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Processus d’autonomie : à l’Assemblée de Corse, la crainte d’un recul sur l'accord politique


le Vendredi 23 Mai 2025 à 07:50

Suite à la réunion qui s'est tenue à Paris le 29 avril dernier entre le ministre François Rebsamen et les élus insulaires, une partie de l’après-midi de la session de l’Assemblée de Corse ce jeudi a été consacrée à des échanges autour du processus d’autonomie et des enseignements de ce comité stratégique. Alors que ces derniers jours, le rapport provisoire de la mission d'information sur l'avenir institutionnel de l'île de l'Assemblée nationale a fuité dans la presse, les élus nationalistes en ont profité pour exprimer leurs craintes de voir le projet d'écritures constitutionnelles adopté en mars 2024 rétoqué par les parlementaires.



(Photos : Paule Santoni)
(Photos : Paule Santoni)
La tant espérée révision constitutionnelle devant porter un statut d’autonomie pour la Corse sera-t-elle à la hauteur des enjeux ? Alors que l’on se rapproche de l’épilogue de ce processus entamé il y a près de trois ans et que des missions d’information du Sénat et de l’Assemblée nationale planchent actuellement sur l’avenir institutionnel de l’île, le comité stratégique était réuni à Paris le 29 avril dernier. Cette rencontre entre François Rebsamen, le ministre de la décentralisation, qui a hérité du dossier corse depuis quelques mois, et les élus insulaires, a permis de reprendre le contact après une période de stagnation du processus, due notamment à la dissolution de l’Assemblée nationale, en juin 2024, et à la crise politique qui s’en est suivie au niveau national. Comme cela avait été promis aux prémices des rendez-vous parisiens, un compte-rendu des enseignements de ce comité stratégique a été fait devant l’Assemblée de Corse, à l’occasion de la session de ce jeudi.
 
À cette occasion, Marie-Antoinette Maupertuis a indiqué que dans la droite ligne de ce qu’il avait dessiné à Ajaccio en février dernier, depuis l’Hôtel de Roquelaure François Rebsamen a à nouveau marqué sa détermination à faire aboutir le processus d’ici la fin de l’année. « Il nous a dit que la proposition d’écritures que nous avons voté pour l’évolution de la Constitution est celle qui a été transmise à l’Assemblée nationale et s’est engagé à la faire passer au Conseil d’État. Maintenant nous attendons la réponse du Conseil d’État qui a été renvoyée au mois de juillet », précise la présidente de l’Assemblée de Corse. 
 
« Nous ne sommes pas dans la recherche d’un compromis du compromis »
 
Si cette procédure pourrait susciter quelques inquiétudes au vu des jurisprudences restrictives aussi bien du côté du Conseil d’État que du Conseil Constitutionnel, Gilles Simeoni souligne que dans un récent arrêt la plus haute juridiction administrative a affirmé que le « pouvoir constituant est souverain », s’interdisant par-là de censurer tout projet de révision constitutionnelle. « Cela veut dire que si le constituant décide de reprendre la notion de peuple corse, le Conseil d’État n’aurait rien à y redire, pas plus que le Conseil Constitutionnel », déroule le président de l’Exécutif. Mais si le Conseil d’État ne pourrait donc émettre qu’un avis sur des dispositions du texte qui « contreviendraient à l’esprit des institutions, porteraient atteinte à leur équilibre, ou méconnaitraient une tradition républicaine constante », l’Assemblée nationale et le Sénat auront pour leur part la latitude de modifier ce projet d’écritures constitutionnelles. Un écueil face auquel le président de l’Exécutif réaffirme que « tout ce qui est dans le projet d’écritures constitutionnelles a pour nous vocation à être validé ». « C’est cela l’accord politique. Nous ne sommes pas dans la recherche d’un compromis du compromis », martèle-t-il.
 

Or, c’est bien la perspective de descendre encore un cran en dessous du texte adoubé par l’Assemblée de Corse en mars 2024 que craint aujourd’hui l’hémicycle. « Ce texte est le fruit d’une réflexion approfondie qui a été voté par une large majorité et qui ne doit pas être modifié. Le problème, c’est que l’on vient d’avoir connaissance d’un rapport provisoire de la mission d’information de l’Assemblée nationale, où il semblerait qu’il soit très largement dénaturé », déplore ainsi Paul Quastana de Core in Fronte, « On ne parle plus de pouvoir législatif, on parle de pouvoir normatif adapté sous contrôle du Parlement qui peut le réviser, l’amender, le supprimer au bout d’un moment si cela ne marche pas. Ce n’est pas cela qu’on demande. Cela on ne peut pas l’accepter ! Maintenant la question est de savoir comment fait-on pour faire respecter exclusivement notre texte ? ». Derrière lui, le président du groupe indépendantiste enfonce le clou. « Il y a un accord politique. Un texte, dans lequel chaque mot, chaque virgule, chaque saut de paragraphe est pesé. Il est fait avec la précision d’un trébuchet. Ne pas le respecter, c’est nous sortir de l’accord, et dans ce cas il n’y aura rien du tout ! », tonne Paul-Félix Benedetti en insistant : « Ne pensez pas qu’il puisse y avoir une logique doctrinale qui s’imposerait par le haut par Paris en transgressant l’accord politique qu’il y a eu en Corse. L’accord politique doit être respecté quel qu’en soit le coût, à savoir potentiellement un échec, mais le texte qui doit être présenté est celui pour lequel nous avons donné un accord. On ne se fera cornaquer par personne, il n’y aura pas d’accord si le texte n’est pas respecté ».
 
En écho, sur les bancs de la droite, Jean-Martin Mondoloni répond : « Mais ce n’est plus à nous de valider le texte, ce n’est plus nous qui jouons la partie ! ». Au sortir du comité stratégique du 29 avril, le président d’Un Soffiu Novu dit pour sa part avoir trouvé « un ministre très engagé ». « Il n’y a à mon avis aucun doute sur l’engagement de François Rebsamen, et comme il parle en lieu et place du Président de la République, je pense qu’il n’y a aucun doute sur le fait que ce dernier souhaite que le processus aille jusqu’au bout, dans le respect des engagements qu’il avait pris ici même », estime-t-il en rappelant à nouveau : « Mais ce n’est pas lui qui va finir la partie. On ne va pas faire comme si on ne savait pas que la partie allait finir au Parlement ! Et on sait que plus on se rapproche des échéances présidentielles, plus les positions sont radicalisées, en tous cas plus enclines à regarder le fait identitaire ». Pour le leader de la droite, cette « désescalade » n’est d’ailleurs pas surprenante. « Dès le départ de ce processus, nous n’étions pas dans la même grille méthodologique. Vous avez parié sur le principe qu’il fallait demander ce qui était souhaitable pour vous. Nous, nous avions marqué notre souhait d’explorer le champ des possibles », pose-t-il en appuyant : « Tout cela était prévisible ».
 

« Si on descend encore d’un cran, il n’y aura plus rien à discuter »
 
Alors qu’il note que « l’instant de vérité » approche, Jean-Christophe Angelini se veut pour sa part fataliste. « On est tenu de laisser rouler les dés », lance-t-il, « On va voir quelle va être la vision proposée, mais nous voulons redire ici qu’il ne faudrait pas introduire de distingo entre ce qui pourrait relever d’une logique d’affichage, au détriment de ce qui pour nous fait le sel et la raison d’être de la démarche : donner à cette assemblée la capacité de ce qui est bon ou non pour son peuple ». Il avertit en outre : « Tout ce travail ne peut déboucher sur une impasse qui déboucherait sur d’autres déconvenues et peut être même d’autres drames ».
 
Seule élue territoriale à ne pas avoir adopté le projet d’écritures constitutionnelles, Josepha Giacometti-Piredda, représentant Nazione dans l’hémicycle, évoque de son côté un processus dès le départ entaché par le « péché originel ». « Ce n’est pas un processus qui est parti de rien, mais qui est né des suites de l’assassinat d’Yvan Colonna. C’est un processus qui aurait dû être une solution politique et qui s’est transformé en discussions, avec d’un côté un mot lancé par le ministre Darmanin pour calmer les mobilisations, et de l’autre une volonté de neutraliser très vite tous les rapports de force politiques et démocratiques qui auraient pu être mis en œuvre », fustige-t-elle en dénonçant également le « cadre des écritures constitutionnelles ». « Aujourd’hui par ce rapport de l’Assemblée nationale dont nous avons pu avoir quelques éléments, on voit que s’infiltre tout doucement une autonomie qui serait déléguée et encadrée, et donc quelque chose qui n’est pas une autonomie. Même si ce n’est pas une version définitive, cela laisse un écho étrange à toutes les failles et défaillances du texte originel, des possibles tels qu’ils sont ouverts dans ces écritures constitutionnelles », siffle-t-elle, « Si on descend encore d’un cran, il n’y aura plus rien à discuter. Il ne restera peut-être que des éléments de communication sur la terre ou la communauté, pour que chacun puisse s’y accrocher pour assurer le service après-vente ». 
 
« Le match n’est pas fini », rétorquera la présidente de l’Assemblée de Corse en concluant : « Rien n’est gagné mais rien n’est perdu non plus ».