Corse Net Infos - Pure player corse

Avec Liviu et Livia, l’intelligence artificielle parle désormais le corse


Maria-Serena Volpei-Aliotti le Mercredi 16 Avril 2025 à 14:50

Pensée à Calvi, l’intelligence artificielle LIV veut offrir aux Corses un outil numérique au service de leur langue. Développée par Romain Deceuninck, cette IA se décline en plusieurs volets, dont Liviu et Livia, conçus pour accompagner adultes et enfants dans l’apprentissage et la valorisation de la langue corse.



Et si la Corse s’emparait pleinement de la révolution de l’intelligence artificielle, en y intégrant ses propres codes culturels et linguistiques ? C’est le pari lancé par Romain Deceuninck, entrepreneur et artiste basé à Calvi, à l’origine du projet LIV, une intelligence artificielle développée spécifiquement pour la langue corse. LIV, acronyme de "Lingua Intelligente Virtuale", se décline en trois volets : Liviu, Livia et LIV Quest. À travers eux, l’objectif est clair : mettre les outils numériques de pointe au service de l’apprentissage, de la préservation et de l’usage quotidien du corse. « Nous sommes dans une démarche d’innovation ancrée dans notre territoire. L’intelligence artificielle peut devenir un vecteur de transmission culturelle, à condition qu’elle soit maîtrisée localement », résume Romain Deceuninck.

Une IA corse au cœur de l’UNESCO
L’impact du projet ne s’est pas fait attendre. En octobre, l’équipe de LIV s’est rendue à Montréal avec l’ADEC (Agence de Développement Économique de la Corse), avant d’être repérée par l’UNESCO. À la surprise générale, Romain Deceuninck reçoit un message l’invitant à participer à la conférence LT4ALL (« Language Technologies for All »), organisée à Paris. D’abord incrédule, il découvre vite qu’il s’agit bien d’une reconnaissance officielle. Lors de cette rencontre mondiale qui réunit chercheurs, linguistes et développeurs de technologies du langage, LIV a fait sensation. « J’ai présenté notre vision de la préservation de la langue corse à travers l’IA. Le retour a été incroyable. Des chercheurs du Canada, de Tahiti, des Philippines, mais aussi des pays nordiques nous ont félicités. Ils ont été frappés de voir un projet si cohérent, pensé pour être utile à toute une société locale », confie-t-il.

Une IA libre, pour tous les Corses
LIV s’organise en plusieurs entités adaptées aux différents usages de la langue. Liviu s’adresse aux adultes. Véritable assistant numérique, il peut générer du contenu en corse, répondre à des questions d’histoire ou de culture, ou encore proposer des poèmes et textes adaptés. « Il ne s’agit pas d’un gadget. Liviu comprend, traite et transmet en corse. C’est une avancée majeure pour l’usage quotidien de notre langue », souligne le fondateur.
Livia, quant à elle, est pensée pour les enfants. Adaptée au milieu scolaire, elle simplifie l’apprentissage et s’adapte à chaque niveau. « L’idée, c’est de fournir un outil moderne, ludique et pédagogique pour les plus jeunes, tout en leur transmettant la langue dans sa richesse », explique-t-il. Enfin, LIV Quest vise le secteur du tourisme, en proposant un accompagnement en corse aux visiteurs.

Derrière cette innovation, une philosophie : l’IA ne doit pas être privatisée. « Nous voulons que cette technologie reste entre les mains des Corses. Elle ne doit pas appartenir à une entreprise mais à la communauté. C’est pourquoi nous plaidons pour une gestion par la Collectivité de Corse, encadrée par une Squadra Lingua », insiste Romain Deceuninck.
Ce collectif de locuteurs et d’experts aurait pour mission de superviser le bon usage de l’IA, de corriger ses erreurs et de veiller à son évolution. Car les dangers sont réels : « Les grandes IA du marché, comme ChatGPT, se nourrissent d’énormes volumes de données en ligne. Elles apprennent ce qui est majoritaire, et donc privilégient les langues dominantes. Les langues minoritaires, comme le corse, sont mal traitées. C’est ce qu’on appelle le colonialisme numérique. »

Le corse, entre transmission et avenir numérique
Pour le développeur calvais, une IA linguistique est avant tout… une affaire de mathématiques. « C’est un système statistique, un modèle prévisionnel. Comme un enfant qui apprend en écoutant. À force de pratique, elle devient plus compétente. Mais cela demande une vigilance constante. » Pour cette raison, le projet repose aussi sur les locuteurs eux-mêmes : « Ce sont eux qui font vivre l’IA. C’est un bien commun. » La portée du projet dépasse les frontières insulaires. LIV démontre que des territoires comme la Corse peuvent produire des technologies adaptées à leurs besoins, loin des modèles standardisés. Et que le numérique peut être une chance pour les langues en danger.