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Assises de Haute-Corse : Un réquisitoire mesuré, mais mal perçu


Nicole Mari le Vendredi 18 Octobre 2013 à 01:13

Au quatrième jour du procès concernant Antoine Casanova, ce jeune étudiant de 21 ans, tué à Corte d’une balle dans la nuque au cours d’une bagarre, l’avocat général a requis une peine de 14 ans de réclusion criminelle contre le tireur, Ghjambattista Villanova, 1 an de prison ferme à l’encontre de Marc-François Gianetti et Jacques-Laurent Moretti et 3 mois de prison avec sursis contre Vincent Caroff, Julien et Jérôme Melgrani. Les parties civiles ont plaidé le tir volontaire, la défense a pointé les responsabilités de chacun. Les plaidoiries se poursuivront vendredi matin. Le verdict est attendu dans l’après-midi.



Assises de Haute-Corse : Un réquisitoire mesuré, mais mal perçu
C'est dans une salle d'assises bondée que s'est ouvert le temps des plaidoiries et du réquisitoire. La nature du drame et son impact émotionnel, l'âge et la personnalité de la victime, le soutien aux familles, mais aussi la présence de ténors chez les avocats, ont généré une affluence inhabituelle dans un procès que certains voudraient exemplaire. A commencer par la partie civile.
Les deux associés du cabinet Sollacaro, qui représentent la famille de la victime, n’y vont pas par quatre chemins. Ils se livrent à un véritable réquisitoire à charge contre Ghjambattista Villanova, auteur du tir mortel qui a causé la mort d'Antoine Casanova. Ils ne lui concèdent aucune circonstance atténuante, aucun bon sentiment, même pas celui de s’être rendu et de dire la vérité. Ils s'attachent à démonter, une par une, ses explications.
 
Une condamnation sans appel
Pour eux, le tir est volontaire et intentionnel. « C'est vous qui avez choisi de tirer sur un jeune homme dans le dos. Ce n'est ni un coup du hasard, ni un coup du sort, ni un accident, ni un réflexe », lance Me Marie-Hélène Casanova-Servas. Elle fustige le « manque de courage » du jeune homme qui « détale avec ses comparses », récuse « la version fantaisiste du grand père qui donne un pistolet, un 19 mm, une arme moderne. Sûrement pas ! » et la « version édulcorée » des faits. « On minimise les faits. On n'assume pas un tir volontaire. On n'assume pas un meurtre. On organise sa reddition et sa défense au mieux de ses intérêts ». La condamnation est sans appel !
L’avocate tente, par avance, de miner le champ de la défense en rappelant le retentissement médiatique du drame et l’élan spontané qu’il a suscité dans la société insulaire. « On ne vous demande pas de juger sur l'opinion publique. Ce n'est pas la société qui est en accusation. Vous ne pouvez pas vous contenter de considérer qu'il y a un coupable et des responsables. Ce procès n'a pas vocation à être celui des armes en Corse. Je vous demande de permettre à cette famille de faire son deuil et de perpétuer dignement le souvenir d'Antoine ».

Me Antoine Vinier-Orsetti, conseil de la famille d'Antoine Casnova.
Me Antoine Vinier-Orsetti, conseil de la famille d'Antoine Casnova.
Le refus de la fatalité
Lui emboitant le pas, Me Antoine Vinier-Orsetti remet en cause la vérité de l'accusé dans une relecture très crue des faits : « On ne juge pas une bagarre entre étudiants, mais un crime. On s'est éloigné de l'objet de cette audience. On se trompe de débat. Le culte des armes en Corse est un faux-procès. Villanova se promène à 22 ans avec un pistolet semi-automatique à la ceinture. C'est un choix délibéré qu'il fait. On n'est pas dans la majorité, on est dans la minorité. C'est le mythe du voyou ». Il rejette toute idée de responsabilité collective, de banalisation et de fatalité, appelle à un devoir de mémoire et à une prise de conscience individuelle. « Antoine s'est vu mourir, noyé dans son sang. On lui a volontairement, délibérément, ôté la vie. Je vous demande de ne pas banaliser ces faits. Il ne faut pas dire que c'est la fatalité. Il faut absolument qu'il y ait un éveil, un réveil ».
 
Des circonstances aggravantes
C'est un réquisitoire clair et bien construit que livre l'avocat général, Nicolas Hennebelle, alliant mesure et fermeté, concédant d'une main pour mieux asséner de l'autre. La marche blanche, qui suit le drame et qu’il évoque d’entrée, est, pour lui, révélatrice d’un « trouble à l'ordre public exceptionnel ».
Partant de là, à l’instar des parties civiles, il s’élève contre la banalisation « incroyable » de la détention d'armes et rejette l'idée d'une responsabilité collective. « En droit pénal, il ne peut y avoir qu'une responsabilité individuelle, on répond de ces actes. Villanova ne sera pas condamné pour l'exemple, mais pour ce qu'il a fait, ni plus, ni moins ! On ne peut pas se réfugier derrière le grand-père et derrière la culture de l'excuse qui revient souvent ».
Pas plus que le fait culturel des armes, le ministère public ne considère l'alcool comme une circonstance atténuante, mais, plutôt, comme une circonstance aggravante. « On ne se dissimulera pas non plus derrière un état d'alcoolisation qui atténuerait la responsabilité. C'est le culte des armes et l’alcool qui ont causé la mort ».
 
Marquer l’interdit
S'il pose la réciprocité de la violence et rejette la légitime défense invoquée pour les amis de la victime, il entend faire la part des choses et « ne pas mettre tout le monde dans le même sac ».
Pour Vincent Caroff, Julien et Jérôme Melgrani, poursuivi pour violences en réunion, il requiert, à titre d'avertissement, 3 mois de prison avec sursis. 
Pour Jacques-Laurent Moretti, poursuivi pour violences en réunion, port et transport d’arme, il requiert 1 an de prison ferme avec peine aménagée ou semi-liberté. « Le plus important est le transport et le port d'armes. On ne va pas banaliser le fait qu'il se promène une arme à la ceinture en plein centre-ville de Corte. Si on ne veut pas être laxiste, on sanctionne cet interdit avec une peine très ferme ».
Il applique le même principe pour Marc-François Gianetti, poursuivi pour les mêmes motifs, mais se pose la question de sa culpabilité. « Le problème est qu'il n'est reconnu par personne comme l'auteur de violences ». Il se concentre donc sur la non-assistance à personne en danger et requiert un an de prison ferme « pour montrer qu'un pompier volontaire peut au minimum porter secours à une victime. Ce manquement à un devoir d'humanité est d'autant plus incroyable qu'il était en mesure de le faire ».
 
Des faits requalifiés
S’agissant de Ghjambattista Villanova, l'avocat général insiste sur « la violence inouïe des coups » qu’il porte. Ces coups posant, selon lui, un sérieux problème de qualification des faits, il propose de requalifier l'homicide volontaire en violences volontaires avec armes ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Il estime, en effet, que le tir n'est pas accidentel, mais volontaire, tout en concédant, au vu du contexte de bagarre et d'obscurité, qu'on ne peut pas retenir l'intentionnalité. « Il doit comprendre que, dans cette chronique d'une mort annoncée, c'est lui le rédacteur, le responsable. Avoir des regrets n'excuse pas tout ! Se rendre n'efface pas la gravité de la faute ! Il est impardonnable car il a été averti, de façon importante, par un Tribunal pour enfants et cet avertissement n'a visiblement pas servi ». Invitant les six jurés à penser « aux intérêts de la société, pas pour sanctionner une violence, mais pour marquer la gravité de l'interdit, le respect de la vie », il requiert 14 ans de réclusion criminelle.
Ghjambattista Villanova écoute, la tête baissée, cachée dans ses mains, un réquisitoire qui sonne juste, mais ne satisfait personne. Sa défense juge le quantum de la peine trop élevé, la famille d’Antoine Casanova, trop clément. Cette dernière, choquée, ne comprend pas, de nombreux jeunes venus en soutien, non plus. Les avocats se plient à un délicat exercice d’explication.

Me Jean-Paul Eon, conseil des amis de la victime.
Me Jean-Paul Eon, conseil des amis de la victime.
Une responsabilité diluée
Ce réquisitoire oblige les deux avocats de Vincent Caroff et deJulien et Jérôme Melgrani, passés du statut de victime à celui d'inculpé, non seulement à plaider en défense, mais à monter à l’attaque. « Je voudrais faire part de ma tristesse et de ma déception », s’insurge Me Jean-Michel Mariaggi, déplorant que la recherche « à tous prix » d'un processus global, renvoie les compagnons de la victime en cour d'assises. « C'est mettre sur le même pied agresseurs et agressés, les personnes armées et celles qui ne le sont pas. C'est curieux de condamner parce qu'on ne sait pas qui a frappé en premier. Le bénéfice du doute ne joue pas pour les amis de la victime ». Il stigmatise « la dilution de la responsabilité de l'accusé principal par la multiplication des accusés et sur des acteurs extérieurs : préfet, président de l'université, facteurs socio-culturels... » . Pour lui, l'état d´esprit des deux groupes, qui se sont battus, n'est pas le même : les uns ont frappé, les autres ont résisté et se sont laissés faire. Il s’en prend, ensuite, à la défense du tireur et de ses amis, à « la lâcheté d'un système de défense qui consiste à se défausser. C’est la doctrine bien connue de responsable, mais pas coupable ! ».
En écoutant l’avocat ajaccien évoquer son frère, la sœur de la victime pleure silencieusement tandis que Ghjambattista Villanova, le visage grave, le regard accablé, garde sa tête obstinément baissée.
 
Une théorie manichéiste
A sa suite, Me Jean-Paul Eon, dans son souci de dédouaner ses clients, pousse l’accusation beaucoup plus loin et échafaude une théorie ouvertement manichéiste. D’un côté, le groupe de la victime, exempt de toute faute, qui n’agit qu’en légitime défense : « Le seul reproche qu'ils se font et le seul qu'on peut leur faire est d'avoir organiser cette sortie et d'avoir incité leur ami à les accompagner. On veut faire peser sur leurs épaules une part de responsabilité ». De l’autre, un groupe d’agresseurs qui « est dans le mensonge permanent. On est allé pour en découdre. Quand on a bu, quand on est armé, on se monte la tête, on se prend pour des cadors ». Dans « cette bagarre sans combattant », il juge matériellement impossible que Ghjambattista Villanova soit seul responsable, comme il le prétend, des dizaines de coups portés. « Je suis convaincu que les coups de crosse ont été porté par l’ensemble des trois amis. Il y a des éléments du dossier qui laissent penser qu’ils ont, tous, fait usage de leur arme », n’hésite-t-il pas à affirmer. Pour appuyer ses dires, il concède même : « Celui qui a fait la plus grande partie du chemin, c’est Villanova qui s’est livré. C’est quand même quelque chose ! ». Et conclut en s’adressant aux jurés : « A travers votre verdict, vous devez dire dans quelle société vous voulez vivre et voir vos enfants vivre. Mettre la pratique du port d’arme sur un fait culturel, c’est une insulte à la Corse ! ».
 
Une décision juste
Autant dire que sa démonstration ne plait pas à la défense du groupe Villanova qui s’empresse de repousser la charge. Francesca Seatelli, qui fait sa première plaidoirie d’assises aux côtés de son père pour défendre Marc-François Gianetti, replace immédiatement le drame dans son contexte. Si elle admet le port d’arme, elle balaie l’accusation de violences volontaires et de non assistance à personne en danger. La première, par manque de trace de blessures et d’éléments probants : « La réalité est qu’il n’a donné, ni reçu aucun coup. Il s’est retrouvé à l’écart et n’a pas participé à la  bagarre ». La seconde, par l'inconscience du péril. « Sa volonté est abolie par l’alcool. C’est un fait. Il ne peut pas savoir quels sont les gestes à apporter. Il n’est plus dans son état normal, ce n’est plus le pompier altruiste que ces proches louent, c’est juste un gamin saoul, paniqué, qui s’en va ».
Face à ceux qui réclament une peine pour l’exemple, elle rétorque au nom d’une jeunesse dont elle se prévaut : « Doit-il payer pour une faute collective, pour l’ensemble des jeunes ? La réponse est non ! La jeunesse n’attend pas une réponse exemplaire, elle ne réclame pas la sanction. Elle a soif de repères et de prévention. Les maux, qui rongent notre jeunesse, sont de la responsabilité de la société toute entière, mais cela ne regarde pas la justice ». Expliquant que la condamnation infligée à son client lui coûtera son rêve de pompier, elle exhorte les jurés : « Donnez-lui une chance de se reconstruire. Vous rendrez, alors, une décision exemplaire car elle sera juste ! ». Le président Herald salue « la clarté, l’assurance et la concision des explications » de cette première plaidoirie.
 
Des responsabilités extérieures
Me Jean-Louis Seatelli, dans une plaidoirie très brève, enfonce le clou et pointe les responsabilités extérieures en prenant les jurés à témoin : « Notre société est malade. Qui, dans cette salle, pourrait dire qu’il accepte les armes, qu’il est d’accord avec cette fausse permissivité ? Quand on a 18 ans, on veut faire comme les autres. Trouvez-vous une autre université sur le continent où on prête un campus pour ce genre de fête, où les gendarmes n’ont pas le droit d’entrer ? Ne croyez-vous pas que le président de l’université ne devrait pas défiler dans une marche blanche, mais interdire ? Le sous-préfet n’a-t-il pas son mot à dire ? On vous demande de remplacer ces autorités en prononçant une peine marquante pour mon client dans un procès qui n’est pas le sien ! ». Lui aussi, appelle à l’indulgence : « La peine que vous pouvez prononcer, il l’a déjà en lui » et à un « juste équilibre au regard de la personne et des faits dont on l’accuse ».
 
Des enfants de 20 ans
Conseil de Jacques-Laurent Moretti, Me Lyria Ottaviani dresse le portrait d’un pompier volontaire bien sous tous rapports avant de s’attacher à justifier en détail l’attitude de son client, rudement mis en cause par les conseils des amis de la victime. « Le fait d’être admis avec la victime ne confère pas, ipso facto, le statut de victime », décroche-t-elle en contrepoint. Remarquant que, malgré le drame, les jeunes continuent d’être armés et les coups de feu d’être tirés pendant les fêtes et autres Scontri, elle préconise, elle aussi, de mettre fin à la tolérance et de ne pas se tromper de cible. « On veut charger la mule. Ce n’est pas la peine. Ce sont des enfants de 20 ans. Il faut essayer de comprendre pourquoi un jeune de 20 ans peut sortir armé ». Elle explique que si la sanction requise contre Moretti peut paraître clémente, elle hypothèque son avenir et ses études d’infirmier. Elle plaide la compréhension et une peine, même plus importante, mais assortie d’un sursis. « Votre rôle est de sanctionner, sans empêcher les personnes que vous avez à juger de faire leur vie professionnelle, de continuer à construire. Une peine d’un an ferme ne serait pas efficace ».
 
Les plaidoiries se poursuivent, vendredi matin, avec Me Jean-Sébastien de Casalta, Me Marie-Josée Bellagamba et Me Eric-Dupont-Moretti.
 
N.M.
 
Erratum : Une erreur s'est glissée, dans un article précédent intitulé L'impossible Pardon. Le patron de bar, dont il est question et qui a témoigné devant la cour d'Assises, n'est pas le patron de l'Oriente, mais le patron du Café du trésor.