Corse Net Infos - Pure player corse

Alimentation énergétique de la Corse : Des objectifs partagés, mais l’inquiétude demeure


Nicole Mari le Vendredi 30 Avril 2021 à 18:10

L’Assemblée de Corse a adopté, à l’unanimité, jeudi après midi, la révision de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) pour la période 2019-2023 et la stratégie jusqu’en 2028. Un programme ambitieux d’autonomie énergétique basé sur la maitrise de la consommation et le développement des énergies renouvelables, des objectifs partagés par tous les groupes de l’hémicycle, mais aussi les mêmes incertitudes. Les élus de tous bords n’ont pas caché leur inquiétude sur le retard de la mise en chantier de la future centrale du Ricanto et son alimentation au gaz naturel, et plus généralement sur la volonté de l’Etat à tenir ses engagements.



La centrale du Vazzio. Photo Michel Luccioni.
La centrale du Vazzio. Photo Michel Luccioni.
C’est un dossier urgent, brûlant, l’un des chantiers les plus ambitieux de la prochaine mandature, où, malgré toute la détermination et l’acharnement de l’Exécutif corse, le maître-mot reste l’incertitude. La Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qui vise la transition de la Corse vers l’autonomie énergétique à l’horizon 2050 avec 100% d’énergie renouvelable, a connu maints déboires et soubresauts depuis son adoption enthousiaste à l’Assemblée de Corse fin 2015. « La PPE était révolutionnaire parce que c’était la première fois qu’un tel dispositif était adopté en France », rappelle le conseiller exécutif et président de l’AUE (Agence de l’urbanisme et de l’énergie), Jean Biancucci. Mais, en six ans, l’euphorie a fait place à une inquiétude croissante devant les volte-face récurrentes de l’Etat, qui détient la clé en la matière, mais qui, d’annonces-choc en reculades, de retards en rebondissement, de silence en propos ambigus, joue l’Arlésienne. Le point d’orgue reste l’urgence en matière d’approvisionnement énergétique de la construction de la future centrale du Ricanto alimentée au gaz naturel, pour remplacer l’actuelle centrale du Vazzio, polluante et obsolète. L’élu de Per L’Avvene et maire de Peri, Xavier Lacombe, a, le matin même, dans une question orale, exprimé des craintes partagées sur sa concrétisation : « Il semblerait que l'État cherche à gagner du temps et soit embarrassé par cette question. Ainsi, on peut penser que l'arrivée du gaz naturel en Corse et notamment à Ajaccio semble plus qu'hypothétique... ». Une inquiétude que se refuse à nourrir Jean Biancucci, même s’il reconnait que ce rapport ne présente rien de nouveau en soi. « C’est à la charge de l’Etat, nous ne pouvons interférer en rien. Nous avons attendu le plus longtemps possible les résultats de l’appel d’offres de l’Etat qui devaient venir… » et qui, donc, ne sont pas encore venus !
 

Jean Biancucci. Photo Michel Luccioni.
Jean Biancucci. Photo Michel Luccioni.
Un programme inédit
Ne voulant pas conjecturer sur l’avenir, Jean Biancucci se dit « heureux et fier de présenter ce dossier très important qui est lourd en termes de stratégie énergétique, en termes financiers et socio-économiques ». Un dossier co-construit avec le ministère de l’Energie « dans une contribution quasi-permanente ». Il rappelle : « Ce n’est pas un plan, mais une programmation, ce qui veut dire qu’il y a une dimension opérationnelle. C’est un dossier transversal voté à l’unanimité par le CESEC qui a fait un certain nombre d’observations à prendre en compte parce qu’elles complètent le dispositif ». La révision de la PPE permet à la Collectivité de Corse de fixer des objectifs précis et chiffrés sur la période 2020-2028. « La réalisation de cette programmation inédite nécessite un investissement de près de 4,5 milliards € sur cette période, générant 28000 équivalents temps pleins qui correspondent à la création d’au moins 3800 emplois. Jamais une programmation aussi ambitieuse n’a existé en Corse ! C’est plus de deux fois le montant du PEI et près de dix fois celui du PTIC. C’est d’autant plus inédit que ce plan est, à ce jour, co-validé par l’Etat et fera l’objet d’un décret du ministre de l’Énergie et du Premier Ministre ».
 
Réduire la consommation
Pour atteindre l’ambition affichée de l’autonomie énergétique de l’île à horizon 2050, l’Exécutif trace deux objectifs majeurs : la réduction drastique de la consommation locale et le développement massif des énergies renouvelables (ENR). Pour atteindre le premier, la priorité est donnée à la lutte contre la précarité énergétique à travers la rénovation et l’isolation des logements collectifs et sociaux. « Il y a urgence ! Cela coute toujours plus d’argent de produire de l’électricité, l’effort doit porter sur les économies d’énergie. Le plan massif de rénovation énergétique des bâtiments doit permettre une réduction de près de 20% des consommations d’énergie entre 2018 et 2028 ». Plus de 2 millions de logements sont concernés, dont 8600 logements sociaux et 9700 résidences privées. L’investissement est estimé à 470 millions €, dont près de 150 millions € de retombées directes dans l’île. Autre priorité absolue : la modernisation de la totalité de l’éclairage public avec des économies attendues de 80% sur la facture globale des collectivités. Autre économie bien plus ardue à réaliser : les transports intérieurs qui engloutissent 50% de la consommation d’énergie de l’île contre 29% sur le continent. « C’est là où le bât blesse ! La facture énergétique payée par les usagers s’élève 1 milliard € par an, la moitié pour le transport, l’autre moitié pour les besoins domestiques ou le tertiaire. L’effort, qui reste à accomplir, est colossal », indique Jean Biancucci. Côté ENR, la PPE prévoit de produire + 40 GWh en aérothermie, « soit environ 1500 équipements/an », et + 25 GWh en solaire thermique, « soit environ + 30000 à 50000 m², ce qui correspond à 850 installations individuelles/an et 140 opérations collectives/an ». Egalement, + 60 GWh en Bois énergie, « soit 1000 équipements individuels/an et 30 à 50 chaufferies collectives ». Enfin + 20 GWh en énergie thermique marine, soit une trentaine d’opérations. Les objectifs en matière d’Energie renouvelable ont été augmentés et atteignent +170%. « La trajectoire vers l’autonomie énergétique en 2050 va mobiliser trois PPE, 15 milliards sur 30 ans ».
 

Xavier Lacombe. Photo Michel Luccioni.
Xavier Lacombe. Photo Michel Luccioni.
Le point noir du Vazzio
Ce plan massif et très ambitieux est globalement approuvé sur tous les bancs de l’Assemblée, pour qui le seul point véritablement noir reste la future centrale de Ricanto et son alimentation au gaz naturel : « En mars 2019, tout était prêt. En juin, redimensionnement important. J’entends les arguments, mais le seul problème, c’est le temps ! L’Etat nous avait promis une centrale pour 2023, on avait dit alors que ce n’était pas tenable. Aujourd’hui, c’est 2026 ! Les Ajacciens et les communes autour en reprennent pour 3 ans. Ce n’est pas tenable ! C’est le point noir de cette PPE ! », lance l’Ajaccien Jean-François Casalta, élu du groupe PNC.  Un avis partagé par Xavier Lacombe qui renchérit sur « la vétusté de la centrale du Vazzio avec un moteur qui ne fonctionne plus, les autres moteurs sont polluants. Il y a un risque. Il n’y a aucune date, aucune certitude sur la date. Nous n’avons pas atteint les objectifs que nous nous étions fixés. Nous aurions du être plus prudents, nous n’avons pas forcément de réserves ». L’élu de droite exprime le regret qu’en 2021, « rien de neuf pour la filière bois » et propose d’associer les 19 EPCI, « de leur suggérer de créer un plan ou une structure Energie, chaque territoire ferait remonter une proposition ». Jean Biancucci se veut positif : « A cette heure, je ne peux pas dire autre chose que ce qui a été acté. La nouvelle centrale du Ricanto sera alimentée en gaz naturel. Aucun élément probant, en dehors des bruits de couloir, ne permet, à ce jour, de douter des engagements de l’Etat sur ce dossier. D’un point de vue technique, il n’y a pas de contraintes insurmontables. D’un point de vue politique, je ne vois pas pourquoi ce qui se fait à Lucciana, ne peut pas se faire à Aiacciu, à moins que certains élus d’Aiacciu ne s’y opposent. Il faut attendre les retours en septembre ».
 
Trois enjeux
Le président de l’Exécutif, Gilles Simeoni, rappelle que l’accord de 2019 reste le socle fondateur de la PPE, mais aussi « la discussion sur le cadre de compensation qui est fondamentale parce qu’elle nous a transféré la compétence sur six actions essentielles avec des budgets considérables ». Là, comme ailleurs, « la méthode est essentielle ». Il revient sur la rénovation du logement social, « un enjeu majeur et prioritaire pour permettre aux gens de vivre dignement. Plus de 8600 logements sociaux sont de véritables passoires thermiques, parfois insalubres, avec des effets en chaine sur la santé des habitants et des factures disproportionnées. C’est d’autant plus insupportable que ses factures grèvent le budget de familles qui, souvent, sont dans des situations économiques et sociales difficiles ». L’AUE a chiffré le coût des travaux à 470 millions. « La moitié représente les travaux de rénovation énergétique que nous avons les moyens de financer à 80% par la PPE, il ne reste à charge des bailleurs sociaux qu’environ 20%. Sauf que cette mesure est inapplicable parce que la rénovation énergétique entraine un travail de rénovation globale qui, lui, ne bénéficie d’aucun financement, les bailleurs sociaux n’ont pas les moyens d’avancer la moitié de la facture qui, aujourd’hui, reste à leur charge ». Le président Simeoni a, donc, proposé à l’Etat de co-financer le grand plan de rénovation « qui est aux confluents de trois enjeux : la transition énergétique et la maitrise de l’énergie, la relance économique puisque nous donnons 500 millions € de travaux sur six ans dans toute la Corse, y compris à des petites entreprises, des artisans. Enfin un enjeu social en restituant 1000 € de pouvoir d’achat à 8700 familles. C’est une aide que nous ne pourrions jamais donner de façon directe. Nous avons proposé de croiser l’ensemble des financements, la CdC met la moitié, et l’Etat, l’autre moitié, soit 180 millions € chacun ». Et de conclure : « Si nous réussissons à boucler cette opération et à contractualiser avec l’Etat, nous aurons réussi quelque chose d’important et même d’essentiel ». La révision de la PPE a été adoptée à l’unanimité.
 
N.M.