C'est un moment aussi attendu que redouté. La visite de Gérald Darmanin en Corse, en ce début de mois d'octobre, a changé de dimension suite au récent refus d'aménagement de peine de Pierre Alessandri. Les maires insulaires s'inquiètent d'un retour à la case départ. "Personnellement, ça a été une douche froide, car je n'ai jamais pensé qu'on aurait pu prendre cette décision dans un contexte qui se tournait plutôt vers la détente, se soucie Ange-Pierre Vivoni, maire de Sisco. J'ai peur qu'on retourne en arrière, car on sait que tôt ou tard, on sera obligés de parler de la libération conditionnelle des prisonniers parce qu'on ne peut pas aller contre le droit." À quelques heures de voir le ministre de l'Intérieur débarquer, l'incertitude domine et les perspectives sont bouleversées.
Alors avant de parler des thèmes principaux, la réaction du numéro 3 du gouvernement se fait attendre. "J'espère que Gérald Darmanin sera capable de trouver les mots et les actes qui permettront d'avancer pour qu'on puisse essayer de trouver une solution de paix sur cette île, souhaite Jean-Charles Orsucci, édile de Bonifacio. On doit être capables de tourner une page." Quelques mots, à la hauteur de ce qu'il a le pouvoir de commenter, pourraient apaiser un peu les esprits et permettre à tous de se focaliser sur les missions principales de cette venue.
Définir l'autonomie
En tête d'affiche, travailler sur le processus d'autonomie, avec une nouvelle réunion inscrite dans une série consacrée à l'avenir de l'île. "Ce qui me semble important dans ce genre de processus dans lequel l'État s'est engagé, c'est de bien connaître sa feuille de route, priorise le maire de Pietrosella, Jean-Baptiste Luccioni. Aujourd'hui, on a besoin d'y voir plus clair, y compris sur la méthodologie : l'État souhaite-t-il le faire valider par le Parlement ? L'Assemblée de Corse ? Ou bien le peuple, ce qui me semblerait logique ?" L'élu de la rive sud ajaccienne veut des explications claires de la part du ministre, comme du gouvernement sur le cadre posé autour du mot "autonomie". Pour celui qui a "l'impression qu'on n'a pas mesuré tous les tenants et les aboutissants de ce que pourrait être ce processus", enlever une part de flou permettrait de "sortir du réactif" qui a suivi les vives réactions liés à la mort d'Yvan Colonna.
Et une fois le cadre posé, on peut alors rentrer dans le vif du sujet. "Quelles sont les compétences qui seraient déléguées à la Région et à ses représentants à travers l'Assemblée de Corse, s'interroge Jean-Baptiste Luccioni. Quid de l'éducation nationale ? De la sécurité sociale ? De l'impôt ?" Les discussions autour de l'autonomie amènent leur lot d'interrogations et d'espérances. "On attend de cette visite que le ministre ouvre des pistes avec le Président de l'Exécutif de Corse, Gilles Simeoni, affirme Jean-Charles Orsucci. Mais on sait très bien aussi qu'il ne pourra y avoir d'avancées dans tous ces secteurs que si le contexte global politique est apaisé. La question des prisonniers fera partie de l'équation si l'on veut sortir de la spirale dans laquelle on est depuis 40 ans."
Eau, déchets, aménagement et financements
"Si plusieurs communes volontaires mettaient en œuvre un référendum pour savoir si les gens étaient favorables à ce que le processus de Beauvau continuait, pourrait-on y voir plus clair ?", questionne Ange-Pierre Vivoni, sous sa casquette de maire de Sisco. Le président de l'association des maires de Haute-Corse est aussi impatient d'évoquer les difficultés rencontrées par ses confrères et consœurs dans leur exercice quotidien. "60% des communes ont des stations d'épuration obsolètes voire pas d'eau potable et d'assainissement, lance-t-il. Il va falloir investir lourdement en Corse pour réaliser des travaux massifs et aider cette part de la population qui avoisine les 13%."
La problématique de l'eau s'ajoute à une pile déjà bien fournie de thématiques récurrentes dans le débat : "l'aménagement du territoire, les déchets, les financements des projets publics dans le domaine de la culture, du patrimoine, du social...", énumère Jean-Charles Orsucci depuis Bonifacio. Des réponses indispensables pour mieux envisager l'avenir insulaire. Mais pour avoir des réponses, il faut des négociations. "Il est impératif que la visite de M. Darmanin ne soit pas un rendez-vous manqué, assène Ange-Pierre Vivoni. Dans un contexte aussi tendu qu'incertain, tous sont unanimes : le travail entamé durant l'été ne doit pas être freiné par des décisions qui raviveraient les tensions.