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Assemblée de Corse : Un budget tendu sur fond de crise nationale et sous les feux de l’opposition


Nicole Mari le Vendredi 19 Décembre 2025 à 10:10

L’Assemblée de Corse a adopté, jeudi soir, le budget primitif de la Collectivité de Corse pour 2026. Ce budget, toujours plus difficile et contraint dans un contexte de crise budgétaire nationale, entend maintenir les investissements, tout en maîtrisant la dégradation des ratios. L’opposition indépendantiste déplore une gestion routinière et l’absence de rapports de forces avec l’Etat. La droite fustige les postures idéologiques. Le PNC égrène des péchés capitaux. La majorité riposte en taclant les contradictions de l’opposition. Tous les groupes d’opposition ont voté contre.



L'hémicycle de l'Assemblée de Corse. Photo Paule Santoni.
L'hémicycle de l'Assemblée de Corse. Photo Paule Santoni.

Comme lors du débat d’orientations budgétaires, fin novembre, le conseiller exécutif et président de l’ADEC, Gilles Giovannangeli, ne cache pas la complexité de l’équation qui a prévalu à l’établissement du budget primitif 2026, débattu jeudi soir à l’Assemblée de Corse. Déjà plombées par des raisons structurelles, des crises extérieures et des contentieux intérieurs, les finances de la Collectivité de Corse (CdC) subissent, à l’instar de toutes les collectivités de France, la crise budgétaire nationale et la difficulté pour le gouvernement de se doter d’une loi de finances 2026. La nécessité de réduire un déficit abyssal fait peser sur toutes les collectivités une terrible épée de Damoclès. Il leur faudra passer à la caisse sans connaître exactement le montant qu’elles devront débourser pour participer à l’effort national alors que leurs propres finances sont souvent atones, voire exsangues ou au bord de la faillite. S’il reste encore quelques marges de manœuvre à la CdC, elles se réduisent, au fil des ans et des crises, comme peau de chagrin. « Pour équilibrer le budget, le gouvernement prévoit de demander un effort très important aux collectivités locales qui représentent 60% de l’investissement en France et 10% de la dette, un effort à hauteur de 30% des dépenses à réduire et estimé à 6 milliards €. Quelque chose d’insurmontable pour l’ensemble des collectivités en France ! Si on ajoute au budget de la Collectivité de Corse (CdC) ces difficultés françaises, l’exercice relève d’une équation impossible », avait déploré, le mois dernier, Gilles Giovannangeli. 

Gilles Giovannangeli. Photo Paule Santoni.
Gilles Giovannangeli. Photo Paule Santoni.
Le choix d’investir
Dans ce climat d'incertitude et d'instabilité, l’Exécutif confirme deux choix politiques forts. « Le premier est de rester dans une zone d’acceptabilité budgétaire : préserver les grands équilibres, sécuriser au mieux la trajectoire budgétaire qui se dégrade », indique le président de l’ADEC. Avant de préciser : « L’autre choix, qui s’offre à nous, est celui de l’austérité et de réduire massivement les investissements. Si on descend à 280 millions €, on règle la question de l’emprunt et on retrouve des ratios vertueux, mais, en responsabilité, on fait le choix de préserver nos investissements et de maintenir nos politiques publiques, en assumant cette dégradation parce qu’on a besoin d’investir dans ce pays ». Le second choix est de ne pas renoncer aux grands investissements stratégiques de la mandature avec des priorités : « 248 millions € pour la politique sociale, 1 million € supplémentaire pour la langue corse, idem pour la culture, 5 millions de plus pour le développement économique et les flux aériens pour une accessibilité hors saison ». Le niveau d’investissement structurant se maintient à 315 millions €. Plus de 81 millions € sont dévolus à l’action économique, 59,4 millions € à l’environnement et la transition énergétique, 107,8 millions € à l’enseignement et la formation professionnelle. L’aménagement du territoire et l’aide aux communes récoltent 74 millions €, soit une hausse de 3,6% par rapport à 2025. La programmation des fonds européens croît de 3 % à 42,36 % avec 48 millions € de crédits européens programmés et en cours de certification. « Ces résultats confirment notre capacité à mobiliser le FEDER et le FSE et à atteindre les objectifs fixés. Il n’y aura pas de dégagement d’office ». Le seuil de 16 millions € sera dépassé pour atteindre 20 millions €.
 
Des ratios en baisse
Ceci posé, le budget primitif s’équilibre à 1,428 milliard € contre 1,371 milliard € en 2025, soit 4 233 € par habitant. Les recettes réelles de fonctionnement, qui rassemblent 86 % des recettes réelles, s’élèvent à 1,144 milliard €, soit une hausse de 3 % par rapport à 2025. Les recettes fiscales dépassent 774,8 millions €, en progression de 3,11 %. Les dépenses réelles, qui mobilisent 1,525 milliard €, sont en hausse de 2,5 %. Les dépenses sociales continuent de flamber de façon mécanique, + 3,31%, et imputent 250 millions €. L’emprunt d’équilibre s’établit à 115 millions €. L’Exécutif défend « un recours maîtrisé à l’emprunt », et la maitrise continue des dépenses de fonctionnement qui représentent 1,19 milliard €, dont 60 millions de dotation de continuité territoriale (DCT) complémentaire. Par prudence, l’Exécutif budgète la rallonge arrachée au gouvernement pour maintenir la DCT à 247 millions €. « On fait un puissant travail sur la baisse des charges. Il y a moins d’agents en 2025 qu’en 2018 », affirme Gilles Giovannangeli. « Les effectifs sont en diminution de 41 postes. Le coût de la masse salariale baisse pour la première fois depuis 2018. Nous avons pris des mesures de gestion volontaristes, sans attenter à la politique sociale de la CdC ». L’épargne brute atteint 159,97 millions €, en baisse de 1,81% avec un excédent brut de 183,82 millions € et un taux d’épargne brute de 12,38 %, en baisse de 4,14%. L’épargne nette fléchit à 94,96 millions €, en baisse de 5,90 %. La dette culmine à plus de 1,168 milliard € avec une annuité de remboursement de 97 millions €. L’encours de la dette augmente de 4,5%. « Ça reste acceptable. La dette, ce n’est pas le problème. La question est notre capacité à rembourser qui est de 7 années, très en deçà de la zone d’alerte. Elle sera de 8 années fin 2028. Il n’y a pas de sujet anxiogène », assure Gilles Giovannangeli. « On sait que le rebond va venir en 2026 avec le processus d’autonomie qui est à portée de main et par la mobilisation du PTIC. Nous avons la volonté d’agir et de coller à la réalité des besoins des Corses pour leur apporter des réponses plus efficaces et plus adaptées ».

Paul-Félix Benedetti. Photo Paule Santoni.
Paul-Félix Benedetti. Photo Paule Santoni.
Une gestion routinière
Le budget primitif étant par nature la cible privilégiée de l’opposition, celle-ci n’a pas dérogé à la règle, réitérant les mêmes arguments déjà maintes fois employés. La première salve est tirée par l’opposition indépendantiste. S’il prend en compte la réalité de la conjoncture, Paul-Félix Benedetti, président de Core in Fronte, déplore « un système de fonctionnement routinier que vous n’avez pas bousculé depuis dix ans. L’année à venir sera dans la monotonie des années antérieures. Il y a de moins en moins de possibilité de changer la donne, sauf à changer de statut et donc de perspective ». Pour lui, la marge de manœuvre se réduit : « On est dans une logique qui tend vers le déséquilibre. Le manque de recettes et la stagnation des dépenses de fonctionnement nous mènent à une impasse ». Il reconnait que les dépenses sociales sont difficiles à contraindre et que les difficultés ne sont pas imputables à la gouvernance actuelle : « La France régresse et la Corse, accrochée à la France, est en train de se noyer avec une vitesse plus lente parce qu’elle a plus de résilience mais avec un destin tout aussi funeste ». Il reproche à l’Exécutif « de ne pas avoir été innovant dans la durée », « de ne pas avoir pris de risques », d’avoir choisi la modération vis-à-vis de l’Etat. « Je souhaite qu’on retrouve le sens de l’intérêt commun, de la lutte collective pour imposer le respect des Corses parce que le compte n’y est pas. On nous a trompés, on nous a imposés un PEI qui nous a endettés collectivement, et tout ceci se retrouve dans les emprunts ». Il invite l’Exécutif à travailler collectivement « à la construction non pas d’un budget, mais d’un projet politique, à forcer le destin et à savoir renverser la table ».

Josepha Giacometti-Piredda. Photo Paule Santoni.
Josepha Giacometti-Piredda. Photo Paule Santoni.
Une logique de rupture
L’élue de Corsica Libera, Josepha Giacometti-Piredda, enfonce le clou sur l’absence préjudiciable de rapports de forces avec l’Etat. « On obtient ce à quoi nous avons droit en tombant dans ce qu’on veut bien nous donner. Il va falloir une véritable négociation pour le futur pacte budgétaire fiscal que vous annoncez. Il va falloir que nous demandions des données concrètes. Nous avons demandé le mouvement des flux entre la Corse et la France, on ne nous l’a jamais communiqué. Jamais on n’a répondu aux demandes de cette assemblée ! On continue d’avancer à l’aveugle ». Et d’asséner : « Il faut un rapport de forces positif, lucide, tranquille, posé sur des faits ». Selon elle, pendant les 10 ans de mandature, il n’y a pas eu « de logique de rupture positive, de volonté d’enclencher d’autres stratégies, de configurer cette institution en termes d’ingénierie. Pas de rupture dans la logique de négociation ». Elle demande à l’Exécutif de tirer les leçons de ses erreurs.

Georges Mela. Photo Paule Santoni.
Georges Mela. Photo Paule Santoni.
Une bouderie idéologique
L’opposition de droite renfourche son cheval de bataille sur l’entêtement de l’Exécutif à poursuivre « des idéaux politiques sans avoir les moyens de les mettre en place ». Georges Mela pour U Soffiu Novu s’interroge sur l’opportunité de voter un budget en décembre alors qu’il n’y a pas de loi de finances « dont les effets ne sont pas encore connus, à moins que cela ne soit une tactique pour dire après coup que les décisions parlementaires ont affecté l’équilibre budgétaire ». Il tacle la posture de l’Exécutif sur la mobilisation du PTIC : « Vous en avez fait une question politique, insistant pour avoir droit de regard et de véto sur la part du bloc communal, tout comme vous vous êtes offusqués du financement du centre de tri et de valorisation de Monte sur le quota PTIC. Mais l’esprit de responsabilité, qui aurait dû tous nous animer, nous aurait permis de passer les dossiers au lieu de les bouder. Nous sommes exsangues à tous les échelons institutionnels avec une raréfaction croissante des recettes, et vous nous expliquez que les conditions de mobilisation du plan n’étaient pas conformes à vos préceptes idéologiques. Vous êtes revenus à de meilleurs sentiments, tant mieux ! ». Ce qui lui pose problème, c’est le niveau de la dette « qui dégrade tous les ratios. Depuis 3 ans, on consomme l’intégralité de l’emprunt d’équilibre, l’emprunt augmente, le fonctionnement aussi, alors qu’en réalité, l’investissement stagne. Pour 1 € investi, la CdC en consomme 3 pour fonctionner ». Et d’ajouter : « A vous seuls, en 7 ans, vous avez généré 400 millions € de dettes, c’est cette dérive que l’on pointe du doigt avec un montant d’investissement constant. L’endettement n’est pas un héritage du passé ! ».

Jean-Christophe Angelini. Photo Paule Santoni.
Jean-Christophe Angelini. Photo Paule Santoni.
Des péchés capitaux
Jean-Christophe Angelini, président du PNC-Avanzemu, regrette, pour sa part, « un dialogue de sourd », qui fait dire à l’Exécutif que « tout ne va pas si mal et que nous avons tendance à diaboliser et à noircir le tableau ». Une lecture politique qui, selon lui, cache « des péchés capitaux. Le premier est le recours à l’emprunt. On ne cesse de se rapprocher du seuil d’alerte ». Pour lui, l’Exécutif minimise « l’ampleur du mur de dettes ». Le second est l’incertitude liée à l’absence de loi de finances, le refus de l’Etat de donner les chiffres des ressources et l’absence d’inscription du projet de loi sur l’autonomie au calendrier parlementaire. « Il faut distinguer le processus sur l’autonomie, d’une négociation première, immédiate et impérieuse sur l’état de nos ressources et sur le projet d’autonomie fiscale qui est, pour nous, la première autonomie. Nous sommes dans une négociation sans connaître la nature exacte et sans objectiver les flux entre la Corse et l’Etat central. Ça devient compliqué ! ». Dans sa ligne de mire aussi, le PTIC et « le défaut de projection ». Pour lui, émergent trois tendances : « Nous sommes des militants de l’autonomie fiscale, mais à ce stade des opérations, il serait de bon temps de discuter non pas de financement, mais de fiscalité dans un cadre à construire. On ne voit pas comment y échapper. Ensuite, se pose la question de l’EPIC CCI, attention aux incertitudes qui pèsent sur le dossier transports et les possibles contentieux qui menacent. Enfin, on continue de pointer l’inquiétude. La trajectoire n’est pas celle que vous décrivez, mais est radicalement préoccupante ».

Louis Pozzo-di-Borgu. Photo Paule Santoni.
Louis Pozzo-di-Borgu. Photo Paule Santoni.
Le paradoxe de l’aide
Comme d’habitude, Louis Pozzo di Borgo ferraille pour défendre le budget au nom de la majorité territoriale. Il ne nie pas les problèmes : « Nous sommes tous inquiets d’une situation budgétaire qui n’est pas celle que nous souhaiterions. Pour autant, cette inquiétude ne doit pas nous interdire de poursuivre nos politiques publiques. Prendre ce problème par le prisme des dépenses est une erreur. Certes, les dépenses doivent être maîtrisées, mais le vrai problème est les recettes qui ne nous permettent pas de couvrir dans le temps l’évolution de nos dépenses publiques ». Pour lui, si la dette est importante, elle est gérable : « la dette fait partie de la vie d’une collectivité quand les recettes stagnent et les besoins en investissement se font de plus en plus criants ». Et là, il met l’opposition face à ses contradictions : « Vous dites qu’il faut dire stop, mais j’aurais bien aimé que, lors des discussions sur l’aide aux communes, chacun d’entre vous sache dire stop ! Mais je n'ai entendu personne le dire. On a défendu la clim dans telle commune, la signalétique dans telle autre, l’inscription des travaux de voirie ». Il apostrophe le maire de Portivechju : « Vous avez même demandé 20 millions € supplémentaires sur l’aide aux communes. On ne peut pas nous dire attention à ce que vous faites, faites des choix et, sur un dossier, qui est présenté quelques heures avant, nous demander un effort de 20% de majoration sur une enveloppe. Sinon, je m’y perds ! ». Avant de railler : « Tout parait plus simple sur les rangs de l’opposition ! Nous savons où nous allons au moins jusqu’en 2028. Bien malin qui pourra se projeter au-delà ! Nous affirmons que c’est par le biais d’une autonomie fiscale et d’un nouveau pacte budgétaire que nous pourrons faire évoluer la situation. A périmètre constant, nous ne pourrons pas continuer à assumer le train de vie de cette collectivité pendant de nombreuses années. Ce n’est pas possible ! Vous parlez d’alternance, mais personne ne fera de miracle ! ».
 
Le pari du rebond
La riposte de Gilles Giovannangeli est tout aussi claire : « Nous garantissons aux Corses que, pendant trois ans, à droit constant, en investissant 315 millions € par an, nous restons dans une situation budgétaire soutenable ». Il ne comprend pas le défaitisme affiché : « La question budgétaire, c’est aussi une question de rebond. Il y a des cycles. Et nous faisons le pari d’un rebond calculé ! Il faut se battre sur l’autonomie parce que la solution, c’est les recettes. La taxation de la spéculation immobilière et le transfert de la TVA peuvent nous rapporter des dizaines de millions €. L’autonomie est, sur ces deux points, la garantie de recettes supplémentaires ». A la droite, il lance : « Notre dette a augmenté de 400 millions en 7 ans, mais on a investi plus de 2,2 milliards €. Plus de cinq fois ! C’est un endettement performant au service de la Corse et des Corses ». Le président de l’Exécutif, Gilles Simeoni, relève, lui aussi, le paradoxe de l’opposition : « Lorsqu’il s’est agi d’activer les leviers fiscaux, on l’a fait, on a ramené 5 millions € dans les caisses de la CdC. Certains, qui nous reprochent de ne pas être plus dynamique en termes d’investissements, ont voté contre l’augmentation des recettes ! ». Et de conclure : « Nous devons réussir, sinon c’est une équation impossible : les recettes sont trop faibles, les leviers pour faire augmenter les recettes ne nous appartiennent pas, les dépenses sont incompressibles. Nous sommes une collectivité en souffrance qui meurt de soif, alors qu’elle a des puits d’eau fraîche à portée de main, des réserves potentielles ».
Le budget a été adopté. Tous les groupes d’opposition ont voté contre.
 
N.M.