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Pour que le foyer Notre-Dame d’Ajaccio reste la demeure des plus pauvres : le soutien de Xavier Emmanuelli


Marie MAURIZI le Jeudi 30 Mai 2019 à 13:43

L'avenir du Foyer Notre Dame est, on le sait, menacé. Les associations de la CLE - coordination inter associative de lutte contre l’exclusion), présidée par docteur François Pernin - s'en inquiètent depuis un bon moment déjà. Avec le soutien de poids de Xavier Emmanuelli, qui prend part à ce combat pour que le Foyer Notre Dame redevienne un lieu d’accueil et d’hébergement, elles reprennent aujourd'hui espoir. Dans une lettre, le fondateur du Samu Social de la ville de Paris, exprime sa solidarité à "ceux qui aident", et son espoir de voir le Foyer Notre Dame redevenir un lieu d’accueil et d’hébergement des plus pauvres.



Le Foyer Notre Dame à l'entrée de la ville d'Ajaccio
Le Foyer Notre Dame à l'entrée de la ville d'Ajaccio
La lettre de Xavier Emmanuelli
« Certes, je ne vis pas en Corse, mais je peux dire que je suis Corse depuis toujours, de père, de mère et de tous mes aïeux. Comme tous les Corses, j’ai un rapport charnel avec cette région. Mon père est enterré dans son village natal, aux confins de la Castagniccia, dans un petit cimetière sauvage de la montagne, sous les fougères et la menthe sauvage, un endroit secret, en compagnie des ancêtres.

Ma mère est à Propriano avec ses parents, dans le caveau familial. Nous sommes tous viscéralement attaché à cette île, une île de nos légendes, une île tragique, une île éblouissante qui a tant d’importance pour nous. Nous sommes sous la protection de la Vierge, qui est la mère immaculée, notre Mère. Mais c‘est aussi notre protectrice et ces allers-retours entre l’espérance et notre misérable statut sur la terre est bien dit dans notre hymne. C’est la mère universelle qui nous guide vers le paradis, qui nous protège et les paroles nous le disent, c’est l’éternelle consolatrice (dans ma traduction, « sconsolati » et « tribolati », c’est ce que personnellement je traduis par les « inconsolés » et peut-être même les « inconsolables » et de tous les « tourmentés »).

Que le foyer s’appelle Notre Dame, qu’il ait été administré pendant tant d’année par la congrégation de Notre Dame de la Merci, me paraît une synchronicité. Pour mon propos c’est pourquoi, comme mes chers amis m’ont demandé de dire quelques mots pour les aider à conserver ce foyer, tout chargé de sens et de signification, je me suis mis à leur disposition et je fais partie de leur combat et de leur réclamation.

La Corse a subi en cinquante ans une crise majeure qui s’est propagée insidieusement. Comme dans tous les pays de l‘Occident, comme dans toutes les grandes villes du monde. Les sociétés se développent et précisément, c’est sur le développement que l’on peut s’interroger. Notre société, comme bien d’autres, était agricole et pastorale, régie par des coutumes, qui structuraient les comportements, les certitudes, les habitudes, les rencontres, les rapports avec autrui.

Dans cette île, relativement pauvre, à l’histoire tourmentée, à la fois généreuse et hospitalière, qui obligeait à des comportements de respect et de solidarité permettait une continuité d’aide dans les générations en même temps que se développait un état de droit, de protection et des projets économiques et culturels. Mais ici comme ailleurs, le compte n’y est pas. Les avantages de la vie moderne, l’abandon des campagnes, des villages isolés, le hiatus entre génération, l’appel des biens matériels, les médias omniprésents ont donné un coup fatal à notre représentation si particulière, si latine et lumineuse de notre société.

Le « contenant » de nos références communes, indicibles, mais efficaces a disparu au profit de la vie urbaine que l’on retrouve dans toutes les cités du monde. Cela débouche sur un adage absolu : « en ville chacun est étranger à l’autre ». Ce n’est pas que les gens soient devenus égoïstes ou méchants, ils ont d’autres références qui les éloignent les uns des autres et amène l’exclusion.

L’exclusion est certes liée à la pauvreté, une pauvreté de biens, mais en jouant sur une seule consonne, la pauvreté de biens débouche sur la pauvreté de liens. Le « b » du bien devient le « l » du lien et ce lien a différentes dimensions, le lien culturel (qui nous sommes, nos références communes, voire notre parler commun), le lien de voisinage (ou chacun peut savoir à peu près qui vous êtes par votre famille élargie), et nos hommes politiques le savaient à l’époque, des liens issus de la Rome antique, des liens d’alliance ou de clientèle (pour ne pas dire clanique), les liens générationnels, etc.

A juste titre, les coutumes et les liens ont pu être adoucis. Les jeunes, à juste titre aussi, ne peuvent pas se reconnaitre dans une société figée. Seulement, les liens implicites disparus, le fait de ne plus être reconnu dans son particularisme et sa souffrance a obligé les structures à prendre en charge comme elles le peuvent. C’est un progrès, les dispositifs d’assistance de l’Etat, les aides (comme l’allocation au veuvage, le RSA, etc..., il y a neuf minima sociaux et c’est bien).

Mais l’Etat, quel qu’il soit, doit être juste, il recueille la richesse de ses citoyens et la redistribue le plus équitablement possible. Mais c’est une redistribution froide (même si elle est juste). En d’autres termes, l’Etat ne reconnait que l’individu moyen et le ménage moyen. Le filet de protection a parfois des mailles trop larges. C’est le travail des associations, des églises, des fraternités, de rentrer dans les détails de l’environnement individuel de la personne. C’est cette aide chaleureuse que font les associations, quelle qu’elles soient qui « ont souvent des idées différentes de leurs objectifs d’assistance ».

L’exclusion est une réalité durable, plus le monde va se développer, plus il va créer de l’exclusion. Les dispositifs deviennent totalement incomplets, car nous sommes à l’étroit dans des solutions où les dispositifs traditionnels sont saturés.
Est-ce bien le moment de fermer des foyers, de diminuer les solutions ? Nos pauvres outils, non seulement doivent être maintenus, mais aussi augmentés et nous devons développer de nouveaux projets. La Corse, comme bien d’autres régions sur le territoire national rencontre la problématique du vieillissement, du chômage, des migrations. Il faut donc faire avec audace de nouvelles propositions dans la formation des personnels, qui vont aller à la rencontre des personnes âgées, protéger les mineurs, les chômeurs, les migrants, les aliénés, tous ceux que l’on appelle les pauvres et les abandonnés « i tribolati ». En d’autres termes, se permettre de l’audace et de l’imagination, mais en tous cas certainement ne pas amputer les acteurs de ce qui existe déjà.

Voilà ce que je souhaitais dire à mes chers amis. Je serai toujours à leurs côtés. Aider ceux qui aident, c’est surtout un devoir kantien. Je le ferai, ils peuvent compter sur moi !
La vocation du Foyer Notre Dame est d’une brûlante actualité, le Foyer Notre Dame doit redevenir un lieu d’accueil et d’hébergement des plus pauvres, eux qui dorment souvent dans la rue à portée de vue de ce bâtiment."


Xavier Emmanuelli
Fondateur en 1993 du Samu Social de la ville de Paris.
Président du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées de 1997 à 2015
Depuis 1997, il est redevenu praticien hospitalier et est responsable du réseau national Souffrance psychique et précarité créé en avril 1984.

(Photo Michel Luccioni)
(Photo Michel Luccioni)