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Affaire des gîtes ruraux : Le procès emblématique de la mise en cause d'un "système dévoyé"


Nicole Mari le Dimanche 20 Novembre 2016 à 21:58

Ce lundi s'ouvre, au tribunal de grande instance de Bastia (TGI), le procès des gîtes ruraux du Conseil départemental de Haute-Corse qui devrait durer jusqu'au 2 décembre. 24 prévenus comparaissent pour "détournements de fonds publics, recel et prise illégale d'intérêts" dans une affaire de subventions allouées par le département à la construction et rénovation de gîtes ruraux entre 2007 et 2010. Parmi eux, trois élus, le député Paul Giacobbi, les maires Pierre-Marie Mancini et Jacques Costa, douze bénéficiaires présumés et des fonctionnaires dont Thierry Gamba-Martini. Près de 10 jours d'audience pour un procès politique et emblématique d'un système de fraude généralisée. Décryptage.



Affaire des gîtes ruraux : Le procès emblématique de la mise en cause d'un "système dévoyé"
C'est un procès assez inédit, très médiatique et très attendu, qui débute lundi matin. Inédit par sa tenue même qui est, déjà, en soi, un succès, tant celle-ci engendrait de scepticisme. Par la forte attente et les multiples interrogations qu'il suscite dans l'utilisation désinvolte des fonds publics. Par le besoin de vérité dans la mise en cause d'un système de gouvernance qui a pollué la vie politique corse pendant des décennies. Au centre de l'affaire, le député divers gauche, Paul Giaccobi, patron incontesté du département de Haute-Corse de 1998 à 2010, date à laquelle il quitte la présidence du Conseil général pour prendre les rênes de l'Exécutif de la région. Accusé de détournement de fonds publics, il est soupçonné d'avoir bénéficié d'un système clientéliste dit des gîtes ruraux au préjudice du département de Haute-Corse. Plus de 494 374 € auraient été indûment octroyés à ses proches, collaborateurs et élus, maires et conseillers généraux, pendant les deux dernières années de sa mandature. Ces fonds publics, destinés initialement à la création ou la rénovation des gîtes ruraux en Haute-Corse, auraient, en fait, été utilisés pour financer des travaux privés.
 
Retour sur les faits
L'affaire éclate en 2011 après l'assassinat de Dominique Domarchi, proche conseiller et membre du cabinet de Paul Giacobbi tant au département qu'à la région. Selon l'ordonnance de renvoi, le 13 avril 2011, la cellule anti-blanchiment du ministère de l'économie, TRACFIN, adresse un signalement au Parquet de Bastia concernant des mouvements de fonds suspects sur les comptes bancaires des deux fils Domarchi, Jean-Marc et Stéphane. L'examen des comptes de proches de conseillers départementaux révèle un certain nombre d'autres versements douteux. Une enquête, puis une information judiciaire sont ouvertes, mais piétinent. Tout le monde s'attend à ce que l'affaire se dégonfle, mais la réanimation, en 2014, du pôle économique et financier de Bastia, jusque là en mort clinique, et l’arrivée du juge d'instruction Thomas Meindl qui reprend sérieusement le dossier en main, relance la machine judiciaire. L'enquête montre qu'entre 2007 et 2010, "l'aide départementale à la création et rénovation de gîtes ruraux a été totalement détournée de son objet initial : le soutien au tourisme local. Cette aide était accordée en toute discrétion, dans une logique purement électoraliste, à une caste d'élus, à leurs affidés voire au premier cercle des soutiens de Paul Giacobbi ainsi qu'à des proches du personnel du Conseil général". Certains bénéficiaires ont reçus jusqu'à 45 000 € sur la base de dossiers, pour la plupart  "incomplets" ou "quasiment vides", et ce, "sans aucun contrôle".
 
Des élus en ligne de mire
Les auditions, les gardes à vue et les mises en examen de bénéficiaires, notamment les fils Domarchi, et de fonctionnaires s'enchaînent, dont celle du DGS (directeur général des services) de l’époque, Thierry Gamba-Martini, et de Jean-Hyacinthe Vinciguerra, maire de Perelli, également inculpé dans un dossier d’emplois fictifs au Conseil général. Parmi les autres bénéficiaires, encore des proches de Paul Giacobbi : son filleul, son chauffeur, sa secrétaire de mairie, des gens de sa circonscription... Le 21 juillet 2015, l'instruction du dossier atteint son point d'orgue avec l'audition de Paul Giacobbi qui dure 13 heures et se clôt par sa mise en examen. Le magistrat instructeur estime qu'il a laissé prospérer "un système dévoyé" dont il était "politiquement, le principal bénéficiaire". Paul Giacobbi se défausse en affirmant que sa signature aurait été imitée sur les dossiers d'attribution des subventions.  A ses côtés, sur le banc des accusés, deux de ses proches, deux élus locaux : Jacques Costa, maire de Moltifao, président du parc naturel régional de Corse (PNRC), ancien conseiller général du canton de Moltifao et ancien vice-président du conseil général, pour prise illégale d’intérêts, et Paul-Marie Mancini, maire de Costa et conseiller général du canton de l’île Rousse, pour prise illégale d’intérêts, complicité et recel de détournement de fonds publics. Le premier est soupçonné, lorsqu'il siégeait à la commission du monde rural, d'avoir fait profiter sa belle-sœur d'une subvention publique accordée dans le cadre de la rénovation de gîtes ruraux. Il a été mis en examen pour prise illégale d'intérêts. Le second est soupçonné d'avoir fait profiter son épouse d'une subvention publique pour effectuer des travaux dans sa résidence personnelle. Son épouse a été placée sous le statut de témoin assisté. Pour brouiller les pistes, les épouses d'élus déposaient des dossiers sous leur nom de jeune fille.
 
Jusqu'à 10 ans de prison
L9 septembre, 24 personnes sont renvoyées devant le tribunal correctionnel. Toutes nient l’intégralité des faits qui leur sont reprochés. Manque à l'appel, estime l'ordonnance de renvoi, celui que l'enquête nomme "la cheville ouvrière du système de détournement de fonds publics". Jean Leccia, fonctionnaire "apprécié", a été assassiné le 22 mars 2014. Son meurtre, pas plus que celui de Dominique Domarchi, n'a été résolu.
Les prévenus encourent des peines allant jusqu’à 10 ans de prison et un million d’euros d’amende, l'inéligibilité et l’interdiction d’exercer toute fonction publique. Le Conseil départemental, aujourd'hui dirigé par le radical François Orlandi, lui-même proche de Paul Giacobbi, s’est constitué partie civile, tout en faisant voter la protection juridique pour certains des mis en examen.
L'audience débutera lundi matin avec la présentation des prévenus, suivie, dans l'après-midi, par l'audition des bénéficiaires qui se poursuivra jusqu'à mercredi matin. Mercredi après-midi, commenceront les auditions des fonctionnaires du Conseil départemental. La journée de jeudi sera consacré à l'audition de Jacques Costa, Pierre-Marie Mancini et Thierry Gamba-Martini, celle de Paul Giacobbi n'est pas attendue avant vendredi. Sa présence ou non au procès est la principale inconnue de cette première journée d'audience. 
 
 N.M.