari le Samedi 19 Janvier 2019 à 22:10

C’est une polémique peu courante qui est née, courant janvier, à l’école Toussaint-Massoni de Biguglia. Des parents d’élèves se sont émus d’un questionnaire municipal leur demandant leur avis sur la mise en place d’un enseignement entièrement bilingue pour la prochaine rentrée scolaire. Une polémique qui, selon Saveriu Luciani, conseiller exécutif en charge de la langue corse et président de l’Office d’équipement hydraulique de Corse, est montée en épingle et ne serait qu’une tempête dans un verre d’eau. Il explique, à Corse Net Infos, les raisons qui ont poussé enseignants, délégués des parents d’élèves et commune à proposer la transformation de l’école en site uniquement bilingue.



Saveriu Luciani, conseiller exécutif en charge de la langue corse et président de l’Office hydraulique de la Corse.
Saveriu Luciani, conseiller exécutif en charge de la langue corse et président de l’Office hydraulique de la Corse.
- Comment réagissez-vous à la polémique sur le passage au bilinguisme à l’école de Biguglia ?
- Le Libecciu se déchaîne dans un verre d’eau ! Les faits sont gauchis, la réalité volontairement déformée ! La concorde règne à l’école Toussaint-Massoni, tant en termes d’enseignement bilingue que d’état d’esprit ! Une véritable dynamique s’est installée dans cette école : la généralisation du bilingue constitue son aboutissement naturel. À l’instar de bon nombre d’écoles de Corse, et au regard de l’importance des effectifs bilingues, l’ensemble des partenaires propose, fort logiquement, l’évolution vers un fonctionnement totalement bilingue. Dès lors, j’ai décidé, en qualité de conseiller exécutif en charge de la langue, d’intervenir dans ce qui apparaît comme une vraie fausse polémique. Certains veulent faire croire que nous sommes retournés aux vieilles lunes toxiques du jacobinisme linguistique. Disons-le clairement, leur petite agitation à propos de l’école Toussaint Massoni de Biguglia relève de la stratégie de l’enfumage, ni plus ni moins !
 
- Pourquoi de l’enfumage ?
- On ne joue pas ainsi avec la communauté éducative ! Toute démarche honnête consiste, dans un premier temps, à se renseigner auprès de l’ensemble des acteurs concernés, à commencer par la commune à laquelle on n’a curieusement pas pensé à donner la parole. Pourquoi n’avoir pas signalé à l’opinion publique que cette école est organisée, depuis de nombreuses années, selon deux filières : standard et bilingue ? De mon point de vue, les choses ont largement évolué dans le bon sens. D’après le constat fait par l’équipe éducative, les parents et la mairie, on enregistre avec beaucoup de satisfaction une tendance lourde d’adhésion au principe de l’enseignement bilingue. 
 
- Comment se traduit cette tendance ?
- Le résultat des courses est sans appel ! L’école maternelle compte 3 classes et 67 élèves. 49 élèves sont répartis dans les deux classes bilingues organisées en double niveau. Une classe standard reçoit, en tout et pour tout, 18 élèves sur trois niveaux : petite, moyenne et grande section. L’année prochaine, 8 élèves seulement montent en CP (cours préparatoire) standard. Finalement, la filière bilingue est proprement victime de son succès et pose un léger problème d’organisation. Une solution a donc été proposée par l’ensemble des partenaires éducatifs.
 
- Qu’en disent les instances académiques ?
- Les autorités académiques sont partie prenante, car elles sont très au fait de cette réalité. Elles savent que des Conseils d’école ont été organisés, respectant les procédures d’usage en pareil cas. Devant cette montée en puissance de la demande bilingue, enseignants, délégués des parents d’élèves et représentants de la commune ont convenu de travailler sur la transformation de l’école en site uniquement bilingue. Mais de cela, on n’en a pas fait cas : nous n’avons ainsi eu droit qu’à une version polémique...
 
- Quelle organisation a été proposée à l’issue de ces Conseils d’école ?
- Ce qui reste prévu, dans cette hypothèse répondant aux besoins de la situation, c’est que les élèves de la filière standard soient accueillis dans une école de la commune, située à deux minutes de distance en voiture. Aussi la mairie a-t-elle élaboré un questionnaire et l’a transmis aux familles voici un peu plus d’une semaine, et non la veille pour le lendemain, comme certains le laissent entendre ! Comme dans les autres communes qui sont dans la même situation, la mairie de Biguglia a décidé de faire les choses en règle, elle a donc souhaité consulter l’ensemble des parents dans un souci de transparence.
 
- Que s’est-il passé en fait ?
- Jusque-là, nous suivions de loin, comme ailleurs en Corse, les évolutions, conformes à notre feuille de route, laquelle se réfère elle-même aux diverses dispositions de la convention Langue corse signée en novembre 2016 entre la Collectivité de Corse (CdC), l’Académie et l’État. Mais à Biguglia, et seulement à Biguglia, il semble, aux dires des participants à ces réunions de cadrage, qu’un délégué des parents, à l’insu de ses pairs élus au conseil d’école, ait cru bon de faire monter une mayonnaise sans œufs... ! Avec, semble-t-il, quelques appuis extérieurs ! Résultat des courses : on désinforme avec force arguments fallacieux basés sur la peur et l’intox. L’enseignant, que je suis, y voit une tentative rancie de nous rejeter au temps de l’opposition radicale à l’enseignement de la langue corse. Quarante ans après, nous croyions vraiment que cela ne pouvait plus exister… !
 
- Le bilinguisme à Biguglia n’est donc pas, selon vous, menacé ?
- Pas le moins du monde ! Bien au contraire ! Il y prouve sa vitalité et une adhésion populaire de plus en plus massive. Sa croissance nous impose même de prendre de nouvelles dispositions et de faire évoluer les modes d’organisation. Alors je le répète, conformément à nos engagements, nous accompagnerons ce processus, comme nous soutenons, depuis septembre dernier, les premières ouvertures de classes maternelles immersives. La CdC porte, avec l’Etat, un Contrat de Plan de 18 millions d’euros, un budget en constante augmentation pour accompagner la langue corse dans l’éducation. Le budget 2019 en sera une parfaite illustration. L’école de Biguglia traduit cette marche en avant.
 
- Le bilinguisme, vous le présentez comme une chance … ?
- Oui ! L’éducation bilingue est une chance pour nos enfants. Elle doit être offerte à tous, sans distinction de sexe ou d’origine. La Convention Etat-CdC 2016-2021 prévoit, dans son article 1, la généralisation du bilinguisme à l’école maternelle. Cette langue, dans des communes à forte croissance démographique, constitue sans conteste un vecteur puissant d’intégration et de liant social. A l’évidence, cette préconisation reçoit à Biguglia une validation de la part de la communauté éducative. Elle a été actée sans conteste et pourtant...
 
- La généralisation du bilinguisme est-elle, donc, en marche ?
- Oui ! L’action de la Collectivité de Corse se poursuit avec détermination et sérénité. Soutenue en l’occurrence par une majorité trans-partisane, elle est en phase avec les attentes de la population qui n’a que faire des manœuvres médiocres d’individus ou d’appareils guidés par des intentions malveillantes. Le 23 janvier se tiendra le premier Conseil académique territorial (CAT), entre la CdC et le Rectorat. Cela concrétise une avancée qui découle de l’application de l’article 11 votée par l’Assemblée de Corse et contenue dans la Convention signée en novembre 2016. Je le dis pour ceux qui ont tendance à nous accuser, de temps à autre, de suivisme par rapport aux anciennes mandatures. Ce CAT, pensé comme une véritable instance de cogestion, revêt, à nos yeux, une importance décisive dans la gestion future de la langue dans tout le système éducatif.
 
- Qu’attendez-vous de cette première réunion du CAT ?
- D’abord une reconnaissance de notre rôle de partenaires, de par la loi. Ensuite en tant qu’acteur, le principe de réunions régulières et véritablement décisionnelles. Nous entendons confronter les données et en exploiter les enseignements pour améliorer les dispositifs. Rappelons tout de même que, depuis deux ans, nous soutenons un Grand Plan de formation du premier degré. Nous souhaiterions faire dans le secondaire la même chose pour les professeurs des disciplines non linguistiques (DNL) : en histoire-géographie, en mathématiques, en sciences, en éducation physique et sportive… Il faut absolument booster les filières bilingues des collèges et s’attaquer au problème de leur inexistence en lycée. Nous le répétons sans cesse : « U corsu, lingua di tutti, lingua per tutti ». Tous les Corses doivent l’appréhender comme une volonté de construire une société bilingue dont l’école reste le premier pilier.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.