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Malte : Gilles Simeoni élu président de la Commission des îles européennes


Nicole Mari le Jeudi 9 Mars 2017 à 18:43

C’est un président de combat que les îles ont choisi pour assurer leur défense, qui s’annonce ardue, auprès de l’Union européenne (UE) et pour arracher l’intégration d’une clause d’insularité dans les politiques publiques post 2020. Seul candidat, à la demande de ses voisins méditerranéens, Baléares et Sardaigne en tête, le président de l’Exécutif corse, Gilles Simeoni, a été élu à l’unanimité, jeudi soir, à la tête de la Commission des îles de la CRPM (Conférence des régions périphériques maritimes) qui tenait son assemblée générale à Gozo. Les îles ont salué « une présidence forte » et lui ont assuré leur soutien total. Gilles Simeoni, qu n’a pas caché sa joie devant ce vote de confiance, explique, à Corse Net Infos, les enjeux de sa présidence. En prime, son discours d’investiture.



Le président de l’Exécutif corse, Gilles Simeoni, élu président de la Commission des îles de la CRPM (Conférence des régions périphériques maritimes) qui se tient à Gozo.
Le président de l’Exécutif corse, Gilles Simeoni, élu président de la Commission des îles de la CRPM (Conférence des régions périphériques maritimes) qui se tient à Gozo.
- Quel est votre réaction après votre élection à l’unanimité ?
- C’est une satisfaction à titre personnel, bien sûr, mais, aussi et surtout, pour la Corse. C’est un signe de confiance et une reconnaissance de la part de l’ensemble des membres de la Commission des îles puisque cette élection est intervenue à l’unanimité avec le soutien appuyé, notamment de la Sardaigne et des Baléares. L’ancien président a eu des mots très chaleureux. En filigrane, c’est, également, la prise en compte par tous nos partenaires européens de l’action extérieure que nous avons menée collectivement depuis notre accession aux responsabilités pour développer la dimension de coopération euro-méditerranéenne, pour construire des partenariats et affirmer auprès de l’Etat et des institutions européennes la nécessité d’intégrer la dimension insulaire dans toutes les politiques publiques. Notre volontarisme a marqué les esprits et a payé. Il est à l’origine de mon élection.
 
- Quel est l’impact pour la Corse ?
- Cette élection s’inscrit dans une stratégie d’ensemble. Au-delà de la confiance témoignée à la Corse et de l’honneur qui lui est fait, c’est un poste qui nous permettra de jouer un rôle d’animation, d’impulsion, quelquefois de propositions par rapport à des enjeux essentiels. La Commission des îles est un outil très important qui regroupe toutes les îles d’Europe et plus de 15 millions de personnes. C’est la plus ancienne des Commissions de la CRPM qui, elle-même, regroupe près de 200 millions de citoyens européens. Nous parlerons, donc, avec un poids politique et une légitimité accrus.
 
- Vos collèges se sont réjouis, disant qu’avec vous, « ce serait une présidence forte ». Est-ce, donc, volontairement, une présidence de combat qu’ils vous ont donnée ?
- C’est forcément une présidence de combat par rapport au contexte très incertain et difficile que nous vivons. Pour deux raisons. Tout le monde sait bien que l’Europe est confrontée à une crise profonde du fait du contexte international, notamment du jeu diplomatique de l’Amérique de Mr Trump et de la Russie de Mr Poutine. L’islamisme radical et le terrorisme sont des menaces patentes et une idéologie qui vise à détruire les valeurs sur lesquelles notre société et notre démocratie se sont construites. Enfin, le Brexit, le départ de la Grande Bretagne, a ouvert une crise interne profonde à l’Europe. De nombreux pays, y compris des membres fondateurs comme la France et l’Italie, sont confrontés à des graves crises politiques, économiques et sociales. Il faut se battre pour faire avancer l’idée d’une Europe forte, généreuse, ouverte et marchant sur le chemin de l’intégration politique, de la justice sociale et d’une présence respectée sur la scène internationale.
 
- Quelle est la deuxième raison ?
- Elle est directement liée. Tous ces facteurs impactent les politiques publiques communautaires dans le cadre de la redéfinition de la politique de cohésion, c’est-à-dire la politique d’aide aux régions. La sortie de la Grande Bretagne entrainera une diminution du budget européen, une raréfaction de la ressource, un ajustement des critères de redistribution des fonds publics en matière économique et sociale et, donc, une compétition accrue pour accéder aux financements européens. Le risque est sérieux, pour une région comme la Corse, qui, malgré un niveau relativement élevé par rapport à d’autres, reste en retard de développement, de sortir des radars de l’aide européenne. Les intérêts entre le Nord et le Sud, entre les régions continentales et insulaires, sont contradictoires. D’où l’importance de faire prendre en compte la dimension continentale et insulaire dans les politiques de cohésion, soit à travers une clause générale, soit de façon complémentaire à travers des politiques sectorielles.
 
- La reconnaissance de la clause d’insularité sera-t-elle votre priorité d’action ?
- Oui ! Ce sera effectivement le fil conducteur de notre action. Nous avons, donc, intérêt à nous mobiliser dès aujourd’hui. L’attente est forte dans les territoires insulaires, les deux années à-venir seront décisives. Nous devons, avec toutes les îles d’Europe, susciter des convergences fortes et faire acter le clause d’insularité pour la décliner de façon opérationnelle dans tous les secteurs stratégiques et vitaux qui impactent la vie des citoyens insulaires, les Corses et les autres : les transports, l’énergie, les déchets, la fiscalité, l’économie, le développement et le social. Nous avons voté une première déclaration. Nous travaillerons, maintenant, de manière plus étoffée et plus technique. Cela nous permet d’être encore plus volontariste et plus dynamique.
 
- Comptez-vous sur la présidence maltaise ?
- Bien sûr ! Nous sommes dans un contexte, à la fois, favorable et décisif. Favorable avec Malte à la présidence du Conseil européen, l’organe décisionnel regroupant les Etats. Malte se sert de cette présidence pour tenter d’impulser une politique qui prend en compte le fait insulaire. C’est sa volonté de faire acter la clause d’insularité dans toutes les politiques publiques européennes. Mais, Malte est isolé. C’est un petit Etat insulaire et l’insularité n’est pas le facteur dominant au sein des Etats européens. Il a besoin de soutien. C’est toujours la même logique gagnant-gagnant. Les politiques de coopération méditerranéennes et euro-méditerranéennes peuvent se déployer si chacun des partenaires, même s’il est très différent, trouve un intérêt commun avec les autres. Malte a intérêt à s’appuyer sur des territoires insulaires comme la Corse ou d’autres.

Gilles Simeoni et son prédecesseur.
Gilles Simeoni et son prédecesseur.
-  La Corse est également apparue comme un acteur incontournable lors de la conférence sur l’économie circulaire. Comment l’expliquez-vous ?
- Quand nous avons été confrontés à la crise majeure des déchets, il fallait apporter des réponses urgentes, cela nous a conduit, aussi, à nous interroger sur des réponses structurantes. Le changement de modèle, que nous avons proposé, s’inscrivant dans une logique vertueuse d’économie circulaire, nous avons pensé qu’il serait intéressant de voir ce qui se faisait ailleurs. Dans ce domaine précis, la logique d’insularité est, à la fois une contrainte supplémentaire et une chance à explorer. D’où notre idée de nous tourner vers la Commission européenne avec qui nous avons organisé, en juillet à Bastia, la première conférence sur le sujet. Nous avons, alors, initié un processus autour d’une question : Comment peut-on croiser les problématiques, les démarches et, éventuellement, les outils publics de l’économie circulaire ?
 
- La conférence a-t-elle atteint son but ?
- Oui ! Elle a été importante. En Crète, en novembre, nous avions élargi le processus à d’autres régions. Nous sommes en train institutionnellement de renforcer le poids des îles à travers un lobbying important. Nous avons acté le principe d’une démarche et une déclaration communes que nous avons commencé à décliner. Nous nous sommes fixés comme perspective sur le plan technique de réfléchir à la création d’un Groupement européen de coopération territoriale (GECT).
 
- Un GECT que vous n’avez pas voulu acté. Pourquoi ?
- Pour deux raisons. Nous voulons, d’abord, en discuter avec nos partenaires de Sardaigne et des Baléares et nous mettre d’accord. C’est une question d’efficacité. Nous avons, ensuite, conscience que, souvent, des initiatives européennes sont annoncées, mais que leur déclinaison opérationnelle fait défaut. On suscite, à ce moment-là, une déception à la hauteur des espérances initiales. Nous avons dit qu’il fallait avancer de façon résolue et déterminée, mais à travers une politique de petits pas, en renforçant notre argumentation et en identifiant des projets précis susceptibles d’être portés par les îles et financés par des fonds européens. Ce discours a été entendu.
 
- Estimez-vous avoir franchi un nouveau pas dans votre stratégie d’internationalisation ?
- Tout à fait ! C’est la vocation naturelle de la Corse de s’ouvrir à l’Europe et à la Méditerranée. Aujourd’hui, les Etats et les institutions communautaires valident la coopération territoriale méditerranéenne. Nous voulons lui donner une dimension supérieure. Notre volonté rentre en phase avec des enjeux fondamentaux, ce qui explique que nos propositions trouvent un écho favorable, y compris auprès des partenaires que nous sollicitons : la Sardaigne, les Baléares et la Catalogne hier, notre présence renforcée à la conférence sur l’économie circulaire interinsulaire et à l’assemblée générale de la Commission des îles aujourd’hui. Ce volontarisme, déployé auprès de toutes les instances, a permis à la Corse, d’obtenir un siège au Comité des régions.
 
- Comment ?
- La France désignant les représentants des régions, j’ai écrit, dès mon élection, au Premier ministre, en lui disant que, vu le caractère insulaire de la Corse, il n’était pas normal qu’elle ne soit pas représentée es-qualités. Il a fait droit à notre sollicitation. Désormais, c’est Nanette Maupertuis qui occupe ce poste et y travaille conjointement avec les présidents des Baléares et de Sardaigne. Elle a été désignée pour rédiger un rapport sur l’entrepreneuriat dans les îles qui a été voté à l’unanimité (cf par ailleurs). Même si la Corse, qui est la troisième île de Méditerranée, reste un territoire réduit par sa taille, par son poids démographique et économique, nous avons la volonté de dire que nous existons et de nous insérer dans des dynamiques plus larges, y compris en les suscitant.
 
- Avez-vous essayé de convaincre Paris ?
- Oui ! Nous avons expliqué qu’il ne fallait pas voir la Corse comme une région périphérique pauvre, acceptant d’être placée dans des situations de dépendance ou même d’aumône. La Corse est un territoire et une nation en Méditerranée et en Europe. Nous voulons construire une société développée. J’ai déclaré à Paris que c’était l’intérêt de la France, des pays du Sud et de l’Europe toute entière au moment où celle-ci s’interroge sur son identité, son devenir et son rapport avec l’autre rive de la Méditerranée que d’avoir des territoires dynamiques capables d’être des passerelles entre les deux rives. François Hollande l’a repris dans ses propose en disant que la Corse était une chance pour la Méditerranée. Nous prenons acte.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.

Gilles Simeoni et son Conseil exécutif.
Gilles Simeoni et son Conseil exécutif.
Le discours d'investiture de Gilles Simeoni :

« Monsieur le Ministre de Gozo, Anton Refalo,
Monsieur le Secrétaire parlementaire à la Présidence maltaise de l’UE et au Fonds UE, Docteur Ian Borg,
Monsieur le Secrétaire d’ Etat à la Marine marchande, et aux politiques insulaires, M. Nektarios Santorinios, au transport maritime et à la politique insulaire de la Grèce,
Monsieur le Président de la CRPM et Président du gouvernement de la Région autonome des Açores, M. Vasco Cordeiro,
Monsieur le Président de la Commission des Iles, George Hatzimarkos,
Mesdames et Messieurs les hauts représentants des régions et territoires insulaires, et parmi eux nos chers amis de la Guadeloupe et de la Polynésie,
Madame la Secrétaire Générale de la CRPM, Chère Eleni,
Monsieur Alexis Chatzimpiros,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs,
 
Care amiche, cari amichi,
 
Je voudrais d’abord, en quelques mots, vous remercier Monsieur le Ministre de Gozo, et remercier l’ensemble du Gouvernement de Malte,  pour la qualité de votre accueil. Vous dire aussi combien la délégation de la Corse a été sensible à la beauté et à l’âme de votre pays, sis au cœur de cette Méditerranée qui est à la fois le berceau de notre civilisation commune, et un horizon d’action qui fait plus que jamais sens dans le contexte douloureux et souvent tragique que nous vivons aujourd’hui : là où certains veulent construire des murs ou semer la haine entre les peuples, les cultures, et le religions, notre vocation et notre devoir sont, plus que jamais, de rappeler que la Méditerranée unit bien plus qu’elle ne sépare.
 
Mes remerciements pour l’hospitalité avec laquelle vous nous avez reçus sont exprimés au nom de l’ensemble de la délégation de la Corse : Nanette Maupertuis, Conseillère exécutive en charge des affaires européennes et de l’innovation, et Présidente de l’Agence du Tourisme de Corse ; Fabienne Giovannini, Conseillère exécutive en charge de l’Energie et Présidente de l’Agence de l’Urbanisme et de l’Energie ; Jean Felix Acquaviva, Conseiller exécutif en charge des transports et Président de l’Office des transports, Président du Comité de massif de Corse. Et je me permettrai de faire une remarque en forme de clin d’œil à Madame Eleni Marianou qui, au lendemain de la 40ème journée internationale des droits des femmes, pointait dans son discours de présentation le caractère largement masculin de la tribune initiale : vous aurez relevé que notre délégation est strictement paritaire, et même à dominante féminine en comptant Mme Carine Balli, membre de mon Cabinet en charge des questions européennes, que je remercie pour la part déterminante qu’elle a pris dans la préparation de notre participation à la réunion d’aujourd’hui.
 
Permettez-moi de vous exprimer notre émotion, Monsieur le Ministre, au moment où vous nous avez rappelé combien la population de Gozo a été affectée par la destruction, sous la poussée des éléments, de l’arche, the « azur window », qui faisait partie de votre patrimoine. Permettez-moi de nous réjouir de la présence et de l’implication dans nos travaux, Monsieur le Représentant de la Présidence Maltaise du Conseil européen : le fait que Malte, Etat insulaire, exerce la Présidence du Conseil crée une situation favorable à la prise en compte de nos demandes.
 Je me tourne également vers vous, Monsieur le Président de la CRPM, qui assumez donc l’immense responsabilité de porter la voix d’une instance qui regroupe près de 200 millions de citoyens européens insulaires. Vous nous avez, dans votre propos introductif, rappelé combien les mois à venir allaient être décisifs pour la construction européenne et la définition des cadres structurants des politiques communautaires. Et vous avez clairement rappelé les enjeux dans les termes suivants : « Nous devons dire ensemble ce que nous voulons pour l’Europe ».
 Et je reprendrai même « Nous devons dire ensemble ce que nous voulons pour l’Europe, et nous devons dire ensemble ce que nous nous voulons pour nos îles et pour l’Europe des îles ».  Nous devons préciser nos choix, les mettre en forme, les valider, et aller à la négociation. Et comme souligné ce matin par Madame Marianou, « on ne peut pas aller vers des négociations difficiles en se basant sur des généralités ».
 
Le travail d’ores et déjà accompli par la CRPM et la Commission des îles, et prolongé par les importantes orientations et décisions validées lors de notre Assemblée Générale de ce jour, nous permet à cet égard de disposer d’ores et déjà d’une feuille de route conséquente. A cet égard, qu’il me soit permis de vous rendre hommage, Monsieur le Président Hatzimarkos, pour le travail considérable et essentiel que vous avez accompli dans le cadre de la haute fonction de Président de la Commission des îles que vous avez exercée jusqu’à aujourd’hui. Votre action a permis de préparer au mieux les échéances décisives qui s’annoncent. Ainsi, et à titre d’exemple, dans le domaine essentiel du transport insulaire, maritime et aérien, vous avez permis que la Commission des Iles participe à la double consultation sur l’introduction des ports et aéroports dans le Règlement général d'exemption par catégorie des Aides d’Etat. De même, et de façon générale, votre mandat aura été marqué par la volonté constante de faire reconnaître le fait insulaire par les institutions et l’ensemble des politiques publiques de l’Union Européenne.
 
Cette reconnaissance doit notamment se traduire par l’insertion de la clause d’insularité dans toutes les politiques et instruments européens.
C’est cet objectif central que nous devrons nous fixer, notamment au cours de la séquence des deux années à venir (2017-2018) qui sera décisive, ceci avant que la Commission et le Parlement Européen ne soient renouvelés en 2019, ainsi que la politique de cohésion à partir de 2020. Monsieur le Président, je proposerai à la Commission des îles et à son bureau d’inscrire son action et sa réflexion dans la continuité du sillon que vous avez tracé, et que je compte bien sûr absolument sur vous pour me guider et me conseiller dans les fonctions que je suis appelé à exercer au sein de notre institution.
 
Qu’il me soit permis également d’exprimer publiquement ma gratitude à Madame Elemi Marianou, Secrétaire Générale de la CRPM, pour son écoute attentive, sa confiance, et la qualité de la relation de travail que nous avons commencé à nouer.
Enfin, en ce moment particulier et chargé d’émotion, j’ai bien sûr une pensée pour Jean Baggioni, ancien Président du Conseil exécutif de Corse, et Président de la Commission des îles de 1999 à 2003.
 
Je voudrais maintenant m’adresser à vous toutes et vous tous, Mesdames et Messieurs les représentants des îles membres de la Commission des îles. Vous m’avez donc fait l’honneur de m’élire Président de la Commission des îles.
Merci pour votre confiance, qui m’honore et m’engage.
 
La Commission des îles représente en effet 23 territoires insulaires dans 11 Etats de la Méditerranée à la Mer du Nord, de la Mer Baltique aux Océans Atlantique, Indien et Pacifique. Elle a donc vocation à représenter plus de 15 millions de citoyens, disséminés sur plus de 500 îles, et auxquels l’insularité donne un intérêt commun qu’il s’agit de garantir et de défendre. Elle est aussi la plus ancienne des Commissions de la CRPM, et est née en 1980 du constat d’une carence : au moment de sa création, les îles étaient presque totalement absentes des politiques européennes. Et malgré les avancées enregistrées, force est de constater que Jacques Delors était trop optimiste lorsqu’il écrivait en 2002 dans l’ouvrage « Au large de l’Europe : la construction européenne et la problématique des îles », publié sous la direction de notre Commission : « Je pense que dans trois ou quatre ans, nous aurons les éléments qui nous permettront de définir un cadre général pour les îles »… Les évolutions mettent toujours plus de temps à s’accomplir que ne le voudrait la volonté des hommes. Mais lorsqu’elles s’inscrivent dans le sens de l’histoire, elles finissent toujours par se concrétiser.
 
A ce titre, je voudrais me retourner un instant encore vers le passé pour vous dire que si je suis ici, si mes collègues et amis du Conseil exécutif de Corse et moi-même sommes ici, c’est aussi et peut être avant tout parce que, depuis cinquante ans, il y a eu en Corse des femmes et des hommes qui se sont battus pour qu’un petit peuple de Méditerranée, le peuple corse, puisse continuer à vivre, à se rappeler son histoire, à choisir son présent, et à rêver son futur. Nous sommes, avec humilité et détermination, les héritiers et les continuateurs de cette Histoire, qui est indissociable de celle de la lutte pour les valeurs universelles de fraternité et de solidarité, entre les hommes, entre les peuples et entre les cultures. Indissociable aussi, de notre volonté d’une Europe forte de sa diversité et de sa respiration démocratique, et d’une Méditerranée qui soit un espace privilégié de dialogue et de coopération, notamment entre les îles. Nous avons, depuis que notre accès aux responsabilités en Corse depuis décembre 2015, cherché à décliner de façon opérationnelle cette vision stratégique.
D’abord dans un cadre interne :
- Négociations avec le Gouvernement ayant conduit à la reconnaissance par la loi française, du statut d’île-montagne de la Corse. J’ai été frappé par la similitude des problèmes rencontrés par les îles, et pour parler de façon encore plus concrète, par les citoyens qui y vivent (salariés, chômeurs, étudiants, agriculteurs, chefs d’entreprise, fonctionnaires, …)  où les entreprises qui y développent leurs activités, notamment dans tous les domaines essentiels du quotidien : surcoûts liés à l’insularité, marchés étroits et contraints, inadaptation des règles de droit commun, y compris dans le cadre de l’organisation de services publics centraux comme la santé ou l’éducation, nécessité d’un fiscalité adaptée, les transports, l’énergie, le numérique ... Les négociations que nous avons menées et continuons de mener avec notre Etat de rattachement portent notamment sur ces différents points.

- Propositions faites à l’ARF (Association des Régions Françaises) d’inscrire dans le cadre des négociations de la politique de cohésion post 2020 un dispositif spécifique de soutien aux régions insulaires et montagneuses, notamment par l’établissement d’un axe de programmation et des enveloppes dédiées aux politiques de transports, de connexion numérique, de réseaux d’énergie, exploitation des ressources naturelles incluant prioritairement des mesures fiscales et sociales.

Cette stratégie de renforcement de la prise en compte de l’insularité a été également poursuivie dans le cadre de nos relations extérieures ou de notre présence dans des institutions communautaires :
- Partenariat stratégique noué avec la Sardaigne (déclaration commune des deux Exécutifs sarde et corse du 14 mars 2016, prolongée par la création du conseil corso-sarde entre les Assemblées des deux îles, le 28 avril 2016), ou encore à l’initiative tripartite prise par les Exécutifs de Corse, Sardaigne et Iles Baléares (déclaration de Palma di Majorca du 21 novembre 2016, co-signée par  Présidents de l’Exécutif de chacun des trois territoires insulaires). Je salue d’ailleurs en cette occasion la présence parmi nous de Monsieur Ramis, pour le gouvernement des Iles Baléares et en profite également pour vous demander d’excuser le Président Pigliaru, qui malheureusement ne peut être avec nous aujourd’hui, et m’a demandé de vous transmettre ses amicales salutations.
- Implication au sein du Comité des régions, où la Corse est représentée par Marie-Antoinette Maupertuis, qui vient de rédiger un rapport sur l’entreprenariat dans les îles. Ce rapport, qui a été voté à l’unanimité le 2 mars dernier lors de la réunion de la COTER à Varsovie, propose notamment un ensemble de mesures spécifiques en faveur du développement des entreprises dans les territoires insulaires (régime d’exemption, déplafonnement de la règle de minimis …).
- Réunion de la Conférence sur l’économie circulaire qui s’est tenue hier à La Valette, sous les auspices de la Commission européenne, et qui faisait suite à une initiative née à Bastia le 8 juillet 2016 et poursuivie en Crète le 14 novembre 2016 : il s’agit de construire dans ce domaine des actions communes entre les îles de Méditerranée, pour mobiliser les dispositifs prévus dans le plan d’action en faveur de l’économie insulaire présenté par la Commission le 2 décembre 2015
Notre vision des solidarités et partages d’expérience à renforcer entre territoires insulaires ne se limite pas à l’aire méditerranéenne. Nous avons eu ainsi l’occasion d’organiser un voyage d’étude particulièrement instructif en Ecosse, pour nous inspirer du modèle de desserte maritime organisé en direction des îles écossaises.
 
Je profite de ce rappel pour adresser un salut amical et fraternel à M. Wils, représentant dans îles Shetland, dont le plaidoyer en faveur de l’Ecosse et de l’Europe nous a émus. Qu’il sache aussi, si ce n’est pas le cas, que l’amitié entre la Corse et l’Ecosse plonge ses racines dans le XVIIIème siècle, au cours duquel le jeune James Boswell avait parcouru l’île en s’enthousiasmant, avec toute l’Europe des Lumières, en faveur d’une Révolution de Corse, celle, selon son expression, « d’un peuple combattant pour sa liberté ».
 
Pour revenir à aujourd’hui, c’est donc, bien au-delà de ma personne, cette action collective conduite par les institutions de la Corse qui vous a conduit à m’honorer de votre confiance. Quelles seront les priorités de notre Commission dans les mois à venir ? Nous avons tous conscience que les mois et années à venir seront déterminants, non seulement pour nos îles, mais également pour l’ensemble de la construction européenne, dans un contexte de crise interne et internationale très marqué. Cela a en effet été souligné par chacun des orateurs qui se sont succédés : au moment où l’Europe s’apprête à fêter, lors du sommet du 25 mars prochain, le 60eme anniversaire du traité de Rome et de la fondation de notre maison commune européenne, jamais les perspectives n’auront parues aussi incertaines et porteuses de risques et de dangers. Plusieurs facteurs concourent à cette situation :
- l’évolution de la scène internationale, et notamment la vision géostratégique et les choix diplomatiques des USA de M. Trump et de la Russie de M. Poutine
- la crise interne à l’Europe avec le Brexit et les situations de crise politique, économique et sociale au sein de nombreux Etat-membres, y compris des pays fondateurs comme la France ou l’Italie ;
- la menace du terrorisme islamiste qui pèse au quotidien sur nos sociétés, avec une idéologie qui vise à combattre et détruire les valeurs essentielles sur lesquelles repose notre conception de la vie en société ;
Tous ces éléments dessinent un cadre général qui dramatise les enjeux et nous invitent à inscrire notre action dans une vision stratégique.
 
Une vision stratégique à laquelle notre Commission aura à apporter sa contribution, notamment en s’emparant des deux sujets majeurs suivants :
  1. Quel scenario pour l’Europe de 2025 : la Commission vient, dans son Livre Blanc sur l’avenir de l’Europe présenté le 1er mars 2017, d’en présenter cinq : nous aurons à dire ce qu’en tant qu’îles nous pouvons apporter à ce débat. Nos propositions ne relèvent en effet pas seulement du débat technique ou budgétaire. Elles sont porteuses d’un projet politique global, de valeurs, d’une certaine idée de l’Europe. Disons-le clairement : nous sommes des partisans convaincus de la construction européenne, et souhaite qu’elle aille plus loin sur le terrain de l’intégration politique, de l’efficacité économique, de la solidarité et de la justice sociale, de l’affirmation sur la scène internationale pour contribuer à un monde plus sûr et plus juste.
  2. Quelle politique de cohésion post-2020 pour l’Union Européenne ?
La baisse des financements européens induite par le Brexit (environ 10 Milliards d’€ par an selon une étude de la Fondation Notre Europe) impactera nécessairement la politique de cohésion de l’UE. La bataille pour l’accès aux ressources va donc être rude. Plus que jamais, les îles se doivent donc de parler d’une même voix, pour identifier leurs intérêts communs et les faire prendre en compte. Et ce d’autant mieux que le Président  Hatzimarkos et Mme Marianou nous ont rappelé que les réponses de la Commission à nos demandes et sollicitations, quoique polies, restent insuffisantes.
 
Le credo de notre action peut donc se résumer autour de deux axes centraux :
  • Faire reconnaître la dimension insulaire comme une donnée structurante des politiques publiques de l’Union Européenne ;
  • Inscrire une clause d’insularité dans chacune d’entre elles, en s’appuyant notamment sur l'article 174 du traité de Lisbonne, lequel est ainsi rédigé : « (…) parmi les régions concernées par la politique de cohésion économique, sociale et territoriale, une attention particulière est accordée aux régions qui souffrent de handicaps naturels ou démographiques graves et permanents telles que les régions les plus septentrionales à très faible densité de population et les régions insulaires, transfrontalières et de montagne ».  
Ces deux axes seront, bien sûr, une priorité de notre travail des mois à venir, priorité à décliner selon plusieurs modalités :
  • Identification des thèmes et domaines prioritaires dans lesquels la clause d’insularité servira de support à des politiques spécifiques, menées avec l’appui et le soutien des institutions européennes : transports, statut fiscal et social, déchets, énergie.
  • Inscription des îles au cœur de la politique de cohésion post 2020 par des contributions écrites issues d’un travail collaboratif que la Commission des Iles mène déjà de manière très active et que nous poursuivrons en renforçant la dimension observatoire ;
  • Défense des politiques en faveur du développement de l’accessibilité, en faveur de la transition énergétique et lutte contre le changement climatique en démontrant que de nouveaux modèles économiques sont possibles (ce seront d’ailleurs des sujets qui seront abordés lors de nos tables rondes de l’après-midi – « les îles, pionnières en matière de transition énergétique » et « quelles approche territoriale dans les politiques européennes en faveur des investissements de l’accessibilité et de l’entreprenariat »). L’initiative Smart Island autrement appelée « Iles intelligentes » s’inscrit pleinement dans cette dynamique.
  • Soutien à l’inclusion sociale afin de renforcer le sentiment d’appartenance à l’Europe pour des territoires insulaires qui se sentent souvent oubliés ou marginalisés par les politiques de l’Union ;
  • Intégration de la stratégie inter-insulaire dans une vision globale de la stabilisation de zones soumises à des tensions ou des risques (Méditerranée occidentale et orientale par exemple), ou dans le rayonnement de l’Europe sur d’autres continents (régions ultra-périphériques) ;
Le travail est donc considérable : il ne se résume pas à changer le rapport entre le centre et la périphérie, ou le regard que les Etats ou les institutions européennes portent sur les îles.
 
L’enjeu est également de modifier la perception que nous avons de nous mêmes : non pas des assistés ou des populations marginales, mais des citoyens européens, fiers de la dimension insulaire de leurs identités respectives. Car cela a été notamment dit par Monsieur le Ministre Grec à la Marine marchande et aux politiques insulaires, l’insularité n’est ni un fardeau, ni un problème. Elle est une chance et une opportunité, et pour nos territoires, et pour les Etats, et pour l’Europe. Je ne doute pas que la Commission réussira à faire partager cette conviction, et à la faire prendre en compte par l’ensemble de ses interlocuteurs.

Enfin, et parce que, selon le mot de Goethe, « l’âme d’un peuple vit dans sa langue »,
qu’il me soit permis de vous dire en langue corse : « simu fieri è felici d’esse qui à
fianc‘à voi, perchè sapemu chi a strada chè no vulemu apre è allargà inseme hà quella di u prugressu è di u benistà per i nostri citatini
».

Je vous donne donc rendez-vous, en Corse, pour une prochaine réunion de la Commission des îles ».