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Nanette Maupertuis : « La Corse doit institutionnaliser son activité diplomatique en matière de coopération territoriale européenne »


Nicole Mari le Jeudi 2 Juin 2022 à 18:05

La para-diplomatie. Intensifier les échanges et le lobbying avec les autres régions européennes pour peser sur les décisions de Bruxelles, et profiter des expériences des autres régions autonomes pour mieux s’armer dans les futures négociations avec Paris. C’est un discours très politique et très européen que la présidente de l’Assemblée de Corse, également membre du Comité européen des régions, a livré en ouverture de la session, jeudi matin. Nanette Maupertuis a rendu compte des différents déplacements, dialogues et travaux qu’elle a réalisé ce mois de mai en Europe. Et annonce qu’elle continue d’œuvrer sur la prise en compte par Bruxelles de la spécificité insulaire.



Nanette Maupertuis, présidente de l’Assemblée de Corse et représentante de la Corse au Comité européen des régions. Photo Michel LuccionI.
Nanette Maupertuis, présidente de l’Assemblée de Corse et représentante de la Corse au Comité européen des régions. Photo Michel LuccionI.
« Alors que la discussion tarde à venir avec le gouvernement français, nous avons, sans relâche, échangé avec le reste de l’Europe ». Si la présidente de l’Assemblée de Corse livre brièvement son inquiétude sur le nouveau report de l’ouverture des négociations sur le processus d’autonomie, renvoyée par courrier du ministre de l’Intérieur à fin juin, elle consacre son allocution à l’Europe et à l’intense travail de lobbying qu’elle a réalisé tout au long du mois de mai. « Une Europe qui, malgré la douleur qui sévit en Ukraine, a célébré le 9 mai dernier la déclaration Schuman et la naissance de l’Union. Notre présence et notre action sur la scène européenne fut multidimensionnelle ». La première présence fut la participation, à son initiative et sous sa houlette, de l’Assemblea di a Giuventù, le 9 mai à une rencontre à Strasbourg de la jeunesse européenne dans le cadre de la Conférence sur l’avenir de l’Europe. « Ce fut pour le Vice Président et les présidents de groupe, un moment d’échange important mais aussi, à titre personnel de réelle satisfaction. J’ai en effet constaté que notre Assemblea di a Giuventù avait un fonctionnement et une implication beaucoup plus large, ainsi qu’une contribution plus forte que d’autres représentations de la jeunesse européenne », se réjouit-elle. « Le 20 mai, des lycéens d’Aiacciu se sont réunis dans le Palazzu Lantivy pour créer un mini parlement européen à l’initiative de la conseillère exécutive Flora Mattei et de l’eurodéputé François Alfonsi. Nous souhaitons résolument que notre jeunesse corse prenne intégralement sa place dans une Europe de paix, prospère, innovante valorisant sa diversité et surtout inclusive sur le plan social. Son avenir en dépend ». Elle estime, cependant, que les élus doivent donner l’exemple en « s’impliquant dans le dossier européen comme l’a fait la Commission des affaires européennes en rencontrant le 12 mai au centre Europe direct de notre Collectivité avec un expert des institutions de l’Union ».
 
Le modèle suédois
Puis la présidente Maupertuis fait un compte-rendu des déplacements européens qu’elle a effectué, notamment son voyage en Suède où elle a été reçue par la présidente de l’île Gotland, après avoir rencontré au parlement suédois plusieurs députés et le conseiller de la ministre de l’Environnement. L’objectif était de bénéficier de l’expérience insulaire suédoise en matière de transition écologique. « Même si une différence culturelle évidente existe entre Latins et Nordiques, nous avons pu juger dans nos échanges à quel point nous pouvions être très proches en particulier sur le projet européen comme sur l’urgence d’actions à l’échelle locale en matière de transition écologique. Nous avons ainsi rencontré des communautés confrontées à des problématiques graves de changement climatique, de pression touristique forte, et de nécessité de réappropriation patrimoniale. Là encore, nous avons su parler un langage commun et tracer des perspectives de collaboration stratégique pour nos peuples, en particulier sur l’impérieuse nécessité de la gestion de l’eau et celle de la transition énergétique. Après avoir visité leurs infrastructures et entendu leur projet, il semble tout à fait plausible que leur objectif ambitieux de ne dépendre que d’électricité verte d’ici à 2040 soit atteint. Sur l’île de Gotland, 50% de la production d’énergie est déjà renouvelable ».
 
Le fait insulaire
Nanette Maupertuis a, de la même façon, informé des travaux effectués dans le cadre de la commission des îles de la CRPM (Conférence des régions périphériques maritimes) dont le Président Simeoni a été président pendant 4 ans. « Là encore, ce sont les mêmes mots posés sur les mêmes problématiques qui sont employés, malgré les singularités respectives fortes de nos territoires insulaires, que ce soit entre Gotland et la Corse, entre Mayotte et les Baléares, entre la Sardaigne et les Açores. Nous avons parlé d’une seule voix face à la Commission européenne pour une meilleure prise en compte de nos contraintes. Dans sa déclaration finale, la Commission des îles a demandé à l’Union la mise en place d’une stratégie pour les îles qui s’appuierait sur l’article 174 du TFUE (Traité de fonctionnement de l’Union européenne) ». Cet article stipule que des politiques spécifiques doivent être accordées aux zones rurales ou à des régions qui souffrent de handicaps naturels ou démographiques graves, telles que les régions insulaires, transfrontalières et de montagne. La présidente annonce qu’elle sera rapporteur auprès du Comité des régions concernant l’application de cet article dans le cadre d’une politique de cohésion plus forte pour les territoires insulaires. « Ce travail sera réalisé en coordination totale avec le rapport produit par le député européen Younous Omarjee « Islands and cohesion policy: current situation and future challenges », validé à la quasi-unanimité à la commission REGI du Parlement Européen le 21 avril dernier et que nous espérons voir adopter en plénière le 7 juin prochain ».
 
Une visite historique
Enfin,  Nanette Maupertuis a évoqué la visite en début de semaine en Corse du Lehendakari, Iñigo Urkullu, le gouverneur de la Communauté autonome du pays basque. « Cette visite s’inscrit dans le cadre du mémorandum signée entre la Collectivité de Corse et la communauté autonome d’Euskadi en avril 2021. A l’époque, alors que la crise sanitaire menaçait fortement notre économie et bousculait nos modes de vie, nous avons maintenu un regard résolument tourné vers l’avenir en travaillant à la coopération entre nos peuples et institutions sur trois sujets stratégiques : la langue, les relations avec la diaspora et les affaires européennes. Là encore, bien évidemment, sur les plans institutionnels, économiques et culturels, de grandes différences existent entre la Corse et l’Euskadi. Mais nous savons que dans le contexte européen post covid, soumis à des tentations belliqueuses ainsi qu’à une inflation qui affaiblit davantage les plus précaires, nous avons tout à gagner dans l’union de nos forces qu’il s’agisse d’échanges culturels, scientifiques ou économiques. Ce lundi, dans cet hémicycle, le Président du gouvernement basque nous a fait l’honneur de rencontrer une grande partie des élus et des forces vives de la Corse. Ce temps politique a été très fort avec des échanges sans tabou aucun ». Elle retient notamment de l’allocution du Lehendakari que « nous partageons une certaine idée de l’Europe, celle des peuples, des régions et des nations sans états.  Une Europe sociale, durable, éloignée des tendances uniformisantes et qui doit avoir comme pilier pour son futur le respect de la diversité territoriale, culturelle, linguistique ou d’appartenance ». 
 
De la para-diplomatie
Une para-diplomatie qu’elle ne renie pas, précisant que la Corse « doit institutionnaliser son activité diplomatique tout en accroissant ses compétences techniques en matière de coopération territoriale européenne ». Et d’autant plus cruciale dans le contexte du nouveau cycle institutionnel qui va s’ouvrir entre la Corse et l’Etat, et où, précise-t-elle, « nos relations privilégiées avec les autres régions seront un atout puissant. Nous savons que les régions à compétences législatives sont quasiment une banalité en Europe. Et si nous avons pris l’habitude de faire référence à des cas insulaires, d’autres exemples de régions autonomes sont particulièrement riches d’expériences et d’informations ». Elle indique également qu’elle a échangé la semaine dernière avec le Président Bertin du Val d’Aoste, qui « m’a exposé les fondamentaux de leur autonomie en vigueur depuis 1949 mais aussi le processus étatiste qui a permis à ce statut d’émerger, de vivre, et de performer. Nous aurons donc le plaisir en accord avec le Président de l’exécutif et le Président de la Commission des compétences législatives, règlementaires et des évolutions statutaires de la Corse, Romain Colonna, d’inviter plusieurs responsables politiques de régions autonomes qui viendront nous parler de leur autonomie au quotidien. Ce double travail tant sur l’autonomie que sur l’ouverture à l’Europe doit nous permettre de progresser étape après étape vers un statut qui permette de préserver les intérêts matériels et moraux de la Corse et des Corses ». Elle conclut en assenant : « Nous en sommes tout à fait capables. En souhaitant, naturellement que cela se concrétise rapidement dans le cadre du cycle de discussions avec l’Etat et que le nouveau gouvernement s’engage, comme il l’a annoncé, dans le travail institutionnel qu’attend le Peuple Corse ».