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Antoine Orsini : « Une démarche unitaire progressiste-autonomiste est la voie de l’avenir pour la Corse »


Nicole Mari le Mercredi 19 Juillet 2017 à 22:31

Intercommunalité, inondation, sécheresse, contraintes budgétaires, suppression de la Taxe d’habitation, investissements, projets structurants, politique locale, échéance électorale… Corse Net Infos a décidé, en cette période estivale, de donner la parole aux maires et élus locaux. Le premier à s’exprimer est Antoine Orsini, maire de Castellu-di-Rostinu en Haute-Corse. L’ex-conseiller territorial, président de la Commission des finances sous l’ancienne mandature, a choisi de livrer un certain nombre d’inquiétudes, notamment d’ordre financier, concernant tant la si controversée communauté de communes du Centre Corse que la future collectivité unique. Ce progressiste social-démocrate, qui fut proche de Simon Renucci, revient également sur le changement de donne politique en Corse et la déliquescence de la gauche. Il lance un appel au rassemblement des Progressistes et à la construction d’une démarche d’alliance avec les Nationalistes modérés autour d’un statut d’autonomie.



Antoine Orsini, maire de Castellu di Rustinu, devant le pont historique de la bataille de Ponte Novu.
Antoine Orsini, maire de Castellu di Rustinu, devant le pont historique de la bataille de Ponte Novu.
- Six mois après l’accouchement difficile de la Comcom Pascal Paoli, quel premier bilan en tirez-vous ?
- Bien avant sa création par fusion de quatre communautés de communes, nous avions alerté, de diverses manières, à la fois le préfet et le ministre Baylet, sur la non-viabilité de cette nouvelle entité. La Comcom Pascal Paoli regroupe 42 communes, pour la plupart très petites, et un peu plus de 6 000 habitants sur un territoire très étendu. Sa non-viabilité était prouvée par des simulations financières et fiscales, qui avaient été faites à l’époque, et par la non-pertinence des territoires qui la composent. Cette Comcom se retrouve, aujourd’hui, en proie à des difficultés financières importantes. Son président nous a avertis des difficultés à boucler le budget 2017, ne serait-ce que pour la principale compétence actuelle que sont les ordures ménagères en proie à d’énormes problèmes de gestion. Quand s’y ajouteront d’autres compétences budgétivores, les difficultés vont s’accroître et se démultiplier.
 
- Etes-vous inquiet ?
- Oui ! Je suis d’autant plus inquiet qu’à compter du 1er janvier 2018, nous récupérons la compétence GEMAPI (Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations) sur un territoire très touché par les intempéries et les inondations. Cette compétence nécessite des travaux d’aménagement des cours d’eau pour la protection des populations. Pour les communes les plus touchées, celles de la vallée du Golo, - Morosaglia, Valle-di-Rostinu, Castellu-di-Rostinu -, les besoins d’investissement se chiffrent à plus d’un million d’euros. Sans compter, les besoins de la vallée de la Casaluna… Nous n’avons pas les moyens financiers d’assumer cette compétence. L’échéance de 2020 est un autre sujet d’inquiétude.
 
- C’est-à-dire ?
- La loi NOTRe consacre le transfert obligatoire, à cette date, des compétences « Eau potable et Assainissement ». Quand on sait le retard en équipements en la matière de la plupart des communes de notre territoire, les investissements à réaliser sont vertigineux ! Je ne vois pas comment une telle Comcom, avec ses faibles ressources, pourra assumer ces compétences. Je suis inquiet pour l’avenir, tant pour le contribuable de ce territoire que pour l’usager.
 
- Dans ce contexte, comment réagissez-vous à la suppression de la taxe d’habitation ?
- Du point de vue du contribuable, cette exonération peut être considérée comme une aubaine, même si, dans le domaine de l'équité, certaines taxes sont bien plus injustes. Du point de vue du maire que je suis, une telle mesure conduit à diminuer l'autonomie financière et fiscale des collectivités locales en remplaçant une taxe par une dotation. Une sorte de recentralisation étatique du pouvoir fiscal et financier partiellement décentralisé aux collectivités locales. De surcroît, nul ne peut garantir que cette dotation compensatrice aura la même dynamique financière que la taxe d'habitation, ce qui peut à terme mettre encore plus en péril les budgets municipaux déjà lourdement amputés par la réduction des dotations de l'État.
 

Ponte Novu sous les inondations d'octobre 2015.
Ponte Novu sous les inondations d'octobre 2015.
- Vous évoquiez les inondations. Les dégâts des dernières crues ont-ils été réparés ?
- Castellu-di-Rostinu a surtout été victime de fortes inondations en octobre 2015, un peu moins en 2016. Elle a subi près d’un million d’euros de dégâts communaux, auxquels s’ajoute la détérioration de la route départementale. Grâce à l’aide de l’ancien préfet Thirion, du Conseil départemental et de la Collectivité territoriale (CTC), nous avons réussi à obtenir un taux de financement qui permet, sans trop de dommages pour la commune, de réaliser progressivement les travaux. D’ici à l’année prochaine, les dégâts, si d’autres ne surviennent pas d’ici là, seront tous réparés.
 
- Votre commune souffre-t-elle, en ce moment, de la sécheresse qui sévit dans l’île ?
- Si on en juge par le niveau assez bas du Golo ou de ses affluents, la sécheresse est sévère, certains cours d’eau sont en rupture. Grâce aux neiges de l’hiver dernier qui ont réalimenté les nappes phréatiques, l’alimentation en eau potable est, pour l’instant, assurée dans la commune. Mais si les conditions climatiques perdurent jusqu’en septembre, on pourrait être confronté à des restrictions fortes. C’est un sujet d’inquiétude pour nous autres maires, cela doit l’être aussi au niveau régional puisque c’est là où se règle le problème. Les communes ont fait le nécessaire pour protéger les captages, mais ce n’est pas suffisant. Il faut aller plus loin en prenant en compte les besoins, à la fois, en consommation humaine et en irrigation agricole. Beaucoup de constats sans lendemain sont faits en matière de gestion de la ressource en eau. Il est grand temps de considérer que ce sujet est éminemment stratégique, voire vital, il faut s’en saisir pleinement.
 
- De quelle façon ?
- En élaborant, de toute urgence, en faisant appel aussi bien à l’Europe qu’à l’Etat, un plan d’aménagement hydraulique de la Corse par la constitution de réserves et de retenues d’eau. Sinon les communes iront au devant de catastrophes, tant au niveau de la consommation humaine que des besoins agricoles. La Corse a le paradoxe d’être gorgée d’eau, d’être la plus arrosée des îles de Méditerranée, et de subir des pénuries ! Le PADDUC (Plan d’aménagement et de développement durable de la Corse) a été très ambitieux au niveau du foncier agricole pour démultiplier la surface à consacrer à l’agriculture. Mais si on n’est pas capable d’accompagner ce développement par un plan hydraulique, on ne pourra pas accroître les surfaces agricoles, on sera même obligé de les diminuer ! Les restrictions d’eau, décidées en ce moment par les préfets, l’attestent.

Le site historique de la bataille de Ponte Novu.
Le site historique de la bataille de Ponte Novu.
- Côté développement, où en est le projet Pascal Paoli bâti autour du site historique de Ponte Novu ?
- Ce projet de valorisation du site de la bataille historique de Ponte Novu, voté par l’Assemblée de Corse sous l’ancienne mandature, a été remis au goût du jour. L’idée est d’aménager le site en construisant une passerelle piétonne sur le nouveau pont routier, une autre sur le pont historique et d’aménager l’ensemble du parvis. S’y ajoute la création d’un centre d’interprétation historique sur le thème « Pascal Paoli, un Corse des lumières ». Cette structure inédite, à la fois, touristique et culturelle, d’accueil et de vulgarisation de la vie et de l’œuvre de Pascal Paoli au temps du siècle des Lumières, serait complémentaire du musée de Morosaglia qui est la maison natale de Paoli. Le tout s’inscrivant dans une route paoliste dont Ponte Novu serait la porte d’entrée et qui irait jusqu’à Corte.
 
- Avec quel calendrier ?
- Il y a quelques mois, le président Simeoni m’a confirmé sa détermination à mettre en œuvre ce projet de rayonnement régional, important pour la culture corse. Un phasage a été établi. Cette offre est unique, puisqu’il existe très peu de structures de tourisme historique dans l’île. Mieux faire connaître Pascal Paoli sur ses aspects les moins connus donnerait une valeur ajoutée forte, non seulement au site de Ponte Novu, mais à l’ensemble de la Corse.
 

« Le statut de la Corse est appelé à évoluer »
 
- En tant qu’ex-conseiller territorial de gauche, quel regard portez-vous sur le changement de donne politique en Corse ?
- Nous assistons, en Corse, comme au niveau national, à l’accélération d’un phénomène qui a germé il y a quelques années, à savoir l’effacement des partis politiques traditionnels. Ce n’est pas que la gauche et la droite n’existent plus, les idées de libéralisme ou de solidarité demeurent, mais sous une autre forme. La ligne de démarcation droite/gauche tend à s’estomper et est remplacée par une ligne conservateurs/ progressistes qui transcende les partis et fait intervenir la famille nationaliste. En Corse, une soif de modernisation de la vie publique s’est affirmée, mue par la jeunesse, mais pas uniquement. Elle se caractérise par un besoin de transparence, d’éthique, d’une meilleure prise en compte territorialement des spécificités de notre île et de notre capacité à les gérer nous-mêmes. C’est pour cela que le statut de la Corse est appelé à évoluer.
 
- Vers un statut d’autonomie ?
- Je n’utiliserai pas ce terme, même s’il ne me dérange pas, mais il est trop souvent utilisé aujourd’hui, parfois par opportunisme, parfois par une ambiguïté savamment entretenue. Je préfère définir un contenu. Je suis pour que la future collectivité de Corse assume la totalité des politiques publiques en matière d’économie, de social, d’environnement, de culture et d’infrastructures. Je suis, par conséquent, pour que l’Etat assume entièrement les fonctions régaliennes – défense, sécurité, justice –, les fonctions de contrôle dans tous les domaines par souci de neutralité, et les questions de santé et d’éducation, même si là une certaine régionalisation serait souhaitable. La Corse doit, à minima, bénéficier de sa capacité d’adaptation législative et règlementaire. Ce que prévoit le statut actuel, mais les textes sont inopérants. Je ne vois pas d’avancée en la matière.
 
- Pensez-vous que le gouvernement Macron serait prêt à en discuter ?
- Difficile à dire ! Pour l’instant, il ne donne pas de signe très probant ! Je suis, de toute façon, assez sceptique sur la volonté des gouvernants d’aller plus loin dans ce domaine. Quoi qu’il en soit, il faudra à l’avenir, sur le principe de subsidiarité, gérer localement, prendre ses responsabilités et établir de nouveaux rapports avec l’Etat. La Corse doit pouvoir légiférer dans les domaines de compétence territoriale afin de décider, par des leviers juridiques et fiscaux, des politiques publiques qu’elle doit assumer seule. La fusion des trois collectivités obéit à un esprit d’optimisation, d’unicité d’action. Le fait que l’Etat reste compétent dans certains domaines économiques ou sociaux entraine une dispersion des moyens. Il serait préférable que la future entité puisse pleinement assumer et financer ses politiques grâce à un transfert de ressources publiques.

La Collectivité territoriale.
La Collectivité territoriale.
- Lorsque vous étiez président de la Commission des finances, vous aviez alerté sur le risque financier pesant sur la future collectivité. Craignez-vous des difficultés ?
- Oui ! La future collectivité devra assumer un surcoût lié à sa mise en place, ne serait-ce que par l’harmonisation des statuts des personnels qui ne se fera pas par le bas. Egalement, un surcoût lié à la prise en charge de compétences départementales qui, aujourd’hui, sont très déficitaires au plan budgétaire. En premier lieu, le social, très mal compensé par l’Etat. Ensuite, l’important réseau routier qui nécessite des investissements colossaux sans ressources idoines. Il faudra, aussi, assumer la fin du PEI (Plan exceptionnel d’investissements) dans un contexte de réduction des dotations, et, donc, vite, trouver des ressources propres. Sous la précédente mandature, j’ai rédigé et fait voter un rapport sur une réforme fiscale territoriale, nous l’avons présentée au gouvernement Valls qui n’a pas voulu ouvrir le chapitre. C’est très dommageable pour la Corse ! Il est urgent de l’ouvrir sinon la future collectivité sera en proie à des difficultés importantes. Ce sera un gros moteur avec peu de carburant !
 
- Pour revenir au politique, les derniers scrutins ont dynamité la gauche locale. Quel regard portez-vous sur ce qu’il en reste ?
- Les partis et les structures ont volé en éclats. Aujourd’hui, ne subsistent que des citoyens qui se réclament toujours de gauche, notamment d’une gauche progressiste. Il y a aussi une gauche conservatrice qui privilégie le statuquo, même si personne ne se vante de lui appartenir. Je suis un républicain, je suis pour le maintien de la Corse dans la République, mais pas pour le républicanisme jacobin. Je me considère comme un social-réformiste, je me suis beaucoup abreuvé au lait politique de Michel Rocard, j’ai même été candidat sur sa liste aux Européennes. Je pense que le courant réformiste, qui est non organisé aujourd’hui, doit se reconstruire. Mais, le temps est compté. Les uns et les autres doivent faire fi de leur ego, de leur individualisme, de leur ambition personnelle sans quoi rien ne sera possible. Il est important pour le collectif, pour la Corse, que chacun prenne sur soi, sinon la balkanisation politique se poursuivra. Les Progressistes, qui sont empreints à la fois d’équité sociale et d’équité territoriale, ont un rôle à jouer.
 
- Lequel ?
- La démarche progressiste-autonomiste me semble la voie de l’avenir pour la Corse. Je lance un appel à une démarche unitaire autour d’un nouveau statut permettant une gestion apaisée, une gouvernance autonome et responsable dans un nouveau rapport avec l’Etat. Cela suppose la construction d’une démarche politique dans la clarté avec une base programmatique qui établit que la Corse retrouve un certain nombre d’équilibres - économique, social, territorial, environnemental – en s’appuyant sur un outil institutionnel plus performant. Mais, si autonomie, il doit y avoir, elle doit être un mode de gestion politique et administratif de la Corse, pas un marchepied ou une étape vers l’indépendance ! Il faut que chacun clarifie sa position là-dessus parce qu’une grande ambiguïté persiste sur le sujet. Les Corses ont besoin de clarification.
 
- Serez-vous présent aux élections territoriales de décembre ?
- Je suis absent de l’Assemblée de Corse depuis 2015, je ne m’en porte pas plus mal sur le plan personnel. Pour moi, la question n’est pas là. En lançant cet appel pour l’avenir de la Corse, je suis disponible pour y contribuer. Nous verrons si les conditions sont remplies.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.