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Pasquale Paoli : quel était son rapport avec les femmes ?


Pierre-Manuel Pescetti le Dimanche 29 Août 2021 à 17:48

« Pasquale Paoli era gay ». L’affirmation peinte en rouge et noir sur un morceau de carton porté à bout de bras par des manifestants lors du rassemblement contre l’homophobie qui s’est déroulé à Bastia ce dimanche 22 août n’en finit pas de faire polémique sur les réseaux sociaux. Une affirmation, à coup sûr, censée attirer l’attention plutôt que de tenter de rétablir ou non une réalité historique. Pari réussi. Si ce n’est pas l’orientation sexuelle du Babbu di a Patria qui est au cœur du débat, les internautes s’écharpent plutôt sur l’utilisation de l’image de Pasquale Paoli pour soutenir telle ou telle cause.
CNI a demandé son avis à l’historien et auteur Antoine-Marie Graziani.



Portrait de Pasquale Paoli réalisé en 1820 par le peintre Joseph Chabord
Portrait de Pasquale Paoli réalisé en 1820 par le peintre Joseph Chabord
Mais une question persiste. Une question d’autant plus forte qu’elle est nourrie depuis plusieurs années par des rumeurs sur la supposée attirance sexuelle de Pasquale Paoli pour les hommes. Si le personnage n’a laissé aucun héritier, est mort célibataire et sans s’être marié, quel était son rapport avec les femmes ?

Le seul véritable moyen d’en avoir le cœur net serait de pouvoir voyager dans le temps pour accompagner l’homme dans chaque instant de sa vie. Impossible. Cependant, en retraçant ses correspondances et les informations disponibles sur sa vie, il est possible de se rapprocher de la vérité. Une tâche à laquelle s’attelle l’historien et auteur Antoine-Marie Graziani. Le spécialiste de l’histoire de la Corse a épluché les 4 000 lettres envoyées par Pasquale Paoli à toutes ses correspondances politiques, amoureuses et amicales, tout au long de ses 82 ans d’existence qui prit fin en 1802 à Londres.

La naissance d’une rumeur dans les années 1980

« Rien ne permet de dire que Pasquale Paoli était homosexuel. Dans les lectures de ses correspondances je n’ai rien rencontré qui me permette d’avoir des certitudes » affirme Antoine-Marie Graziani. Selon l’historien, l’homosexualité de Pasquale Paoli est une rumeur qui prend racine dans les années 1970-1980. « Avant ça je vous mets au défi de trouver la moindre chose sur le sujet ». Selon lui, cela vient de deux sources : dans les années 1980, les napoléoniens agacés de voir Pasquale Paoli prendre plus d’importance que Napoléon Bonaparte dans le cœur des Corses lancent une rumeur. Une opération censée dégrader son image. « À l’époque dire qu’il était gay leur a semblé réducteur » rappelle l’historien. Absurde. D’autant que cela ne réduit en rien la grandeur de l’homme ni en 1980 ni en 2021.

Dans le même temps, les progressistes de l’époque se servent de l’image tolérante de l’homme d’Etat pour servir leur cause. Pour eux aussi, le raccourci est vite fait. Pasquale Paoli n’avait pas d’enfants et n’était pas marié, il était tolérant envers les Juifs, les étrangers et appartenait au mouvement des Lumières. Progressiste accompli, il pouvait donc très bien être homosexuel selon eux.

Boswell l’amant impossible

Chemin faisant, la rumeur s’amplifie et prête à l’écrivain aventurier James Boswell le rôle d’amant. L’Ecossais passionné par la Corse Paoliste a pourtant une réputation coriace de coureur de jupons. « Je ne les imagine pas ensemble une seule seconde. Boswell passe son temps à courir les femmes et collectionne les conquêtes féminines » précise Antoine-Marie Graziani avant d’ajouter que « tout ce que rapporte Boswell de Paoli, il l’a entendu de la bouche de ses proches et non de la sienne ».

Maria Cosway muse amoureuse de Paoli

Si Pasquale Paoli n’a pas laissé de traces sur une liaison amoureuse, que ce soit avec un homme ou une femme, il eut un moment où il a laissé sa plume parler pour son cœur. Dans les années 1780, alors que la guerre entre la Corse et la France est terminée, u Babbu di a Patria n’est plus aux responsabilités. Un moment de creux dans ses occupations politiques pendant lequel il entretient une correspondance amoureuse avec Maria Cosway, femme du peintre Richard Cosway et artiste-peintre et graveuse elle-même.

Un amour non réciproque qui semble causer quelques souffrances à l’homme qui a tenu tête à l’une des plus grandes puissances de l’époque. « Dans une de ses lettres à Maria Cosway, il lui avoue qu’il la désire. Ses lettres suivantes témoignent d’un amour déçu » raconte Antoine-Marie Graziani. Ce sera la seule piste écrite de l’amour de Pasquale Paoli pour une personne. « Il était surtout amoureux de la Corse, du bien commun et de la chose politique et je pense qu’il n’accordait que peu d’intérêt aux relations amoureuses » ajoute l’historien.

Les femmes au cœur de ses correspondances amicales

Dans un document des autorités françaises daté de 1755, il est relaté que « Pasquale Paoli fréquente les bordels napolitains ». Un premier témoignage écrit de son attirance pour les femmes, renforcé par ses correspondances amicales.

Dans des lettres échangées avec Raphaël de Casabianca, né en 1738 à Vescovato et futur général et sénateur français, « on retrouve beaucoup de constructions à caractère sexuel, lui expliquant, de manière assez humoristique, qu’il aimerait bien être le sigisbée de sa femme » selon Antoine-Marie Graziani. Une pratique très en vogue dans la noblesse italienne du 18e siècle. Un sigisbée était un homme qui accompagnait officiellement et au grand jour une femme mariée. Souvent beaucoup plus jeunes que leur mari. « Rien de forcément sexuel » précise l’historien.

Dans d’autres échanges avec le général Andrea Colonna-Ceccaldi, Pasquale Paoli le félicite pour la naissance de son second garçon « avant de se lâcher et de lui dire, toujours de manière humoristique et amicale, qu’il ferait mieux de s’occuper un peu moins des femmes de Patrimonio. Ce à quoi l’intéressé lui rétorque de prendre aussi ses distances avec celles du Cap Corse. Pasquale Paoli aime dire qu’il est en ligue offensive ou défensive avec les femmes de ses amis » relate Antoine-Marie Graziani.

En dehors de toute considération amoureuse ou sexuelle, Pasquale Paoli accordait beaucoup d’importance aux femmes et à leur place dans la société corse. « Il y a beaucoup de réflexions sur les femmes dans ses lettres. Souvent il s’en prend à ses proches pour leur manière de traiter les femmes, toujours avec une dose de plaisanterie » selon l’historien.

L’homme était immense et son orientation sexuelle ni change rien, ni en pire ni en mieux. Il semble bien que son seul amour fut la Corse, la démocratie et les Lumières. Le reste, et notamment sa vie privée, n’a que peu d’importance.