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Un circuit auto-moto « vert » en Corse, l’ambitieux projet d’avant-garde d’un Porto-Vecchiais


le Dimanche 28 Décembre 2025 à 10:02

Un circuit international fermé, exclusivement dédié aux sports mécaniques électriques et 100 % autonome en énergie, ça n’existe tout simplement pas dans le monde. C’est le rêve démiurgique d’un Porto-Vecchiais, Don Jacques Balesi, désireux de faire aboutir un tel projet en Corse, et sans demander un centime de fonds publics. La barre est haute, très haute, et, s’il est convaincu d’aller dans le sens « écoresponsable » de l’histoire, Don Jacques Balesi se heurte inévitablement à de nombreux obstacles, qu’ils soient d’ordre financier, sociétal, sportif et surtout foncier.



Une vue du projet, tel que l'imagine à gros traits Don Jacques Balesi, sur le site dominant la baie de Santa Giulia. PROJECTION AEI SUSINI
Une vue du projet, tel que l'imagine à gros traits Don Jacques Balesi, sur le site dominant la baie de Santa Giulia. PROJECTION AEI SUSINI
D’abord, un constat : il n’y a pas de circuit fermé auto-moto en Corse. Et paradoxalement, des passionnés de sports mécaniques.corsica/Autos-Motos_r47.html , l’île n’en manque pas, dans le sillage d’une grande culture rallye. Gestionnaire de parkings à Figari, Don Jacques Balesi baigne dans la mécanique depuis tout petit, étant le petit-fils du fondateur du garage Balesi, incontournable à Porto-Vecchio. Ce delta entre la popularité des sports mécaniques en Corse et l’incapacité à les pratiquer sur circuit fermé, il l’a véritablement mesuré il y a trois ans, lorsqu’il s’est pris de passion pour la moto. Sa Ducati, il la transporte occasionnellement aux Pays-Bas, en Espagne ou en Italie, pour des journées de roulage sur des circuits en amateur. C’est du temps et de l’argent, « mais quand on veut pratiquer de la moto, on n’a pas le choix quand on vit en Corse. Ici, tout, est plus compliqué et si je tiens à ce projet, c’est parce que je pense aux jeunes en Corse qui voudraient se lancer, sans forcément avoir des parents très riches derrière. »

Pour que la Corse puisse se doter d’un tel écrin, Don Jacques Balesi est persuadé qu’elle doit se montrer en avance sur son temps : « De nos jours, avec toutes les lois et les restrictions qu’il y a autour de ce type de projet, la seule solution, c’est d’avoir un projet écologique. » Le Porto-Vecchiais couche quelques idées sur papier et part à Corte, à l’université, pour étudier la faisabilité d’un site autosuffisant en énergie. Il y rencontre Michaël Mercier, l’ancien directeur de l’école d’ingénieurs Paoli Tech, qui trouve le projet « très intéressant » et lui suggère de partir sur un modèle hybride de production énergétique, avec parc photovoltaïque et générateur d’hydrogène, « et peut-être aussi une partie éolienne », complète Don Jacques Balesi. Le Porto-Vecchiais souhaite ajouter une dimension scientifique et technologique, en incluant sur le site d’implantation un technocentre « doté de tous les outils nécessaires à la recherche et au développement, dans le domaine de la compétition et des nouvelles mobilités ». Le circuit accueillerait des compétitions internationales de véhicules électriques (surtout pas des thermiques), servirait de centre d’essais, abriterait un centre de formation sportif, imagine Don Jacques Balesi, qui forme le vœu que « chercheurs et sportifs en herbe insulaires se retrouvent sur un pied d’égalité avec les continentaux, ce qui est loin d’être le cas à l’heure actuelle ». Au niveau du fonctionnement, l'argent amassé sur le circuit lors des compétitions serait réinjecté  « dans la recherche, la formation et l'accompagnement des sportifs ».

La problématique du foncier

Sur le papier, le projet a de quoi séduire, mais du rêve à la réalisation, il y a un gouffre. Don Jacques Balesi a identifié un potentiel site d’implantation à Porto-Vecchio, et il est exceptionnel : des pâtures avec vue sur la baie de Santa Giulia, situées de l’autre côté de la T10. Ces terres agricoles sur lesquelles broutent occasionnellement des vaches appartiennent à Jean-Paul Pandolfi, important propriétaire terrien du Pian d’Avretu, et accessoirement ami de Don Jacques Balesi. Convaincu par le projet, Jean-Paul Pandolfi est prêt à céder l’emprise nécessaire à la construction du circuit : « L’agriculture, c’est fini. Si on avait un circuit comme celui-là en Corse, ce serait unique. On parle d’un projet d’artiste et Don Jacques est un artiste », se porte caution l’agriculteur porto-vecchiais.

 

Don Jacques Balesi (à gauche) et Jean-Paul Pandolfi.
Don Jacques Balesi (à gauche) et Jean-Paul Pandolfi.
Un projet aussi ambitieux qu’inédit, un terrain avec une vue paradisiaque et stratégiquement situé à une quinzaine de minutes de l’aéroport de Figari, deux futurs associés sur la même longueur d’ondes… Mais voilà, il y a un gros hic, et Don Jacques Balesi met le doigt dessus : « Le problème n’est pas financier. Il n’est pas politique. Il est foncier... » En effet, le terrain convoité est classé espaces stratégiques agricoles (ESA). Et à quelques semaines de faire approuver le nouveau Plan local d’urbanisme de sa ville, le maire de Porto-Vecchio ne voit pas comment il pourrait, en dernière minute, intégrer à la constructibilité ce pharaonique projet : « Le PLU ne peut absolument pas changer la donne, confirme Jean-Christophe Angelini, même si le propriétaire est d’accord. » Don Jacques Balesi aurait besoin de « 80 à 100 hectares » pour s’implanter ? « C’est à ce stade la part de constructibilité au PLU, pour toute la ville et pour vingt ans… », constate le maire porto-vecchiais qui, sur le fond apprécie le projet, le jugeant « ambitieux et structurant ». 

Un projet évalué à 50 millions d'euros

Il conseille à Don Jacques Balesi « de prendre son bâton de pèlerin », autrement dit d’aller taper aux portes des instances décisionnaires, Collectivité de Corse et Etat en tête. Ce que le motard porto-vecchiais a déjà fait, il y a près d’un an. S’il dit ne pas avoir obtenu de réponse de la part de l’État, il a pu rencontrer à Ajaccio Ghjulia Maria De Franchi, la cheffe du département urbanisme de l’Agence d’urbanisme et d’énergie (l’AUE, qui dépend de la Collectivité de Corse). Et elle a douché ses espoirs, lui rappelant que la loi Littoral prévaut, du strict point de vue de la réglementation, quand bien même il eut été possible d’inscrire le projet dans le PLU porto-vecchiais. « La loi Littoral interdit les constructions en discontinuité des zones urbanisées », confirme Julien Paolini, le président de l’AUE. Et la révision engagée du PADDUC « ne permettra pas d’y déroger ». A l’AUE, personne n’enterre le projet, mais Don Jacques Balesi a été encouragé à revoir son lieu d’implantation, sur un site désaffecté ou du côté de communes ne disposant pas de façade maritime, même s’il faudra encore « trouver un élu, en Corse, capable d’intégrer ce projet dans son enveloppe foncière de consommation », pointe Ghjulia Maria De Franchi. 

Renoncer à la vue sur Santa Giulia ? Don Jacques Balesi se refuse à le faire, à moins de trouver cadre aussi prestigieux, car il en va de sa stratégie financière. En effet, il veut convaincre de grands noms, issus des industries automobile et du luxe, d’investir dans le premier circuit entièrement autonome en énergie de la planète. Sans que les pouvoirs publics ne mettent la main à la poche, et sur un projet qu’il évalue à « environ 50 millions d’euros ». Pas une mince affaire. Or, « pour que ce circuit soit un bijou, il lui faut un écrin exceptionnel. Il en va de notre crédibilité si on veut faire venir des investisseurs dans le luxe. On parle d’alller voir Audi, Porsche, LVMH… », assure le Porto-Vecchiais. Dès lors, revoir le projet à la baisse, « ce serait le vider de sa substance ». A contrario, l’implanter trop proche d’un site remarquable ne susciterait-il pas la méfiance des protecteurs de l’environnement ? « Non, assure-t-il, c’est un projet vertueux, écologique et non polluant ».

"Don Jacques a vingt ans d'avance"

Aujourd’hui, l’équation se résume donc à trouver un site d’implantation suffisamment attractif pour convaincre de grands groupes automobiles à investir dans ce que Don Jacques Balesi considère être l’avenir du sport mécanique. Le Porto-Vecchiais connaît bien Jean-Marc Delétang, directeur de course à la fédération française de motocyclisme et ancien pilote. Il lui a soumis son projet. « Don Jacques a sans doute vingt ans d’avance, réagit celui qui est aussi le directeur de course des 24 heures du Mans moto. Mais regardons la réalité en face. Aujourd’hui, des pilotes moto qui vont s’inscrire au Mans sur de l’électrique, je n’en ai pas... »  Don Jacques Balesi est persuadé que la tendance finira pas s’inverser : « Progressivement, le parc de voitures thermiques est remplacé par des voitures électriques, on le voit... Et bientôt, ce sera pareil dans les circuits. » L’Union européenne avait d’ailleurs annoncé son intention d’interdire toute vente de véhicule thermique à l’horizon 2035… Mais elle vient d’y renoncer ce mardi 16 décembre, compte tenu de la crise que traverse le secteur automobile européen. 

Une moto électrique de course appartenant à Don Jacques Balesi.
Une moto électrique de course appartenant à Don Jacques Balesi.
"Bruit de sifflement"

Sur le plan sportif, les compétitions de véhicules électriques peinent à décoller. La Formule-E – l’équivalent de la Formule 1 pour monoplaces électriques – a  vu ces dernières années un certain nombre de constructeurs se désengager, comme Audi, McLaren ou BMW. En moto, c’est pire, puisque la compétition phare, le championnat du monde MotoE, a été suspendu en septembre, « n’ayant pas réussi à susciter suffisamment d'intérêt auprès de nos fans, tandis que le marché des motos électriques performantes ne s'est pas développé comme prévu », s’était justifiée, dans un communiqué, la fédération internationale de motocyclisme. Aujourd’hui, l’argument écologique ne pèse plus aussi lourd dans la balance de l’électrique, souligne Jean-Marc Delétang : « Dans les compétitions, 80 % de l’essence est de synthèse. Elle est très chère, mais elle ne pollue pas. » Quant au manque de popularité des compétitions de véhicules électriques, c’est un problème de société, estime le directeur de course : « Les jeunes motards aujourd’hui, quand ils passent leur permis, ils ne demandent pas à le passer sur des motos électriques… » S’il partage ce constat en partie, Don Jacques Balesi en rejette surtout la responsabilité sur les instances sportives : « Elles ont calqué exactement le même modèle que sur le thermique. C’est sûr que dans l’électrique, on ne fait pas rêver les gens avec des chronos et un bruit de sifflement... », lâche-t-il, en référence au rendu sonore lénifiant des moteurs électriques. Pour y remédier, il envisage de proposer « un spectacle son et lumières » en parallèle des courses. 

Mais pour l’heure, beaucoup d’obstacles restent encore à lever, et en premier lieu l’épineuse problématique du foncier. A ce jour, le projet est au point mort, et c’est pour le relancer que Don Jacques Balesi a entrepris de le médiatiser. De son côté, Jean-Christophe Angelini dit vouloir « prolonger le dialogue » autour du projet, dans le cadre de l’élaboration du SCOT, le schéma de cohérence territorial dont doit se doter dans les prochains mois la communauté de communes du Sud-Corse. De son côté, le président de l’AUE Julien Paolini se dit disposé à rencontrer Don Jacques Balesi, dans l’idée « d’étudier d’autres sites éventuels d’implantation qui poseraient moins de difficultés en matière de règles d’urbanisme ». Il conviendra de voir ensuite comment le circuit pourrait prendre forme. S’il prend forme.