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Lortograf du Fransé, ortograffia (?), Corza (?)


Jean Chiorboli le Lundi 22 Juin 2015 à 21:42

Le niveau des élèves en orthographe inquiète même le gouvernement (français). Périodiquement s'élèvent des lamentations sur ce sujet. Ce phénomène a certainement des explications diverses et complexes. Mais on devrait évaluer ce même niveau chez des adultes, y compris les plus "instruits". Comme l'indique Alain Rey, responsable des dictionnaires Le Robert : "le problème fondamental c'est le fait que l'orthographe française est largement arbitraire" (émission de Canal+, 25 avril 12h30).



http://remibiette.files.wordpress.com/2010/06/bonnet_d_ane.jpg
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Pendant l'émission citée, on a "administré" aux chroniqueurs une dictée de 4 lignes. Certains d'entre eux, journalistes professionnels à la compétence reconnue, ont fait 4 fautes (1 par ligne). Ces lacunes seraient donc encore plus "inquiétantes" que celles des écoliers? A moins que le bonnet d'âne doive plutôt être attribué à "ces guignols d'académiciens parisiens [qui] ont fait de cette langue quelque chose d'abracadabrant" (http://www.ledevoir.com/societe/education/278721/pour-la-reforme-de-l-orthographe).


Au cours des championnats d'orthographe chers à Bernard Pivot, on a vu des professionnels à "BAC + 50" se réjouir de n'avoir fait "que 10 fautes" à la fameuse dictée, ce qui ne manque pas de provoquer les sarcasmes des observateurs étrangers, notamment dans les autres pays de langue romane. Pour eux en effet l'idée même d'un concours d'orthographe est saugrenue, et n'a aucun intérêt dans les langues où l'écriture est "phonétique": les écoliers italiens ou espagnols apprennent l'orthographe à l'école primaire, et ne font pratiquement plus de fautes par la suite.
En revanche dans les pays francophones chacun - y compris les profs - est contraint de garder toute sa vie un dictionnaire à portée de la main pour dissiper ses doutes orthographiques. L'orthographe française est en effet un monument d'incohérence et de complexité, même si l'anglais n'est pas piqué des vers non plus (voir les concours de spelling très prisés par les écoliers américains).


On notera donc que les championnats d'orthographe ne concernent pratiquement que la langue française. Ainsi que la langue ... corse pour laquelle ont été organisés des "campiunati d'ortografia". Les motifs invoqués sont divers: manière de "singer" le système français, ou de reconnaître que l'orthographe du corse s'est (récemment) "enrichie" de certaines complexités (dont selon nous elle aurait pu faire l'économie). Les mauvaises langues diront qu'il s'agit d'une tendance pernicieuse, d'une "déformation" acquise par tous les Corses à l'école du français, après la démocratisation de l'enseignement. Nous aurons probablement l'occasion de justifier ces observations dans un prochain post.


En France des rectifications orthographiques ont été proposées (1990), par le Conseil supérieur de la langue française, votées par le gouvernement de l'époque et approuvées par "des grands spécialistes et amoureux du français" qui "ne sont certes pas des partisans du nivellement (ou nivèlement, selon l'orthographe réformée) par le bas. Ils constatent simplement qu'une langue vivante doit évoluer, notamment en supprimant des anomalies ou des irrégularités qui embêtent même ceux qui maîtrisent (ou maitrisent) le français".
Le passage que nous venons de reproduire (blog cité), donne des exemples des simplifications de la réforme de 1990: " L'accent circonflexe disparait sur les lettres i et u" (maitriser). Concernant les anomalies "réaccordées", on écrira "charriot" sur le modèle de "charrue" (voir le "Réseau pour la nouvelle orthographe du français": http://www.renouvo.org/).


Mais pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué? La réforme (raisonnable) de 1990 a suscité une levée de boucliers telle que le gouvernement a dû faire marche arrière, si bien que les rectifications orthographiques "sont officiellement recommandées, sans toutefois être imposées" (http://www.orthographe-recommandee.info/): on pourra donc écrire "maitriser" ou "maîtriser", "nivèlement" ou "nivellement". Le Dictionnaire Hachette ou Le Petit Robert intègrent eux aussi 100 % des rectifications proposées à titre de variantes acceptées. Reste à savoir combien de profs permettent à leurs élèves d'écrire "connaitre" ou "couter" sans accent circonflexe.


La morale de cette histoire?
Voilà que la loi établie par l'autorité officielle de référence en matière de langue française est contestée, signe qu'une "norme imposée d'en haut" est de moins en moins acceptée (pour de bonnes ou de mauvaises raisons). Cela devrait faire réfléchir, à un moment où s'exprime une forte demande de norme rigoureuse pour la langue corse, et à s'interroger sur le rôle dévolu à l'Office de la langue corse, qui selon certaines instances, devra "se définir comme une instance de normalisation linguistique" (http://www.femuacorsica.org/L-Economie-numerique_a76.html).


Nous avons déjà évoqué ces questions dans une de nos précédentes publications. Nous aurons  - forcément - l'occasion de revenir sur ce sujet, car certaines interrogations demeurent:
1) Peut-on dire aujourd'hui, quarante ans après la "réforme" impulsée par "Intricciate è cambiarine", que "l'orthographe corse est unifiée à 90%" (F. Ettori)?
2) Les variations graphiques sont-elles mieux acceptées par les usagers et les "agents glottopolitiques" (enseignants, écrivains etc.)?
3) N'y a-t-il pas une tendance à la "complication" de l'orthographe corse, sous l'influence du modèle français?
Jean Chiorboli, Università di Corsica, 16/06/2015