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Attentats en Corse. Andria Fazi : "Un seul individu peut incendier des maisons ou des mairies et revendiquer ces actions"


le Mercredi 12 Avril 2023 à 17:57

Alors que les actions violentes signées par la Ghjuventù Clandestina Corsa (GCC) se multiplient, une certaine confusion règne autour de cette organisation clandestine opaque, récemment née. Son dernier communiqué est venu un peu plus semer le trouble en qualifiant d’ « imposteurs » les auteurs d’une précédente communication faite en son nom. CNI a demandé au politologue Andria Fazi de décrypter la situation.



Photo illustration archives CNI
Photo illustration archives CNI
- Dans leur dernier communiqué, la GCC, traitent « d’imposteurs » les auteurs d'une précédente communication du 30 mars dernier, également signée GCC et qui revendique en leur nom des actions clandestines. Qu’en penser ? 
- Si c’est vraiment le cas, il est étonnant que ce démenti intervienne plus de dix jours après, a fortiori lorsque l’on considère la forte sensibilité des cibles – les mairies – et du thème de la demande d’intégration au FLNC. Il me paraît plus probable qu’il s’agisse de différents groupes qui ne partagent pas – ou plus – exactement la même vision, et que ce communiqué officialise une fracture entre eux.
 
- L’apparition de sous-groupes dans ce groupuscule récent tend-elle à montrer la fragilité de la structure ?
- La communication et la discussion sont logiquement difficiles au sein d’une structure clandestine qui mène des actions illégales. Établir des canaux relativement sûrs exige beaucoup de sagacité et de technicité. Laisser de petits groupes agir de façon autonome est bien plus simple. On retrouve la même problématique au niveau international chez des réseaux qui pratiquent un niveau de violence infiniment plus élevé. Même si les risques ne sont pas identiques, il faut toujours les minimiser.
 
Qu’est ce qui se cache selon vous derrière la GCC ? La constitution d’un tel groupe peut-elle être le signe d’un malaise de la jeunesse corse ? 
- La jeunesse corse est plurielle. Elle développe des aspirations très diverses, même si elle souffre en général d’un déficit d’opportunités économiques. Ici, on parle d’une partie de la jeunesse nationaliste, et le malaise était déjà sensible non seulement avant l’agression mortelle d’Yvan Colonna, mais avant les élections territoriales de 2021 qui ont marqué la fin de la coalition nationaliste au pouvoir depuis 2015. Ce malaise s’explique d’abord par le rejet abrupt des demandes nationalistes lors du premier mandat d’Emmanuel Macron. Toutefois, la rupture de la coalition l’a renforcé.
 
- Alors qu’elle a débuté ses actions à l’été 2022, la GCC a attendu février 2023 pour officialiser sa création et revendiquer ses premières actions. Pourquoi selon vous ?
- Je ne peux le savoir précisément, mais l’action militante vous emmène souvent sur des chemins que vous ne pensiez pas emprunter. On appelle ça des effets de débordement, ou des effets d’engrenage. En fait, on ne peut jamais tout prévoir à l’avance. Au départ, vous commettez quelques actions très spontanées, essentiellement du fait de votre colère. Puis vous constatez, d’une part, que ces actions sont remarquées et commentées, et d’autre part que vous ne subissez pas une forte pression externe, ce qui vous rend enclin à poursuivre et structurer votre démarche.
 
- Dans son communiqué d’hier, la GCC dit ne pas vouloir faire allégeance au FLNC. Celui du 30 mars réclamait au contraire l'intégration à ce groupe historique qui, de son côté, a recadré les choses le 21 mars dernier. Que peut donner la cohabitation entre ces groupes ?
- Il faudrait savoir démêler le vrai du faux dans cet échange, et je n’en suis pas capable. Un seul individu peut incendier quelques maisons ou mairies, inventer une organisation et revendiquer ces actions. Le plus probable est qu’il y avait, parmi les auteurs de ces attentats, des visions et aspirations diverses, et qu’il existe un réel différend entre eux. Au vu des menaces proférées dans le dernier communiqué, on ne peut exclure de graves conséquences. Cependant, j’envisage plus facilement que chaque groupe continue ses actions de son côté.
 
- Ces dernières semaines, la GCC a ciblé des mairies et des maisons appartenant à des familles corses. N'est-ce pas un glissement dangereux ?
- Probablement, mais on ne peut être certain que cette campagne va se poursuivre. En 1968, le groupe Corse Libre avait perpétré une série d’attentats très remarqués, mais a été confondu en quelques mois, et il n’a pas eu de successeur direct. L’autre hypothèse est que les groupes concernés obtiennent une satisfaction suffisante pour leur faire abandonner leur action. Je ne crois pas qu’ils obtiendront une satisfaction sur le fond, mais que feraient-ils s’ils étaient intégrés dans une organisation plus puissante ? Et/ou si le gouvernement décidait la fin des discussions institutionnelles, impliquant un affaiblissement très net de la majorité territoriale ? 
 
-  Quelle est selon vous la stratégie de la GCC derrière ces actions ? 
- Là aussi, on peut seulement formuler des hypothèses. Certaines cibles suscitent tant d’interrogations que l’on peut émettre celle d’une stratégie bien définie, visant justement à créer une situation aussi confuse que possible et où chacun craigne d’être victime. Rappelons aussi que les attentats contre les mairies étaient loin d’être exceptionnels dans les années 1990 et 2000, et que le sénateur Paul Natali a reçu des menaces de mort très directes en 1996... Il est vrai que les maires sont des agents de l’État, exerçant de nombreuses fonctions en son nom. Néanmoins, nous les concevons avant tout comme les élus de la population. Effectivement, l’étape suivante serait que des membres du parti de Gilles Simeoni soient touchés… ce qui ne veut pas dire qu’on en arrivera là. 
 
- Dans la confusion qui règne, certains évoquent la possibilité d’actes « barbouzes » visant à faire capoter les négociations avec l’État. Comment l’analyser ?
- Ces actes créent un malaise politique, et ils pourraient donc favoriser une cessation des discussions institutionnelles. S’il n’a rien à gagner politiquement, pourquoi le gouvernement maintiendrait-il son offre de discussions ? Cela dit, je ne crois pas que ces actes étaient indispensables à un retrait gouvernemental, et moins encore qu’ils procèdent de barbouzes. Dans les années 1970, les barbouzes ont commis des dizaines d’attentats, majoritairement contre des militants autonomistes. Cependant, le dernier acte assimilable à de la barbouzerie dont j’aie connaissance est l’incendie de la paillote d’Yves Féraud en 1999. En d’autres termes, les barbouzes sont aussi une formidable tarte à la crème, que l’on ressort allègrement dès que quelque phénomène sortant de l’ordinaire nous gêne. N’excluons rien, mais si des barbouzes aguerries voulaient faire du mal aux nationalistes corses, elles s’y prendraient probablement autrement.