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Assemblea di a ghjuventù : La dernière session se focalise sur les questions économiques et institutionnelles


Nicole Mari le Jeudi 21 Octobre 2021 à 19:46

Pour sa dernière session de la mandature avant son renouvellement et la première présidée par la nouvelle présidente de l’Assemblée de Corse, l'Assemblea di a Giuventù a choisi de se concentrer, jeudi, sur des sujets économiques et institutionnels. Le débat d’orientation générale a porté sur la transparence de la vie et des politiques publiques, ainsi que sur le bilan et les évolutions envisagées pour l’Assemblée des jeunes. A l’ordre du jour également, des questions orales sur le prix de l’essence, les flux migratoires, la spéculation foncière, la mobilité aérienne, le contentieux avec la Corsica Ferries, la précarité étudiante, le développement économique… Et deux propositions : un Numeribus et una Carta di residenza.



La dernière assemblea di a giuventù de la mandature.
La dernière assemblea di a giuventù de la mandature.
« C’est une séance particulière parce qu’il s’agit pour moi d’une première - c’est la première fois que je préside cette Assemblée et je la présiderai quelques années – et pour certains d’entre-vous d’une dernière, puisque c’est la dernière séance de la mandature qui s’achève ». La présidente de l’Assemblée de Corse et présidente de l’Assemblea di a Ghjuventù, Nanette Maupertuis, pose d’emblée, dans son allocution d’ouverture, jeudi matin, le contexte de cette dernière séance d’une mandature quelque peu décalée par rapport à celle de l’Assemblée territoriale. Ne cachant pas son plaisir à présider cette assemblée de jeunes dont certains sont ses anciens étudiants à l’Université, elle salue le travail de son prédécesseur, Jean-Guy Talamoni, « très attaché à l’écoute de la jeunesse corse, ce qui l’avait poussé à proposer la création de cette assemblée. Une initiative très vertueuse, réceptacle et caisse de résonnance pour la jeunesse corse, et un challenge pour les élus ». Pour cette dernière session, pas moins de 19 questions orales, un débat sur la transparence de la vie publique, des propositions d’évolution de l’institution, et deux rapports demandant la mise en place d’un Numeribus et d’une Carta di residenza.

Nanette Maupertuis, présidente de l'Assemblée de Corse et de l'Assemblea di a Giuventù.
Nanette Maupertuis, présidente de l'Assemblée de Corse et de l'Assemblea di a Giuventù.

La hausse des carburants
Politique énergétique, flux migratoires, aides aux communes, desserte aérienne, Plan France 2030, développement économique, spéculation immobilière, contentieux avec la Corsica Ferries, précarité étudiante, première année de médecine, patrimoine… Les questions orales très denses se sont focalisées dans leur diversité sur des problèmes très concrets, essentiellement économiques. Deux questions ont insisté sur le prix des carburants qui dépasse 1,70 €, « un record quasiment jamais atteint et toujours 10 centimes de plus que sur le continent », rappelle Jean-Philippe Casalta, non inscrit. Il propose de créer « une compagnie régionale de l’énergie, gérant l’acheminement, l’approvisionnement, le stockage et la vente au détail d’essence et de gaz » pour faire baisser le prix à la pompe. En même temps, de faire de la Corse un territoire pilote matière de voitures propres, notamment électriques avec « l’objectif de 1 village =1 borne », de favoriser « l’implantation de stations de distribution du bioéthanol » et d’inciter des agriculteurs corses à en produire. Cyril Peres, du goupe « Custruimu l’avvene » s’interroge sur les moyens réels dans dispose la Collectivité pour agir sur les prix : « Ne sommes-nous pas capables de casser ce monopole de la distribution afin d’obtenir une réelle situation de concurrence ? ».
 
Pas de chèque essence
En réponse, le président du Conseil exécutif, Gilles Simeoni, réaffirme que l’autonomie énergétique à 2050 est un objectif stratégique majeur et une priorité : « C’est un chemin très ambitieux, mais réalisable, avec 2/3 de maitrise de l’énergie et 1/3 de production d’énergies renouvelables. L’énergie de transition, le gaz, fait l’objet d’un appel d’offres par l’Etat, qui aurait du être porté à son terme, mais va probablement être déclaré infructueux. Il n’est pas possible d’aller plus loin ». Pour le carburant routier, il renvoie au rapport voté fin septembre : « Nous avons initié une étude pour savoir si on peut produire localement du biocarburant, il y aura un problème d’échelle, mais on peut néanmoins avoir une production raisonnable ». Il n’exclut pas la piste d’une société d’économie mixte pour contrer la distribution de monopole, « mais elle comporte des dangers ». Sur les voitures électriques, il précise que « plusieurs appels à projets ont été lancés pour l’équipement de la Corse en matière de bornes électriques, avec une réserve : le problème de stockage de l’électricité. Il s’agit de ne pas mettre le système en tension ». Il prévient : « Il y a des régions qui font des chèques essence. Dans notre contexte budgétaire, nous n’avons pas la possibilité de dégager un budget pour financer un chèque essence pour les personnes en situation de précarité ».

U gruppu "Ghjuventù di U Centru Dirittu".
U gruppu "Ghjuventù di U Centru Dirittu".
Le défi migratoire
Autre préoccupation d’actualité soulevée par Jean-Alain Tarelli au nom du Centre droit : la maîtrise des flux migratoires en Corse : « Le contrôle de la démographie a toujours été un enjeu essentiel dans le maintien des sociétés. Alors n'y aurait-il pas un risque pour la population dite autochtone de se retrouver en infériorité numérique sur sa propre terre ? ». Il alerte sur l’insuffisance des ressources, notamment en matière d’agriculture et d'eau : « Face aux nombreux enjeux vitaux que rencontre la Corse dans ce siècle, cette immigration prévue est-elle une chance ou un fardeau ? ». Et demande à l’Exécutif de préciser « son orientation politique sur ce défi crucial du 21ème siècle ». Des questions, reconnait Gilles Simeoni, que tout le monde se pose. « Il y a en arrière-plan une inquiétude : qu’allons-nous devenir collectivement ? Le peuple corse va-t-il continuer à exister en tant que communauté humaine vivante, originale, avec sa langue, sa culture, ses codes, son rapport à la terre et au monde ? Notre réponse est : Oui ! L’évolution démographique peut-elle constituer une menace ? Objectivement, oui ! Mais je crois que le peuple corse est d’abord une volonté et un projet. Etre corse n’est pas fondamentalement une question de couleur de peau, de lieu de naissance ou de religion. On peut devenir Corse par la volonté d’intégration ».
 
Une situation anxiogène
Ceci posé, le président de l’Exécutif déroule la réalité des chiffres – 5000 personnes qui arrivent chaque année - et le bond quantitatif en 20 ans de la population par solde migratoire « une situation sans équivalente en France continentale ». Et dresse un sombre constat : « Un tel brassage crée des déséquilibres territoriaux énormes. Beaucoup de gens, qui arrivent, n’ont aucun lien avec la Corse. Beaucoup sont dans des situations de difficultés économiques et sociales et se retrouvent dans de véritables trappes à pauvreté. Depuis 10 ans, on retrouve des pathologies sociales qui n’existaient pas en Corse et ont tendance à nous aligner sur des modèles du continent ». Il ne cache pas que cette réalité complexe est « difficile, souvent anxiogène ». Pour lui, la réponse politique doit être globale, multifactorielle, et s’attacher, en premier lieu, à créer les conditions « de façon systématique et institutionnelle » du retour de la diaspora. Pour le reste, « La Corse a toujours fabriqué des Corses, elle doit continuer à le faire, à condition que la machine fonctionne. Ce qui nous a constitué en tant que peuple est notre relation à la terre, notre lien avec notre langue et notre culture. Il faut, donc, lutter contre la spéculation foncière, maintenir une politique linguistique de cohésion, créer de la richesse économique, penser l’aménagement du territoire… ».

Pas question de payer !
Côté transport, Pascal Zagnoli, au nom de « Custruimu l’Avvene », revient sur la condamnation de la Collectivité de Corse (CdC) à verser 86,3 millions € à la Corsica Ferries en règlement d’un contentieux sur le service complémentaire datant de la Délégation de service public (DSP) maritime de 2007 à 2013. Le président Simeoni confirme son intention de ne pas payer : « Je réfute la logique d’un règlement. Le quantum est excessif. Nous avons provisionné 20 millions € qui est la part considérée comme raisonnable par le juge d’appel des référés à Marseille. Nous avons bien fait de ne pas aller au-delà. 86,3 millions €, c’est un tiers de l’investissement de la CdC sur une année ». La condamnation est cependant exécutoire. « Chaque jour qui passe fait courir des intérêts importants :15 000 € par jour. Nous avons introduit un recours qui ne suspend pas l’Exécution ». C’est aussi une question de principe, martèle-t-il avec la même force : « la condamnation résulte d’une décision politique qui a été prise à l’époque et dans laquelle a été impliqué l’Etat sous plusieurs casquettes. D’abord, il était actionnaire majoritaire de la SNCM et donc bénéficiaire direct du service complémentaire. Ensuite, le contrôle de légalité n’a pas été exercé alors qu’il était évident que le service complémentaire était illégal, et que tous les jours, en ma qualité de président de l’Exécutif, j’ai à répondre à des contrôles de légalité tatillon. Enfin, l’Etat n’a jamais notifié à la Commission européenne la convention de DSP alors qu’il avait obligation de le faire. Ce qui montre bien qu’il savait qu’il était fautif. A l’époque, on a payé le Napoleon Bonaparte parce qu’il fallait faire travailler les chantiers navals français, et pour maintenir l’emploi sur le port de Marseille. Je ne vois pas pourquoi la Collectivité de Corse va supporter les errements d’hier ».

Des vols directs vers l’Italie ?
Concernant la desserte aérienne, Livio Leandri a, au nom du même groupe, soulevé deux problématiques : l’élargissement du tarif résident à l'achat de vols simples et le manque de vols directs avec l’Italie proche : « Depuis Ajaccio, durant la période des vacances de la Toussaint, on doit compter entre 4h et 9h30 de vol pour se rendre à Rome - à seulement 309 kilomètres à vol d'oiseau -, pour un coût compris entre 300 et 600 € l'aller-retour ». La conseillère exécutive et présidente de l’Office des transports (OTC), Flora Mattei, déclare qu’il « est désormais possible d’acheter des vols simples au tarif résident. Pour que la continuité territoriale ne représente plus un frein à notre mobilité, nous avons ouvert à tous les Corses une combinaison avion-bateau au départ de la Corse avec nos deux compagnies délégataires Air Corsica – Corsica Linea ». Et annonce que les études de faisabilité pour une ligne directe, qui avait été lancées par son prédécesseur, le député Jean-Félix Acquaviva, sont réactivées : « Nous avons pris la décision de relancer ces travaux, de les remettre en perspective, nous sommes en train d’établir les différents périmètres d’études avec notre assistance à maîtrise d’ouvrage sur des programmes opérationnels pour mettre en œuvre cette circulation internationale de proximité. Sous réserve d’un accord avec l’Union européenne et d’une mobilisation de crédits dédiés, nous pourrons mettre en place une desserte régulière entre la Corse, la Sardaigne et la Toscane. Ce dispositif pourra être complété par des achats de flux vers certaines villes italiennes ».
 
Des fonds à chercher
Autre préoccupation de la jeunesse : le développement économique a fait l’objet de trois questions d’A Ghjuventu Naziunalista. Lizandru Bizzari a notamment interpelé le président de l’ADEC sur la capacité financière de la CdC à conduire les politiques de l’Exécutif. « Il y a des moyens qu’il faut chercher et que nous avons commencé à chercher : des moyens liés au financement propre de la CdC, des moyens européens, et des moyens locaux. Je pense à toute la panoplie des programmes européens que l’on peut activer, à la Banque européenne d’investissement qui peut nous aider sur certains projets, et aux liens que l’on doit renforcer avec les financeurs locaux, que ce soit les cinq fonds locaux existants ou les banques. Sur un volume d’investissements, hors investissements publics, entre 500 à 600 millions € par an, plus de 400 à 500 millions € sont portés par les banques », indique Alex Vinciguerra. Mais, estime-t-il, « Tout cela n’a de sens que si on s’organise pour répondre aux entrepreneurs et aux porteurs de projets. La gestion administrative des aides à l’ADEC ne déclenche pas l’investissement et ne profite qu’aux entreprises qui ont la trésorerie suffisante. Il faut donc rapprocher le temps administratif du temps de l’entreprise ». Il pointe deux objectifs : « Le premier est de limiter ce temps par des procédures identifiées et contrôlées ». D’où la nouvelle démarche de l’ADEC d’individualiser les aides. Le deuxième est politique : « agir sur des projets uniquement d’augmentation de la production locale de biens et services. On a fait le choix délibéré de se positionner en opportunité. Désormais, l’ADEC décidera si le projet présenté est un projet de production ou pas ».
 
Une question d’équilibre
Interpellé sur sa vision économique par Pierre-Joseph Paganelli, Alex Vinciguerra réplique que la Corse ne doit pas « avoir peur d’elle-même », mais « être ouverte sur l’économie mondiale et sur un marché globalisé. On ne peut pas s’extraire du marché, mais il faut aussi essayer de construire des modèles qui viennent quelquefois contrarier le marché ». Il ne s’agit pas de prôner une politique économique « sans règle, ni garde-fous ». Pour le président de l’ADEC, la seule question est d’arriver « à contrôler au mieux la globalisation, surtout dans la situation d’incertitudes fortes. Notre politique doit essayer de trouver l’équilibre entre la mondialisation et le respect de notre identité qui est un critère de différenciation fort. Il faut trouver un équilibre entre l’ouverture au monde et la préservation de notre problème d’organisation sociale, travailler à la recherche d’opportunités pour les entreprises, renforcer la capacité d’innovation, développer la production locale, augmenter la valeur ajoutée et faire en sorte que nos produits se diffusent en Corse et hors de Corse ». C’est, conclut-il, « davantage une réforme méthodologique ».

Un Numeribus
Quatre rapports ont, ensuite, été discutés, dont deux émanant de l’Exécutif : le Schéma directeur territorial de l’enfance et de la famille pour la période 2021/2026 qui sera débattu à l’Assemblée de Corse, la semaine prochaine, et l’évaluation des projets sélectionnés dans le cadre du pacte régional d’investissement. Les deux autres rapports proviennent de l’Assemblea di a Ghjuventù. Le premier propose la mise en place d’un Numeribus : « L’objet est de créer un espace public numérique itinérant de médiation numérique qui offrirait une offre de formation aux publics dans leurs communes de résidence. Il répond à l’impératif de créer une société numérique et inclusive dans notre île », explique Michel Peretti, du groupe de droite. « Il identifie deux publics prioritaires : les éloignés du numérique et les non-internautes dans un contexte de dématérialisation des services publics ». Le second rapport est porté par les groupes nationalistes : a Carta di residenza. « Nous demandons la mise en place d’un statut de résident, renouvelable tous les 5 ans, pour acheter un bien immobilier, d’une carte de résident qui sera attribuée à toute personne pouvant justifier d’une résidence principale en Corse sur les mêmes critères que le tarif résident aérien, enfin d’une carte de diaspora, renouvelable tous les ans, à attribuer selon les critères du tarif diaspora porté par le Conseil exécutif. L’idée est de mettre en place un service centralisateur permettant de simplifier les démarches administratives ».
 
Plus de transparence
Autre moment fort de cette dernière session : le débat d’orientation générale sur la transparence de la vie publique. Camille Martelli, vice-présidente de l’Assemblea, a posé le cadre méthodologique, les objectifs à atteindre et ouvert des pistes sur les moyens opérationnels pour agir contre les dérives : « Il est recommandé aux acteurs publics de doter leur organisation d’un dispositif anticorruption adapté à ses risques ou spécificités propres. Peu de collectivités territoriales en dispose. La loi Sapin II pousse les collectivités à se doter d’un référent Alerte éthique afin que les agents puissent signaler des dysfonctionnements en interne ». Seul 30% des collectivités concernées en ont nommé un. Elle évoque également le coût des ressources humaines qu’exige la transparence. « Il faut une hausse des moyens administratifs, renforcer la démocratie participative, donner plus de responsabilité à certains organes satellites comme le CESEC, la Chambre de Territoires et notre Assemblée ». Le groupe de Centre droit insiste, pour sa part, sur le conflit d’intérêt entre élus et entreprises locales, et sur la transparence en matière d’utilisation des deniers publics. Tous agréent les préconisations de Wanda Mastor que le président du Conseil exécutif a mandaté pour étudier l’évolution institutionnelle des institutions corses.
 
Plus de diversité
Le débat s’est poursuivi sur les évolutions envisagées pour la future Assemblea di a Ghjuventu avec comme point d’achoppement entre les groupes : la représentativité de ladite assemblée. L’opposition remet en cause la désignation des membres, dont plus de la moitié sont issus de candidatures libres, et réclame, plus de diversité et plus de droits, notamment la présidence d’une des trois commissions organiques. Les groupes se mettent d’accord pour demander des modifications structurelles, notamment une meilleure interface avec l’Exécutif grâce à un référent, une saisie systématique sur les rapports structurants, une augmentation du nombre des sessions et de la durée du mandat, un séminaire de formation pour les jeunes élus, la participation à des réunions thématiques pour les former à la vie démocratique, une lettre de recommandation personnalisée en fin de mandat… Mais surtout, les jeunes veulent que leurs avis soient mieux diffusés aux élus de l’Assemblée de Corse et à l’Exécutif pour un suivi et obtenir des réponses. « Je prends note de tout ce qui a été dit et qui sera versé au débat », les rassure Nanette Maupertuis qui reconnaît qu’il faut améliorer les choses. « L’important, c’est que vous arriviez à travailler et à peser sur les décisions ».
 
N.M.