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Jean-Jacques Panunzi : « Il faut lutter contre l’indécente faiblesse des retraites agricoles »


Nicole Mari le Dimanche 20 Mai 2018 à 22:11

« C’est une situation injuste que la Corse ne connait que trop bien ! ». C’est en ces termes que le sénateur de Corse du Sud, Jean-Jacques Panunzi est monté au créneau lors de l’examen, la semaine dernière au Sénat, de la proposition de loi sur la revalorisation des pensions de retraite agricole. Une urgence pour garantir un niveau de vie décent au million et demi de retraités agricoles qui vivent parfois sous le seuil de pauvreté. Le Sénat, favorable à cette mesure, l’a, néanmoins rejetée. Le sénateur Panunzi explique pourquoi à Corse Net Infos.



Jean-Jacques Panunzi, sénateur de Corse du Sud.
Jean-Jacques Panunzi, sénateur de Corse du Sud.
- Pourquoi une nouvelle loi sur les pensions de retraite agricole ? Quels sont les enjeux ?
- Déposée à l’Assemblée nationale à l’initiative du groupe communiste sous la précédente mandature, cette proposition de loi visent à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricole en France Continentale et dans les Outre-Mer, pour reprendre son intitulé exact. Elle avait été adoptée à l’unanimité le 2 février 2017 avant d’être transmise au Sénat. Ce texte constitue une avancée notable qui a emporté l’adhésion du Sénat dans sa quasi-totalité dès les travaux de Commission, la majorité sénatoriale approuvant la démarche au-delà des clivages partisans dans l’intérêt de toute une catégorie socio-professionnelle. Son contenu vise tout simplement à revaloriser les pensions des agriculteurs retraités dont le montant est aujourd’hui inférieur au seuil de pauvreté et au montant du minimum vieillesse.
 
- Quel est le contenu de la proposition de loi ?
- Le texte s’articule autour de deux titres. Le premier vise à garantir un niveau minimum de pensions digne et décent pour tous les retraités agricoles en portant le niveau minimal à 85% du SMIC, et en créant de nouvelles recettes pour le financement du régime des non salariés agricoles. Le second titre est propre aux territoires ultra-marins et concerne la couverture des salariés agricoles par les régimes d’assurance vieillesse complémentaire.
 
- Les agriculteurs retraités ont souvent des retraites et des niveaux de vie très faibles. Est-ce une avancée ? 
- Bien sûr ! Par ce texte, le Parlement s’est saisi à bras-le-corps d’une réalité que nul ne peut plus feindre d’ignorer : l’indécente faiblesse de nos retraites agricoles ! Derrière cette réalité, il y a des femmes et des hommes qui ont travaillé dur toute leur vie, trop souvent dans l’angoisse du lendemain, pour assurer la si noble mission de nourrir leurs concitoyens. Depuis sa création par la loi du 10 juillet 1952, le régime d’assurance vieillesse des exploitants agricoles est confronté à des difficultés structurelles. Certes, des réformes ont permis d’étendre progressivement ce régime au travers de la reconnaissance du statut de conjoint collaborateur en 1999, de la création d’un régime de retraite complémentaire obligatoire en 2002 et de son extension à l’ensemble des non-salariés agricoles en 2011. Ces avancées n’ont toutefois pas permis de garantir un niveau de vie décent au million et demi d’exploitants à la retraite.
 
- Quelle est leur situation ?
- Le constat de la réalité reste affligeant et peut se résumer en trois chiffres. La retraite moyenne d’un non-salarié agricole, tous bénéficiaires confondus, s’élève aujourd’hui à 766 euros par mois, soit un niveau inférieur à la fois au seuil de pauvreté et à l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA). Deuxième chiffre, un non-salarié agricole sur trois perçoit une retraite inférieure à 350 euros par mois ! Enfin dans les départements d’Outre-mer, un non-salarié agricole sur deux perçoit une retraite inférieure à 330 euros par mois. Des chiffres qui parlent d’eux-mêmes…
 
- Quelle est l’importance de ce texte pour la Corse ?
- Ce texte revêt une importance particulière en Corse, terre rurale et agricole par excellence, qui compte plus de 2 800 exploitations agricoles. Bien que disposant de la plus petite surface agricole de France métropolitaine, on y retrouve de nombreuses filières de production, animales comme végétales. Avec une population active agricole estimée à 3 711 (2 801 chefs d’exploitation et 910 conjoints ou familiaux collaborateurs), l’île est pleinement concernée par la problématique évoquée dans le texte, que ce soit à titre principal pour les exploitants, mais aussi pour les conjoints collaborateurs.
 
- Quelle est la teneur de l'amendement que vous avez proposé ?
- L’objet de mon amendement, de nature purement rédactionnelle, était de modifier un seul mot, mais les mots ont un sens, surtout au moment où les discussions autour de l’inscription de la Corse dans la Constitution révèlent le sens de certaines notions institutionnelles et les subtilités qu’elles induisent. Notre République comprend la métropole et les territoires ultramarins, lesquels sont répartis entre départements et collectivités d’Outre-mer, sans compter la Nouvelle-Calédonie. Pourtant, une erreur s’est glissée dans le titre, par mégarde certainement, puisque si ce texte ne devait concerner que la France continentale et les Outre-mer, la Corse en serait exclue puisque la métropole est composée de la France continentale et de la Corse. Il convenait, pour être précis et juste, de corriger l’erreur de formulation et de modifier le titre en remplaçant le mot « continentale » par le mot « métropolitaine ».
 
- Le gouvernement a demandé un vote bloqué sur ce texte. Qu’est-ce que cela induit ? Comment votre amendement a-t-il été reçu dans ce contexte particulier ?
- La ministre a eu recours à la manœuvre du vote bloqué, imposant au Sénat de voter le texte modifié des seuls amendements du gouvernement qui ont dénaturé la version initiale, notamment en repoussant l’entrée en vigueur des dispositions de revalorisation. Ainsi, les amendements émanant des sénateurs n’ont pu être instruits dans un contexte favorable et celui que je portais n’a donc pas été retenu par le Gouvernement. Le vote bloqué, procédure inscrite à l’article 44, alinéa 3 de la Constitution, permet au gouvernement de demander à l’une ou l’autre assemblée de se prononcer par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion, en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par lui. Si bien qu’in fine, le Gouvernement impose la version du texte mis aux voix. C’est précisément ce qu’il a fait sur cette proposition de loi.
 
- Pourquoi le Sénat a-t-il voté contre le texte ? Cela l’empêchera-t-il d’être appliqué ?
- Contraint de se positionner sur la mouture du gouvernement, le Sénat a rejeté le texte par 252 voix contre, seuls les 22 sénateurs de la République en Marche ayant voté pour. Il ne sera donc pas appliqué. Comme la plupart de mes collègues sénateurs, je ne peux que regretter l’attitude du gouvernement de recourir à la procédure du vote bloqué pour empêcher l’adoption d’un texte qui fait pourtant l’unanimité, d’un texte qui rétablit la justice que la République doit aux mondes agricole et paysan, aux anciens qui ont sans relâche travaillé la terre sans pouvoir disposer, à l’inverse des autres professions, du répit de la retraite dans des conditions, non pas similaires, mais au moins dignes. Le Gouvernement ne s’est pas grandi et a montré sa méconnaissance et son mépris envers les territoires ruraux parmi lesquels la Corse qui, hélas, ne connaît que trop bien la problématique des faibles retraites agricoles.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.