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« Mourir au Bataclan » : l'émouvant témoignage de Jean-Pierre Albertini qui a perdu son fils le 13 novembre 2015


Julia Sereni le Jeudi 9 Septembre 2021 à 20:07

Jean-Pierre Albertini a perdu son fils de 39 ans, Stéphane, assassiné au Bataclan le 13 novembre 2015. Pour raconter à son petit-fils l’histoire de son père, il a décidé d’écrire un livre « Mourir au Bataclan » (Mareuil Éditions). Originaire de Corte, il sera en Corse du 16 au 18 septembre, afin de présenter son ouvrage. Quelques jours avant sa venue, il raconte, pour CNI, les raisons qui l'ont poussé à l'écriture et revient sur le procès des attentats, qui s'est ouvert le 8 septembre.



Jean-Pierre Albertini a écrit "Mourir au Bataclan", en mémoire de son fils Stéphane, assassiné lors des attentats du 13 novembre 2015. Photo : JPA
Jean-Pierre Albertini a écrit "Mourir au Bataclan", en mémoire de son fils Stéphane, assassiné lors des attentats du 13 novembre 2015. Photo : JPA

Pourquoi avoir décidé d’écrire ce livre, « Mourir au Bataclan » ?

Ce livre, je n’avais pas prévu de l’écrire. D’autant que dans les mois et les années qui ont suivi le drame, la perte d’un enfant étant un traumatisme terrible pour ses parents, l’état psychologique fait qu’on se retrouve « au fond du trou ». Dans ce livre, je parle d'ailleurs de la courbe de deuil. Pendant plusieurs années, j’étais dans la zone descendante de la courbe de deuil. Et puis il y a eu le 13 novembre 2019. Quatre ans après le drame. C’était un mercredi, jour des commémorations mais aussi jour où, en tant que grand-parents, nous voyions le fils de Stéphane. Quand nous sommes arrivés, sa nounou nous a dit qu’il n’était pas content. Et nous l’avons vu,  les yeux gonflés de larmes. Il nous a dit : « C’est le jour où papa est mort ». C’était un grand chagrin. Et je me suis dit qu’un jour, il fallait qu’il connaisse l’histoire de son père.

Était-ce plus un récit pour vous, pour la famille ou également pour l’Histoire ?

C’est, à vrai dire, un récit à tous les niveaux. Dans un premier temps, j’ai commencé à écrire pour mon petit-fils le jour où sa mère lui a annoncé la mort de son père. C’est le premier chapitre que j’ai rédigé. J’y explique que Stéphane est mort le 13 novembre, et qu’il n’a été enterré que deux semaines plus tard. À ce moment-là, la mère de l’enfant  lui a dit : « Il faut que je te dise quelque chose de très important ». C’était la période qui précédait Noël, il sautait sur le canapé, il pensait qu’il s’agissait d’une surprise, de ses cadeaux, inconscient du malheur qui venait de lui arriver. Elle lui a dit : « Tu sais, il y a eu une grosse explosion et papa, comme dans le Roi Lion, n’a pas pu s’enfuir et il est mort. Il est parti dans une fusée sur une étoile, mais nous le garderons toujours dans nos cœurs ». Il s’est arrêté net de rire et de sauter et a juste répété : « Papa est mort ». Il est monté dans sa chambre, où sa nounou l’a suivi. Elle lui a demandé s’il avait bien compris et il a juste répété, « Papa est mort ». Les semaines qui ont suivi, les nuits sans étoiles, il regardait le ciel et se mettait à pleurer. Il craignait qu’on éteigne l’étoile de son père et qu’il se blesse en tombant de si haut. Stéphane était très proche et fier de lui… Une fois que j’ai écrit pour l’enfant l’histoire de son père,  l’impact de ce drame sur la famille, forcément j’ai été amené à m’intéresser aux tenants et aux aboutissants de cette tragédie. Pourquoi cette nuit ? J’ai étudié des témoignages et le rapport d’enquête parlementaire dans lequel sont exposées les failles du système.

Le livre est donc un hommage mais aussi une enquête. Quelles sont ces failles dont vous parlez ?

La mauvaise organisation du renseignement, les insuffisances de la coordination intra-française, mais aussi avec les autres pays. Et les défaillances au niveau judiciaire. Les terroristes étaient tous des délinquants connus, mais comme le projet était téléguidé de la Syrie, préparé en Belgique et perpétré en France, ils sont passés sous les radars. Dans le livre, j’ai été amené à analyser les arguments de ceux qui ont assassiné et j’en arrive à l’islamisme et au djihadisme, et à l’incertitude qui pèse sur l’avenir. Au départ, ce livre était pour l’enfant et notre famille.  Mais je me suis rendu compte qu’il pouvait être intéressant pour alerter la société en général sur la menace, comme « une bouteille à mer ».

D’un point de vue personnel, comment vit-on après pareil drame ? Comment ne pas basculer soi-même dans des sentiments extrêmes ?

Dans d’autres civilisations non démocratiques, ce serait la loi du Talion qui s’appliquerait. Oeil pour oeil, dent pour dent. Malheureusement ou heureusement, nous ne sommes pas dans ce cas-là.  Bien sûr, mes sentiments envers ceux qui ont commis ce crime ne sont pas très bienveillants. Chacun réagit à sa manière. Un jeune homme qui est sorti vivant du Bataclan s’est suicidé. À Nice, un père s’est laissé mourir. Dans plusieurs familles, il y a eu des cas de pathologies très graves. Alors si on ne veut pas se laisser mourir et ne pas utiliser la loi du Talion, on est bien obligé de trouver d’autres moyens. Je pense aux associations de victimes, qui permettent de côtoyer des gens qui comprennent ce qu’on a souffert, à l’aide psychologique - j’ai attendu dix-huit mois avant d’y avoir recours. Après le 13 novembre, deux associations de victimes ont été créées, des groupes de parole aussi. Le livre, j’ai entendu dire que cela avait une vertu thérapeutique. A posteriori, cela devient un peu un objet hors de soi, comme si on m’avait arraché du corps et du coeur cette douleur. C’est vrai que cela peut aider, cela permet de verbaliser. Et je voulais que cela soit écrit, car les paroles s’en vont, mais les écrits restent.

Un mot sur le procès des attentats qui s’est ouvert hier, mercredi 8 septembre, qu’en attendez-vous ?

Je pense d’abord à ce qu'on ne peut pas en attendre, à savoir qu’il redonne la vie à tous ceux qui l’ont perdue et la santé à tous les blessés. C’est un procès d’assises, qui est là pour juger les crimes les plus graves. C’est un procès pénal, et en cela j’attends que les peines infligées soient à la hauteur des crimes. Parmi les vingt prévenus, il y a des niveaux différents d’implication, donc il va y avoir différents niveaux de peines infligées, et j’espère qu’au delà du quantum des peines, elles seront effectivement réalisées, puisque le 13 novembre, les assassins du Bataclan étaient tous connus des services de police et de justice. L’un était sous contrôle judiciaire, mais ne le respectait pas. Si la justice avait été plus efficace, le Bataclan n’aurait pas eu lieu.
 
Un deuxième enjeu important pour la société en général découler de l’instruction, qui a duré quatre ans et qui a été visiblement très bien conduite. Je pense qu’à travers ce que diront les juges, on apprendra beaucoup sur les réseaux terroristes, leur manière de s’organiser, leur financement, leur utilisation d’internet, des téléphones, leurs voyages à l’intérieur et à l’extérieur de l’espace Schengen. L’intérêt, c’est d’éviter, à travers la connaissance de ces réseaux, qu’un tel drame se reproduise.

C'est un procès historique, y voyez-vous d'autres enjeux ?

ll y aurait un troisième enjeu, qui est en filigrane. Cet enjeu n’est pas clairement exprimé. C’est en fait le procès du djihadisme. Hier, il y a eu un incident important qui a eu l'intérêt dès le début de préciser les positions respectives des juges et de l'un des accusés : Salah Abdeslam a dit qu'il ne connaissait qu’un seul dieu, que son prophète était Mahommet, et qu’il était un combattant de l'État Islamique. Il s’est positionné comme un militant, un militaire, et un prosélyte. Ce à quoi le juge a répondu qu'il ne s'agissait pas d'un tribunal ecclésiastique. C’est l’ambiguité de ce procès. On juge des individus mais malheureusement, cela ne va pas résoudre le problème sous-jacent, qui est le djihadisme. Il faudrait que la mission de l’ONU sur la responsabilité des crimes commis par Daesh en Irak et au Levant (UNITAD) mette en exergue ces exactions. Je crois que tout cela justifierait un procès du type de Nuremberg, mené par l’ONU.




Les horaires de dédicaces :
Jeudi 16 septembre : Bastia, librairie A Piuma lesta, 16 heures - 18 heures 
Vendredi 17 septembre : Ajaccio, librairie La Marge, 16 heures -18 heures
Samedi 18 septembre : Corte, librairie Valentini, toute la journée.