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À Taglio Isolaccio, la question du foncier agricole au cœur des débats de l'université d'été de RP&S


Léana Serve le Mardi 26 Août 2025 à 18:20

Alors que la pression foncière s’intensifie en Corse, un débat sur la protection du foncier agricole face à la spéculation s’est tenu ce lundi à Taglio Isolaccio, dans le cadre de l’université d’été de Régions et Peuples Solidaires. Élus, représentants agricoles et associatifs ont dressé un état des lieux et évoqué plusieurs actions pour tenter de freiner ce phénomène.



Crédit : Régions et Peuples Solidaires
Crédit : Régions et Peuples Solidaires

À l’occasion de son trentième anniversaire, Régions et Peuples Solidaires organise son “université d’été” du 25 au 27 août à Taglio Isolaccio. Trois jours consacrés à une série de débats politiques, économiques et sociétaux, rassemblant élus, militants et représentants associatifs venus de toute la France. Ce lundi après-midi, un débat était consacré à la thématique “garantir le foncier agricole contre la spéculation”, en présence de Jean-Baptiste Arena, président de la Chambre régionale d’agriculture de Corse, David Cormand, député européen, et Émilie Claudet, administratrice de l’association Terre de Liens.
 

Au fil des échanges, les intervenants ont dressé un constat partagé : la Corse perd progressivement ses terres agricoles. “La problématique du foncier touche l’ensemble de la planète, mais aussi la Corse, avec des enjeux économiques colossaux et des pressions mafieuses qui touchent toutes les îles de la Méditerranée, mais aussi la nôtre”, a alerté Jean-Baptiste Arena. Le président de la Chambre d’agriculture évoque “trois formes de spéculation” identifiables aujourd’hui sur le territoire : “une spéculation périurbaine avec l’extension de certaines communes et la démographie qui explose chaque année, une spéculation interne au monde agricole avec la course aux primes à travers le recensement des surfaces sur certaines exploitations, et une spéculation plus dangereuse à travers des groupes mafieux qui se positionnent dans le monde agricole”.
 

David Cormand a quant à lui rappelé que cette situation est également constatée à l’échelle européenne. “Entre 2005 et 2020, 4,6 millions de fermes de moins de cinq hectares ont disparu. Aujourd’hui, 3 % des fermes possèdent plus de 50 % des terres et 75 % des fermes ne possèdent que 11 % de la surface agricole utile.” Une dynamique qui rend l’agriculture toujours moins accessible aux petits producteurs. “De nos jours, s’installer en tant que paysan constitue des investissements énormes au vu des espoirs de revenus qu’on peut avoir ensuite. Il y a un phénomène qualifié de ‘cannibalisme agricole’ qui pousse à la disparition des fermes, et qui confisque la capacité pour des territoires, notamment insulaires, à avoir le contrôle sur les filières d’alimentation.”
Selon Jean-Baptiste Arena, “les jeunes agriculteurs ou les agriculteurs qui veulent pérenniser leur exploitation n'ont pas les moyens de le faire suite à la hausse du foncier qui est devenue exponentielle”.
 

Des solutions locales pour préserver le foncier agricole
 

Face à ce constat alarmant, les intervenants ont également évoqué des pistes pour tenter de freiner, voire d’inverser, cette dynamique. “On lutte d’abord en redonnant une valeur économique aux terres agricoles, et en les rendant productives et fortes pour freiner la spéculation”, avance Jean-Baptiste Arena. Mais cette dynamique ne peut fonctionner, selon lui, que si elle est soutenue par des politiques publiques fortes. “C'est aux institutions, que ce soit les communes, les intercommunalités, la Collectivité de Corse ou encore la Chambre d’agriculture, de monter au créneau pour protéger ces terres et les sanctuariser pour les siècles à venir, et pour les générations futures.”
 

Protéger les terres agricoles : c’est aussi la mission que s’est donnée l’association Terre de Liens, représentée lors du débat par Émilie Claudet. Présente en Corse depuis quatre ans, l’antenne locale vient de concrétiser sa première acquisition : 2,5 hectares de terres maraîchères à Aleria, rendues disponibles pour un jeune agriculteur. “Notre objectif, c’est de sortir les terres agricoles du marché spéculatif en les achetant via une épargne solidaire pour les mettre à disposition d'agriculteurs qui veulent s'installer pour produire des terres agricoles.” Une fois achetées, les terres ne sont jamais revendues, et restent dédiées exclusivement à un usage agricole. “L’agriculteur qui exploite ces terres a un bail environnemental avec Terre de Liens, et il peut les exploiter aussi longtemps qu'il le souhaite. Et si ses enfants veulent reprendre l'exploitation agricole, ils pourront également prendre la suite de leurs parents.”
 

L’association travaille actuellement à se faire connaître en Corse. “Notre gros travail actuellement, c'est de faire connaître l'association auprès des citoyens, parce que c'est l'épargne citoyenne qui permet d'acheter ces terres. Sur le continent, ça fait 20 ans que ça existe, et il y a énormément d'acquisitions par ce biais, mais ici, c'était la dernière région qui n'avait même pas d'antenne territoriale. Après, il y a aussi une notion d'exemplarité : le premier projet a vocation d'exemple pour en engager d'autres parce que ça fait connaître l'action, et les citoyens s'engagent un petit peu plus dans la possibilité de mettre à disposition des terrains qu'ils ont ou de financer l'acquisition d'une nouvelle ferme.”

Les échanges se sont conclus sur un appel à une mobilisation collective et durable, une condition indispensable, selon les intervenants, pour atteindre un jour une forme d’autonomie alimentaire sur l’île. “C'est notre ambition de contribuer à la production de denrées alimentaires produites et consommées en local”, indique Émilie Claudet. “Je pense que dans 25 ou 30 ans, on pourra aller chercher l'autosuffisance alimentaire en Corse si, à partir d'aujourd'hui, nous travaillons en synergie. Il faut y croire et à un moment donné, il va falloir que toutes les filières puissent travailler en synergie et ne pas jouer les unes contre les autres”, détaille Jean-Baptiste Arena.