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Nanette Maupertuis : « Il y a un moment où la logique de la confrontation doit céder le pas à la négociation »


Nicole Mari le Jeudi 31 Mars 2022 à 19:09

Comment fermer ce cycle et ouvrir le prochain ? C’est la double question posée par la présidente de l’Assemblée de Corse en ouverture des débats sur la crise politique qui secoue la Corse depuis un mois. Pour Nanette Maupertuis, l’important est de saisir le moment où tourner la page du conflit pour accepter la réconciliation et une négociation purgée des tabous. Elle réaffirme que l’autonomie n’est pas un fétiche, mais un outil au service du développement dont il faut définir et expliquer le contenu. Avec le devoir de réussir à faire reconnaître les droits singuliers du peuple corse.



Nanette Maupertuis, présidente de l’Assemblée de Corse. Photo Michel Luccioni.
Nanette Maupertuis, présidente de l’Assemblée de Corse. Photo Michel Luccioni.
« Oghje a raprisentazione demucratica corsa s’addunisce per a prima volta dipoi à l’agressionne è a morte d’Yvan Colonna. Cume l’aghju detta sta mane, dipoi un mese, simu à tempu cumossi da a so morte tragica d’Yvan Colonna è impittati à una crisa pulitica maiò, marcata da una mubilisazione pupulare tremende, in particulare di a ghjuventù ». La présidente de l’Assemblée de Corse, Nanette Maupertuis, qui a réservé sa traditionnelle allocution d’ouverture de session, à cette séquence politique, en fixe, d’emblée le contexte et le cadre. « La visite du ministre Darmanin dépêché en urgence, dans un contexte électoral très singulier, souligne combien l’Etat a pris la mesure de l’onde choc provoquée par cet assassinat. Un premier échange a eu lieu le 16 mars. Une première prise d’actes aussi avec le rapprochement programmé des prisonniers politiques ». Elle reconnaît que cette première rencontre « n’a pas été le moment historique espéré par certains, le moment qui permet de passer du conflit au dialogue, puis à la construction d’une solution viable » parce qu’estime-t-elle « très objectivement, ce ne pouvait être le cas ». Par contre, poursuit-elle, « tout le monde a exprimé le souhait de sortir d’un cycle de méconnaissance, de non-reconnaissance et d’incompréhension de nos attentes et de nos espoirs pour entamer un nouveau cycle de relations apaisées et constructives, visant à définir une nouvelle place et de nouvelles compétences institutionnelles pour notre île ». Pour elle, deux questions se posent : comment sortir du cycle présent ? Comment construire le prochain ?
 
Tourner la page
La voie pour la présidente de l’Assemblée de Corse est, d’abord, « de tourner la page sans rien oublier du passé en « retirant à la haine son éternité » pour reprendre quelque peu la pensée de Barbara Cassin ». Il convient, selon elle, « de choisir le moment où il n’y a ni vainqueur, ni vaincu, un moment qui n’est pas encore celui de la paix, mais où la logique de la confrontation doit céder le pas à la réconciliation et à la négociation ». Ce moment, précise-t-elle, ne peut être un contexte de crise qui « ne permet pas de discerner dans le fracas quelles sont les solutions possibles, de reconnaître l’autre à la fois comme différent, mais aussi comme partenaire, d’accepter la persistance de ces différences tout en engageant un premier langage commun de réconciliation ». Le seul préalable, affirme-t-elle, le seul préalable est de «  provoquer ce moment, cette synchronicité – choisir de participer pleinement à ce kairos comme l’appelaient les Grecs – et une urgence. La construction du prochain cycle passe, ensuite,  par des gestes forts. Un signe a été donné le 16 mars. Un signe d’ouverture : le rapprochement des prisonniers politiques. Un signe de transparence qui est certes encore une promesse : l’engagement de révéler toute la vérité et d’œuvrer pour que justice soit rendue à Yvan Colonna ».
 
Sans tabou
Nanette Maupertuis en appelle, néanmoins, à la vigilance, surtout dans le contexte électoral et son cortège de promesses, et à reconnaitre les divergences. « J’entends depuis plusieurs jours parler de fossé, de distance, de fractures, de logiciels différents que nous aurions… Pesons nos mots et parlons un langage commun car la surenchère sémantique peut être tout aussi dévastatrice que les actes. Des différences ? Oui et c’est bien là la richesse des nations. Elles sont culturelles, linguistiques, sociales. Est-ce un problème d’identité ? Je ne le crois pas, en tout cas pas pour nous. Car notre identité est une identité plurielle, additive et inclusive. Qui n’enlève rien à personne ». Nier en préalable ces évidences conduit, déclare-t-elle, à établir « par principe qu’il n’y a pas de peuple corse, pas de langue corse, et cela ne permettra pas de progresser dans l’échange… Donnons-nous collectivement la chance de pouvoir nous exprimer sur tout. Sans posture, sans tabou ». Chacun, poursuit-elle, doit faire sa part de chemin : « Travailler à un consensus sur le contenu de l’autonomie. En définir les objectifs, les modalités et le calendrier… Nous devons poser les termes de la discussion, nous accorder d’abord entre nous au travers d’une convergence programmatique pour proposer notre conception de l’autonomie. Une autonomie qui ne sera pas un artifice ou un fétiche mais un outil, un outil dynamique, qui répond concrètement à tous les besoins de la population, de la reconnaissance du peuple et de la langue jusqu’à la cherté de la vie en passant par la menace environnementale et la question foncière ». 
 
Un devoir de réussite
Elle plaide pour la réalisation d’un argumentaire « logique, méthodique et transparent », « purgé des tabous, des non-dits, des comparaisons fallacieuses, des intérêts particuliers, des dogmatismes et des lignes rouges arbitraires qui limitent inutilement les discussions ». Tout comme, il faudra « poser les termes des négociations, très clairement, avec nos interlocuteurs et nous entendre de manière intelligible sur le sens des mots et le sens des actes. On ne peut pas envisager que là où se joue l’avenir de la Corse et celui de la jeunesse, les uns ou les autres sortent des réunions de travail sans avoir compris la même chose. Il convient d’expliquer ce que nous voulons, de faire de la pédagogie ». En rappelant à ceux qui prétendent remettre en cause la légitimité de la représentation élue au profit d’autres institutions : « Les Corses nous ont élus pour cela. Nous avons leur mandat pour mener cette négociation politique pour l’autonomie. C’est avec la création de cette assemblée, il y a 40 ans, le 2 mars, par un malheureux hasard de calendrier, qu’a commencé ce cheminement pour la reconnaissance, des particularités et de la singularité de la Corse. C’est au travers de ce parlement que les Corses sont représentés et décident de leur avenir ». Et de conclure : « Nous n’avons pas le droit d’échouer, nous n’avons pas le choix ! Nous avons un devoir de réussite, pour nos enfants, pour tous ces enfants qui doivent pouvoir choisir de vivre sur cette terre, d’en partir, de parler le corse comme le français. Et pour cela il faut leur reconnaître des droits singuliers qui existent d’ailleurs dans d’autres endroits en Europe ou en France. Avemu tutti un duvere di riescita per a storia, per u populu, per chi i sacrifizi di i nostri patriotti ùn sianu vani ».