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Assemblée de Corse : Du drame à l’espoir, la volonté partagée d’ouvrir un chemin vers l’autonomie


Nicole Mari le Jeudi 31 Mars 2022 à 19:27

Séquence politique en ouverture de l’Assemblée de Corse, la première depuis l’assassinat d’Yvan Colonna, avec un débat consacré à la crise qui secoue l’île depuis le 2 mars dernier. Tous les groupes ont exprimé l’émotion et la douleur du deuil, l’exigence de justice et de vérité, la volonté commune de travailler ensemble, activement, à un processus de sortie de crise et de négociations pour l’autonomie. Un débat apaisé, positif, qui, sans occulter les lignes rouges et les pièges tendus, veut envoyer un message d’espoir à la population.



Une minute de silence observée par tout l’hémicycle pour l’assassinat d’Yvan Colonna.
Une minute de silence observée par tout l’hémicycle pour l’assassinat d’Yvan Colonna.
Après le choc et la colère, l’inquiétude. La violence va-t-elle continuer ? La question, que tout le monde se pose, a imprégné, ce jeudi après-midi, les débats dans l’hémicycle de l’Assemblée sans que personne n’y réponde directement. La crise, qui a déferlé subitement et brutalement sur la Corse, le 2 mars dernier, a ramené, dans son écume, le spectre d’heures sombres que l’on croyait définitivement révolues. L’assassinat d’Yvan Colonna à la centrale d’Arles par un détenu islamiste a non seulement soulevé une énorme émotion, mais a été le révélateur, non de la fracture entre l’île et le continent, qui se creuse inexorablement depuis deux décennies, mais de sa profondeur et de son intensité. La flambée de colère de la jeunesse, son rejet total de l’Etat français, la rupture générationnelle qu’elle consacre, ont pris tout le monde de court, nationalistes compris, même si beaucoup savait que le feu couvait sous la cendre. Un feu d’autant plus inquiétant que, malgré les tentatives de reprise en main par certains, il reste largement hors de contrôle. Tout aussi imprévisible que l’onde de choc et toute aussi sidérante fut la réaction du gouvernement qui s’est résigné, en dernier recours, à allumer un contre-feu pour stopper l’incendie. La promesse de l’autonomie contre l’assurance immédiate de la paix renvoie à un autre processus, accouché lui aussi dans la douleur, celui de Matignon. Une autonomie qui fait désormais largement consensus dans la sphère politique comme dans la société civile. De tout cela, il en fut question pendant près de quatre heures avec, au final, dans un chœur assez unanime et des tonalités pas aussi contrastées qu’on pouvait le supposer.

Le président de l’Exécutif corse, Gilles Simeoni. Photo Michel Luccioni.
Le président de l’Exécutif corse, Gilles Simeoni. Photo Michel Luccioni.
Une métaphore tragique
La première tonalité fut donnée sur le mode de la réconciliation par la présidente de l’Assemblée de Corse, Nanette Maupertuis, qui appelle à fixer, comme « seul préalable » de « choisir le moment où il n’y a ni vainqueur, ni vaincu, un moment qui n’est pas encore celui de la paix, mais où la logique de la confrontation doit céder le pas à la réconciliation et à la négociation ». Sortir de la tragédie qui a marqué ces 40 dernières années, reprend en écho le président de l’Exécutif corse, Gilles Simeoni, est une nécessité absolue : « Cette tragédie, nous ne la vivions plus, mais elle pouvait revenir à tout instant. Notre devoir était de rompre ce cercle de malheurs pour construire une société apaisée ». Il voit dans « la violence tragique » qui a frappée Yvan Colonna,  dans « ce drame humain et politique qui a bouleversé l’ensemble de la société corse », « une métaphore de ce que nous subissions et dont il fallait sortir », mais aussi « l’étincelle dramatique qui a mis le feu à une prairie qui menaçait de s’embraser ». Au delà « des conditions atroces de son assassinat, constitutives d’un scandale d’Etat », la Corse s’est, rappelle-t-il, embrasée aussi « parce que depuis toutes ces années, Paris, les gouvernements et les deux présidents de la République qui se sont succédés, l’Etat se sont refusés avec obstination, mépris, cynisme, à tenir compte du fait majoritaire, du suffrage universel. En démocratie, on doit respecter le peuple et ses élus. Ce qui s’est passé depuis le 2 mars trouve son origine dans le manquement à ses règles de la démocratie et dont l’Etat porte la responsabilité exclusive… Notre main tendue n’a rencontré que le vide et le mépris ». 
 
Au service de valeurs
La tonalité chez Gilles Simeoni est celle de la fermeté : « Dire qu’on a plus obtenu en 7 jours plus qu’en 50 ans, c’est à la fois vrai et inexact. S’il n’y avait pas ce long combat politiques et ces victoires électorales successives, il n’y aurait pas eu de levée de statut de DPS, d’annonce de rapprochement et d’ouverture de processus dans les délais proposés ». Et de prévenir : « Si Paris avait respecté les urnes, les Corses n’auraient pas eu besoin d’aller dans la rue ! Si Paris ne respecte pas les urnes, les Corses retourneront dans la rue !». Avec Nanette Maupertuis, il réaffirme la nécessité de réussir : « Nous n’avons pas le choix, il ne peut pas y avoir d’autre chemin pour la Corse que la paix et la démocratie ». Tout en fixant le contenu des négociations qui s’ouvriront vendredi prochain à Paris : « Il doit inclure la reconnaissance du peuple corse, le statut de résident, la coofficialité de la langue corse… Ces questions seront abordées, même si l’Etat a voulu faire savoir les lignes rouges. Aucun dialogue n’est ouvert sans définir les lignes rouges que la discussion fait évoluer ». Une discussion qui inclut tout le monde, répète-t-il, y compris les forces politiques non représentées à l’Assemblée de Corse, la jeunesse et l’ensemble des forces vives. « L’autonomie, déconnectée des réalités économiques, fiscales, syndicales, sociétales, n’a pas de sens, elle n’est que le moyen de régler les problèmes : la question de la précarité, de la vie chère, des salaires, des prix des carburants, des transports… Des transferts de moyens doivent correspondre au transfert des compétences et au service de valeurs : on ne veut pas d’une société de violence, de bandes, de prédation, mais de justice et de solidarité ». Pour lui, « chaque Corse a à participer car il a aussi en mains une clé de la solution. Et nous pourrons, alors, clore le cycle de la tragédie et écrire une histoire heureuse de ce peuple ».

Paul Quastana et Paul-Félix Benedetti, groupe Core in Fronte. Photo Michel Luccioni.
Paul Quastana et Paul-Félix Benedetti, groupe Core in Fronte. Photo Michel Luccioni.
Le même préalable
La tonalité est expérimentale et méthodique chez Core in Fronte avec Paul Quastana qui a participé au processus de Matignon, il y a 23 ans : « L’Etat connaît très bien la situation et les revendications qui sont formulées. Pas besoin de les lui expliquer ! C’est l’histoire qui repasse les plats ! Il y a 23 ans de cela, on avait des demandes avec le même préalable de l’arrêt de la violence qui est tombée après un attentat. L’assemblée de Corse était bien plus plurielle qu’aujourd’hui. La méthode utilisée était assez rigoureuse avec une consultation tous azimuts des forces vives. On a réussi à sortir un front commun de revendications acceptables par tous, sauf sur le pouvoir législatif ». Et d’expliquer : « On ne peut arriver à Paris qu’avec un consensus. Ce n’est pas un problème qui va se régler en quelques jours. On ne peut pas se permettre d’arriver là-haut en ordre dispersé avec des refus de certains groupes, des négociations… qui montrent que nous ne sommes pas en phase ». 
 
Le fameux réveil 
Le président du groupe, Paul-Félix Benedetti, revient sur l’enchaînement des évènements : « Au travers de ces manifestations, il y a l’empathie, la sympathie, mais aussi l’adhésion politique. On a tellement de rage, de haine contre l’injustice qu’on a fait à la Corse depuis 2 siècles et demi. L’histoire de Colonna est l’histoire d’une fracture, de deux mondes, tout ce qui nous oppose à la France et ce qui nous rapproche, avant que ne se lève la rupture ». Pour lui, ce dont la Corse a besoin, c’est d’un projet commun entre la Corse et la France ou entre les Corses. « Paris nous tend la main ou nous tend un piège ! Si c’est une main tendue, on y va dans un esprit de consensus, avec un socle commun, sans créer un espace de surenchère, mais un espace de synthèse. Si chacun veut la prise en compte de ses aspirations, ça n’ira pas. C’est pourquoi en tant qu’Indépendantiste, je suis prêt à me caler sur un statut d’autonomie, comme l’ont les îles italiennes, espagnoles… C’est possible ! Si demain, c’est un piège, on a une capacité de résilience. Ce n’est pas le nombre qui fera la différence, mais un pourrissement de la vie sociétale en Corse et une caisse de résonance française ». Selon lui, le saut qualitatif est simple à définir si la vision est politique : « Le problème, c’est le comportement de la France, son archaïsme. La Corse doit prendre sa place, mais pas n’importe laquelle, une place différentiée, un titre dans la Constitution française. Quand au chantage à la violence, il n’a pas de sens ! Ce qui se passe en ce moment, ce n’est pas un soubresaut, c’est le fameux réveil. On a toujours cru qu’on pouvait remettre la Corse dans une dynamique de progrès ». 

Jean Christophe Angelini et ke groupe Avanzemu. Photo Michel Luccioni.
Jean Christophe Angelini et ke groupe Avanzemu. Photo Michel Luccioni.
Une pomme de discorde
La tonalité chez Jean-Christophe Angelini, président du groupe Avazemu, est plus pessimiste. « C’est un moment de deuil, le discours politique perd une partie de son sens à l’inextinguible douleur et au vide abyssal dans nos vies. On a tous vécu aux côtés d’Yvan Colonna et des siens, on se souviendra tous du moment où on a appris la mort. Cela nous hantera longtemps. Il n’aurait pas du mourir. C’est aussi un moment de soutien à la famille ». Constatant que « Beaucoup de ceux, qui ont été dans la rue, n’étaient pas nés quand le préfet Erignac est mort, mais 20 ans après, le problème demeure dans son principe et dans son architecture politique », il entend délivrer des messages simples : « Un dialogue s’ouvre. Je ne sais pas s’il prospérera, mais je sais dans quelles conditions il pourrait échouer. Ne nous voilons pas la face ! La relation à l’Etat a toujours été une pomme de discorde dans notre famille politique. Essayons d’éviter ce piège entre nous ! Il y a des Nationalistes, pas des légalistes, pas des putschistes ! La règle est de cultiver le respect entre nous ». Le deuxième message est d’éviter la rupture entre les Nationalistes et les autres forces. « Nous y arriverons si le mouvement national se respecte et si le peuple corse se rassemble. Je mesure la complexité de la tache, je sais que les jeux politiciens ne manqueront pas d’intervenir, mais je crois qu’il existe un chemin. Je ne crois pas qu’il y ait deux discussions : une pour les fondamentaux et une pour les questions sociétales. Il n’y a pas de dichotomie entre la lutte pour ce peuple et son droit à un développement économique et social ». Il lance à l’Etat : « S’il ne s’agit que de décentraliser, il faut aussi bien ne pas commencer;! Il n’y a pas de solution sans reconnaissance du peuple corse et sans autonomie législative ». 
 
La petite musique
Pour sa colistière et élue de Corsica Libéra, Josepha Giacometti, la tonalité est à la justification : « Le 2 mars a été un temps de basculement. L’Etat terminait mécaniquement et méthodiquement sa vengeance. Le gouvernement a fait la triste démonstration que c’est le bruit des bombes agricoles qui l’a fait venir en Corse. En situation coloniale, le suffrage universel ne suffit pas ». Mais aussi à la mise au point : « J’aimerai faire cesser une petite musique : d’un coté, il y aurait des élus porteurs de la volonté démocratique et de l’autre, des aigris revanchards qui se nourrissent de l’échec, qui manipulent, qui sont cachés derrière les combats de rue. Il n’y a aucune aigreur de ma part et de celles des miens ! Nous disons depuis 2018 qu’il faut engager un rapport de forces. C’est nous voir bien petits que de nous penser revanchards ! L’esprit de revanche, il n’y en a pas, parce que, pour l’instant, personne n’a vaincu. La revanche, nous l’aurons quand nous serons ancrés dans la reconnaissance de notre peuple. La paix, nous y croyons, nous la voulons ». Elle lance à Gilles Simeoni : « Il n’y a pas de manipulation, ni de tentative de putsch, Mr le Président. Nous avons émis des critiques parce que le compte rendu fermait le prisme. Nous voulons que ce soit un processus historique, nous n’étions pas dans la surenchère ». Elle fixe un seuil minimal : « l’autonomie, ça ne peut être que le pouvoir législatif, ou alors ce n’est pas l’autonomie ! Il ne faudra pas aller vers un quatrième statut qui serait nourri de désillusions. L’Etat a le temps, pas nous ! Il joue la montre et il peut la jouer encore longtemps ! », craint-elle avant d’annoncer qu’elle sera présente vendredi prochain.

Jean-Martin Mondoloni et Laurent Marcangeli. Photo Michel Luccioni.
Jean-Martin Mondoloni et Laurent Marcangeli. Photo Michel Luccioni.
Vérité et justice
La tonalité est à la gravité chez Laurent Marcangeli, le président d’U Soffiu Novu : « Les heures, que la Corse vit, sont difficiles et sombres. Permettez-moi d’avoir une pensée pour la famille Colonna. Les conditions, dans lesquelles se sont déroulées le drame, nous amènent à beaucoup de respect et de dignité. Ce qu’il s’est passé le 2 mars a été générateur d’évènements. Nous ne devons pas l’oublier ». Le premier groupe d’opposition « exige vérité et justice eu égard aux faits produits à la maison d’Arles. Faute il y a eu parce qu’un détenu, s’il est privé de certains droits, n’est pas dénué de celui d’être protégé, d’autant plus quand il fait l’objet d’un statut de DPS. La faute est constituée, personne ne pourra en disconvenir ! Au-delà de la faute administrative et du grand problème du système carcéral français, c’est un problème politique. Le 22 octobre, nous avons voté à l’unanimité une délibération faisant appel au droit et à son application. Cette demande n’a malheureusement pas été entendue. Comment ne pas le regretter ? ». Il rappelle également que «  deux hommes ne sont plus concernés depuis quelques jours par ce statut de DSP, ils doivent être rapprochés, leurs peines devront être aménagées, et, conformément au droit de mon pays, ces hommes, un jour, devront être libérés ». Regrettant que « depuis 1998, beaucoup de choses font du mal aux Corses et à la Corse », il affirme vouloir « participer pleinement, activement, positivement » au processus de discussions. « Nous ne serons pas d’accord sur tout. Mais au-delà des lignes qui ne sont pas les nôtres, nous n’abandonnerons jamais notre rôle. Je ne suis pas ici au service de qui que ce soit, si ce n’est l’intérêt de la Corse », précise-t-il.
 
Pas de manichéisme
Si le leader de droite le réaffirme clairement « Le mot autonomie ne nous fait pas peur »,  il remet sur la table sa proposition de référendum : « Si nous souhaitons que la Corse se prononce de façon claire et distincte il faudra organiser un referendum. Il ne faut pas en avoir peur et le redouter ».  Il confie, ensuite, son inquiétude concernant la démocratie corse qui « montre des signes de faiblesse. C’est un problème de démocratie quand on peut voir aux portes d’un lycée des élèves qui ne peuvent pas rentrer. Certains n’osent pas dire ce qu’ils pensent. Nous ne devons pas le nier ici. Il n’y a pas ici le parti du bien et de l’autre, celui du mal ». Il met en garde en l’Etat : «  Au moment du décès du Préfet Erignac, j’avais l’âge de beaucoup de ceux qui sont désormais dans la rue. Je ne peux pas accepter qu’un jeune de 16 ans considère que la violence est la seule solution. L’État doit l’entendre, mais nous devons nous aussi en prendre toute la mesure et la responsabilité. Nous sommes dépositaires de bien plus de devoirs que de droits. Un devoir d’exemplarité, au nom des convictions qui nous animent. Nous devons défendre un certain nombre de principes et de valeurs ».

Jean Biancucci. Photo Michel Luccioni.
Jean Biancucci. Photo Michel Luccioni.
Un chemin de croix
La tonalité, chez le groupe majoritaire Fa Populu Inseme, est à l’émotion et à la gravité. « On se rend compte qu’un événement dramatique est toujours à l’origine d’un début de solution » reconnaît le président Jean Biancucci. « Le chemin est difficile. Ce n’est pas parce qu’on a un rendez-vous à Paris, que les choses vont avancer. En ce qui regarde le peuple, la langue, la terre, nous ne renoncerons jamais ! ». Le benjamin de l’hémicycle, Don Joseph Luccioni, porte la voix d’une jeunesse qui n’a pas connu Yvan Colonna, mais « nous avons grandi, nous avons été nourri par ce contexte et par les trois procès. Je retiens un homme debout, déterminé, fier, et son espérance de voir ce peuple reconnu dans ses droits et émancipé. L’autonomie n’est pas seulement un statut, mais une manière d’être, une réponse aux problèmes quotidiens et aux aspirations légitimes. Il faut se battre pour que l’Etat nous reconnaisse pour ce que nous sommes : un peuple petit par la taille, mais  vivant et debout, épris de liberté, de démocratie et de justice, qui attend en retour du respect ». Le député Jean-Félix Acquaviva « assimile la trajectoire d’Yvan Colonna à un chemin de croix, celui du nationalisme corse et de la Corse. L’assassinat du préfet a fait pesé une charge morale symbolique sur le peuple, considéré comme un peuple préféticide, toutes les demandes politiques ont été vues par ce prisme-là ». Il met l’accent sur deux pièges : « Le premier, dans la société corse, c’est la logique des bandes et des factions. Nous ne voulons pas un projet d’autonomie qui mènerait à l’enfer. Le deuxième, c’est de minorer le poids néfaste des faucons dans l’appareil d’Etat qui a été plus fort face à un pouvoir démocratique que lors de la clandestinité.Il faut en avoir conscience et construire la confiance nécessaire pour éviter ce piège-là ». Si Gilles Simeoni ne cache pas que le chemin sera long et parsemé d’embûches, il se félicite, qu’au terme du débat, « s’il y a des désaccords à purger, l’essentiel est acquis, c’est-à-dire la volonté d’avancer ensemble ». Et de conclure : « L’assemblée de Corse vient d’envoyer à Paris et aux Corses un formidable message de responsabilité et d’espoir ». 
 
N.M.