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La Puff fait un tabac chez les jeunes corses. Les spécialistes s'inquiètent


Naël Makhzoum le Lundi 7 Novembre 2022 à 19:11

Le fléau de la cigarette électronique jetable ne fait pas exception en Corse. Allures flashy, prix attrayants et promesses de bonne santé séduisent de plus en plus de mineurs qui les utilisent parfois dès le collège. Entre législation à faire respecter et dangers à mettre en lumière, la régulation de l'utilisation des Puff pose question.



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"C'est un effet de mode", résume José Oliva. Le président de la fédération des buralistes de Corse l'assure, le phénomène des Puff - en anglais, "bouffée" - est "bien, bien présent" sur l'île, où "80% du réseau des buralistes les vend très bien".

Ces cigarettes électroniques jetables à liquide, arrivées sur le marché français il y a un an à peine, sont présentées comme la nouvelle prouesse pour se détacher de la "clope" traditionnelle - et de son lot de soucis économico-sanitaires bien connus. A moins d'une dizaine d'euros, avec ou sans nicotine et en vente chez le buraliste ou dans d'autres enseignes, la clientèle n'est pourtant pas forcément circonscrite aux quarantenaires dont le portefeuille a trop souffert.
 
"C'est un phénomène très inquiétant, surtout car on a des jeunes de douze ou treize ans qui en ont déjà en leur possession, en Corse comme ailleurs, avertit le docteur Franck Le Duff, directeur du Centre Régional de Coordination des Dépistages des Cancers (CRCDC) de Corse. La véritable volonté est de rendre les gens dépendants du tabac et de le faire le plus tôt possible dans un packaging qui attire, particulièrement les jeunes. Il y a un apport en substance nocif pour le poumon, mais c'est surtout la première étape pour amorcer une tabagie active au cours de la vie de l'individu. Commencer très tôt augmente la probabilité que ça amène les jeunes à fumer en grande quantité au-delà de l'adolescence." 
 
Jeunesse, prix et avantages
 
Multicolores et brillantes, les Puff - qui présentent un gain financier non négligeable pour le consommateur - ciblent parfaitement des collégiens dont l'achat de cigarettes peut être plus difficile. Entre 13 et 16 ans, ils sont 13% en France à affirmer en avoir déjà testé et consommé régulièrement, quand 9% ont même pu s'en acheter, sans contrôle et sans limite. "C'est hyper intéressant pour les gens avec la baisse de volume de tabac par rapport au prix : pour 7,90 €  ou 8,90 €,  vous pouvez avoir une puff qui octroie 600 bouffées, voire plus pour certaines, détaille José Oliva. C'est l'équivalent de deux à trois paquets de cigarettes donc l'avantage financier est considérable. Pour nous aussi, il faut être clair : c'est un produit à marge. On ne fait qu'une commission de 10% sur le tabac, tandis qu'on fait presque le double sur une puff."
 
Si à l'échelle du chiffre d'affaire global, la différence reste colossale, le président de la fédération des 215 buralistes de Corse s'avoue surpris de voir que "cet effet de mode ne s'est pas stoppé après la saison" sur l'île. Conscient du problème que le fléau implique, il se veut ferme face à la situation. "J'ai averti mon réseau et je ne veux pas qu'on montre le mauvais chemin, prévient-il. On demande l'âge et la pièce d'identité systématiquement. Même si évidemment, il y a toujours des buralistes qui ne jouent pas le jeu et qui vendent aux mineurs pour faire du chiffre, je veux que nous soyons pointilleux sur l'éthique." 
 
"De la nicotine même dans celles qui sont marquées sans"
 
Mais ceux qui ne jouent pas le jeu - sûrement plus nombreux qu'on pourrait le penser au regard de l'ampleur du fait - suffisent à propager largement les cigarettes électroniques. "C'est vendu de partout, les interdictions ne sont pas respectées et ça touche surtout les collégiens car la publicité est majoritairement faite sur les réseaux sociaux, s'indigne le tabacologue et addictologue Christian Sain, intervenant au sein de la Ligue contre le cancer de la Haute-Corse. La puff a un design sympathique, ressemble à un bonbon donc c'est vraiment un piège. A l'intérieur, il y a de la nicotine même dans celles qui sont marquées sans ! Ça manipule les jeunes et les enfants qui pensent que ce n'est pas dangereux, alors qu'ils risquent de rentrer dans le tabagisme car la nicotine est addictive et va dans le cerveau."
 
Vendue "de partout", car pas restreinte aux bureaux de tabac mais aussi en accès "beaucoup plus aisé dans des solderies", la Puff est tellement récente que sa régulation ne satisfait pas encore toutes les parties. "Ce qu'on combat, c'est que les buralistes sont pointés du doigt alors que les jeunes s'en procurent beaucoup dans d'autres enseignes marchandes où le contrôle n'est pas demandé, clame José Oliva. Comme c'est un produit nicotiné, il serait normal qu'il soit vendu uniquement dans le réseau des buralistes car on est sous contrôle. La législation doit changer pour que ce soit un produit référencé chez le buraliste, avec une traçabilité comme pour la cigarette."
 
Côté professionnels de santé, l'interdiction aux mineurs est la bonne solution, mais on souhaiterait déjà commencer par la faire appliquer à tous les établissements vendant des Puff.