Corse Net Infos - Pure player corse

"Des services secrets français au FLNC", les confessions de Jo Peraldi pour "remettre l’église au centre du village"


le Dimanche 18 Mai 2025 à 16:41

Ancien photo-reporter au journal Le Provençal et pilier du FLNC de la première heure, Jo Peraldi sortait à l’automne dernier "Confessions d’un patriote corse, des services secrets français au FLNC", co-écrit avec le journaliste Frédéric Ploquin et publié aux éditions Fayard. Ce témoignage inédit qui retrace le parcours et explique le combat de celui qui a été l’un des chefs militaires de l’organisation clandestine, connait aujourd’hui un grand succès, y compris en dehors des frontières de l’île. S’il dit ne pas chercher la lumière avec cet ouvrage, Jo Peraldi dévoile que celui-ci a été une sorte d’exutoire. Ainsi, il confie tout assumer et ne rien regretter de ses actions et de son engagement, mais porte dans le même temps un regard critique sur la situation politique actuelle de l’île. C’est d’ailleurs, dit-il, l’une des raisons qui l’a poussé à écrire ce livre, dans l’objectif de « remettre les pendules à l’heure ». Entretien avec un militant nationaliste déçu par la Corse d'aujourd'hui.



Photo : Paule Santoni
Photo : Paule Santoni
- Loin de la Corse, vous êtes né à Tizi Ouzou, en grande Kabylie, et avez grandi Algérie. Quel est votre premier souvenir de l’île ?
- Mes parents ne venaient pas souvent en Corse car cela était très cher et compliqué à l’époque. Mes premières vacances sur l’île ont lieu en 1948. J’ai 7 ans à ce moment-là, et je débarque à Maison Pieraggi chez ma grand-mère maternelle. C’est pour moi le paradis ! Je découvre la pêche à truite dans les rivières, le raisin dans les vignes, les amandes et tous les bonheurs d’une vie insouciante. C’est là où je découvre la Corse et sa beauté et je vis alors des moments très forts.
 
- Plus tard, qu’est ce qui va déterminer votre engagement ?
- Toute ma vie, j’ai formé mon engagement sur la base de ce qui m’a bousculé. En Algérie, à partir de l’âge de 13 ans, j’ai été bousculé par des évènements très graves qui ont changé le cours de ma vie. Compte tenu du soulèvement algérien pour l’indépendance, à partir de novembre 1954 j’allais à l’école avec une arme pour ma protection. À ce moment-là, le FLN algérien égorgeait tout ce qui n’était pas musulman. Il fallait vivre armé, ne fusse que pour aller à la plage. Cela n’a pas été facile. Au moment où je rentre en Corse, à la fin de mon service militaire durant lequel j’avais servi dans les services spéciaux français, je suis embauché par le journal Le Provençal. Très vite, quand je commence à faire des reportages dans les villages, je me rends compte de la misère qui touche la Corse. La paupérisation est généralisée sur l’île. Cela me choque. Pas de route, pas de téléphone, pas d’électricité, pas de tout à l’égout, pas d’eau au robinet… Par rapport à ce que j’avais connu en Algérie, ici c’était la république bananière, la misère la plus totale. Si la vie n’était pas facile pour les Algériens, en Corse c’était pire. Et puis, au fil du temps, je me suis rendu compte que tout cela était dû à un système politique qui perdurait depuis l’arrivée des troupes royales en Corse en 1768 qui avaient anobli certaines familles qui avaient mis la Corse en coupe réglée. Il y avait un système où on se faisait élire de père en fils, comme s’il y avait une descendance dynastique qui leur donnait le droit d’avoir ce poste d’élu. Dans le même temps, ces gens pratiquaient l’assistanat, le clientélisme et la fraude électorale. Nous étions dans un système où tout service rendu se traduisait par une aliénation totale des familles qui devaient voter à vie pour la personne qui avait donné un emploi l’un de leurs membres. Tout cela était inacceptable pour moi.
 
- C’est ce rejet de l’injustice et sentiment de révolte face à ce système qui vont vous donner envie d’agir pour faire bouger les choses ?
- Oui. Avec des amis corses qui revenaient des colonies françaises nous nous sommes dits que nous ne pouvions pas accepter que la Corse vive dans une république bananière à cause de ces gens-là, protégés au plus haut niveau de l’État. Nous avons découvert ce que les gens en Corse ne voyaient plus. Je pense que la société était tellement formatée de génération en génération, qu’on ne se rendait pas compte qu’on vivait dans un système hors d’un État de droit. S’il y avait déjà eu quelques mouvements clandestins comme U Fronte di Balagna ou le FPCL, en 1973 nous avons commencé à nous manifester avec la création de Ghjustizia Paolina. Ce premier mouvement très fort va être à l’origine de la création du FLNC le 5 mai 1976.
 
- Que représente alors la création du FLNC ?
- Le FLNC devient un mouvement politico-militaire qui s’inscrit à la fois dans l’action politique et utilise l’action militaire comme levier pour faire ouvrir des portes : quand Paris n’entendait pas nos revendications, nous faisions des plasticages durant lesquels nous avons toujours veillé, de la façon la plus scrupuleuse possible, à ne faire ni victime, ni blessé. En 1983, l'État qui n’entend toujours pas nos revendications, souhaite régler le problème du FLNC sans y parvenir. Alors il recrute des polices parallèles, des barbouzes, dans les milieux de gros voyous. Ces crapules avaient sur une liste de 14 militants corses supposés appartenir à la direction du FLNC à éliminer. Ils ont commencé par Guy Orsoni, qu’ils ont poursuivi en voiture et ont arrêté du côté de Roccapina où il a été torturé au chalumeau. Comme il n’a pas parlé, ils ont fini par lui mettre une balle dans la tête au bout de 48 heures. Nous avons très vite trouvé d’où cela venait et nous avons éradiqué toutes les personnes qui ont participé à l’enlèvement de Guy Orsoni. Les deux derniers ont été tués dans les cellules de la prison d’Ajaccio le 17 juin 1984. 

 "Des services secrets français au FLNC",  les confessions de Jo Peraldi pour "remettre l’église au centre du village"
- Avec le recul, pensez-vous que toutes les actions du FLNC étaient nécessaires ?  
Oui. Toutes les actions qui ont été menées par le FLNC étaient nécessaires et répondaient à une urgence quand nous n’avions pas de réponse sur le plan politique. Chaque action a toujours été menée dans le plus grand cadre politique. Nous n’avons jamais fait une action qui n’ait pas eu pour objectif de nous faire entendre nos revendications par Paris, ou de provoquer l’ouverture d’une porte. Par exemple, en 1999, l’action contre l’Urssaf et la DDE à Ajaccio, faisait suite à une visite de Lionel Jospin. Le 6 septembre, après deux jours de voyage officiel, celui qui était alors Premier ministre avait déclaré devant l’Assemblée de Corse que tant que le peuple corse et les élus ne condamneraient pas la violence, et tant que le FLNC n’aurait pas annoncé son auto-dissolution, il fermerait les portes à toutes les revendications d’évolution institutionnelle du statut corse. En tant qu’ancien des services spéciaux, j’ai vite analysé qu’il fallait faire une réponse adaptée à cet ultimatum inacceptable. Pour la première fois en Corse, j’ai alors décidé de faire deux attentats « à l’irlandaise ». Mais, en tant qu’expert en explosifs, j’avais tout calculé pour ne pas faire de blessés. Ces attentats auront eu lieu en plein jour le 25 novembre. À 11h30, en appelant France 3 et RCFM, nous avions annoncé l’imminence d’attentats et avions ainsi fait évacuer les gens. Pour être sûr que la sécurité était assurée à 100%, nous avions des scanners à balayage électronique. Dès que nous avons entendu la police et les pompiers dire que tout le monde était en sécurité, les engins à télécommande ont fonctionné. À une minute près, à l’Urssaf et à la DDE, tout a sauté. Et cinq jours après, Lionel Jospin, lors des questions au Gouvernement à l’Assemblée nationale prend la parole et annonce qu’il ouvre le débat, que l’on a appelé le Processus de Matignon, sur l’évolution institutionnelle de la Corse. Si, dès le départ, il avait continué à discuter, cela aurait évité ces attentats faits par nécessité pour lui répondre. Ces attentats et la trahison de quatre des miens m’ont valu d’écoper de 15 ans de prison. Néanmoins je suis satisfait parce que le processus a été engagé. De plus, en 2000, je négociais aussi parallèlement la disparition de la clandestinité avec François Rebsamen au Grand Orient de France, si le processus de Matignon allait au bout. Aujourd’hui, François Rebsamen, qui est chargé du dossier corse, connait donc bien la question. Et je crois donc que nous allons avoir cette autonomie que l’on attend depuis longtemps. 
 
- Y-a-t-il des choix, des actions ou des moments de votre engagement militant que vous regrettez aujourd’hui ?
- Non. Tout ce que j’ai pu faire je l’ai toujours fait après réflexion, avec raison, sur la base d’une réponse à apporter à une agression que nous avions subie ou une nécessité politique. Je n’ai jamais opéré sur un coup de tête, ou par colère. Il n’y a jamais eu quelque chose de gratuit. Et je ne regrette rien. 
 
- Quand vous regardez la situation politique actuelle de la Corse, y voyez-vous l’héritage de votre engagement ?
- Non, je ne me retrouve plus. Quand je suis sorti de prison en 2010, le terrain politico-militaire sur lequel je m’étais battu n’existait plus, il restait seulement quelques petits embryons, des nostalgiques qui continuaient à faire quelques plasticages, mais c’était sans importance. Je me suis alors dit que j’allais me rapprocher de Gilles Simeoni, pour essayer de faire élire les nationalistes à l’Assemblée de Corse. Mais à chaque fois que j’assistais à une réunion de Femu a Corsica, j’avais l’impression d’être un étranger. Je ne me reconnaissais plus dans ce qui était porté, j’avais l’impression d’être dans n’importe quel parti traditionnel. Alors je me suis retiré. Néanmoins, en 2015, nous avons tout fait, nous les anciens, pour parvenir à avoir une liste d’union de tous les partis nationalistes pour les élections territoriales. Nous avons réussi et les nationalistes ont gagné ces élections. Lors de l’installation de l’Assemblée, début 2016, ils ont de plus fait le fameux Ghjuramentu sur la Constitution de Pascal Paoli et ont promis de travailler pour la Corse, le bien des Corses. L’espoir était énorme. Mais quelques mois après, ils ont commencé à s’accrocher pour des raisons d’égo. Dès lors, a commencé un chjami è rispondi par voie de presse, ce qui était scandaleux. Cela a créé une telle dissension que l’Assemblée n’a pas travaillé, surtout qu’est venue s’ajouter à cela la suppression des deux conseils généraux et l’avènement de la collectivité unique qui a induit une grosse réorganisation, rendant difficile le traitement de gros dossiers. Ces dissensions sont devenues tellement graves que lors des élections de 2021, chaque mouvement est parti sous sa propre bannière. Gilles Simeoni et son parti ont été élus largement, quand le mouvement dont était issu l’ancien président de l’Assemblée de Corse a été éliminé. D’autres partis qui espéraient faire 20% se sont retrouvés avec 8 élus. Et tout cela n’a fait qu’aggraver les choses. Mais, si on additionne les voix de ces quatre mouvements, les nationalistes ont obtenu 73 % des suffrages exprimés autour d’une revendication essentielle : l’autonomie de plein exercice. Après ces élections, Emmanuel Macron a invité Gilles Simeoni à l’Élysée et promis cette autonomie de plein exercice. D’ailleurs, quelques temps après, Gérald Darmanin est venu en Corse pour travailler avec l’ensemble des élus et tout cela semblait sur la bonne voie. Mais est survenue la mort d’Yvan Colonna de manière inacceptable après une agression dans la prison d’Arles. Les nationalistes se sont alors divisés encore un peu plus et certains ont même essayé de récupérer sa mort politiquement, en disant que ceux qui sont en place n’avaient pas fait ce qu’il fallait pour faire sortir Yvan Colonna de prison. Cette récupération politique m’a écœuré. Je me suis dit que tout cela était lamentable et que je devais écrire le livre que je ne voulais pas faire pour remettre l’église au centre du village et l’habiller autour de toute la vérité. J’ai appelé mon ami le journaliste Frédéric Ploquin avec qui nous avions déjà parlé de faire un tel livre, et nous l’avons fait. Même si cela n’a pas plu.
 
- La Corse d’aujourd’hui ne ressemble donc pas à celle que vous espériez ?
- Non l’espoir a disparu. Après 10 ans de pouvoir, il y a de quoi être déçu.
 
Vous avez connu une époque où l’idée d’indépendance était portée par un mouvement armé. Si désormais le combat se mène sur d’autres terrains, pensez-vous que la lutte passe encore par la confrontation ?
- Déjà il faut dire que le mouvement clandestin n’a jamais été indépendantiste. Ceux qui le disent se trompent. Nous avons toujours été pour l’autonomie, pour maitriser notre destin sur cette terre à travers une autonomie de plein exercice. Ce mouvement, n’est plus représenté aujourd’hui. À l’Assemblée il n’y a plus de nationaliste. Il y a des autonomistes qui ont fait l’impasse sur ce que nous avons été. Et nous avons, nous les anciens, l’impression que l’on veut effacer au moins une bonne quarantaine d’années sur les 50 années de lutte. Pour eux, l’histoire du nationalisme ne part que du moment où ils sont élus en 2015. Le reste n’existe plus. On dirait qu’ils ont honte de nous. Alors que c’est nous qui avons ouvert cette tamanta strada - comme aime l’appeller Gilles Simeoni-, avec Edmond et Max Simeoni et beaucoup d’autres. Et nous avons cheminé longtemps sur celle-ci, nuit et jour pour leur donner ce qu’ils ont aujourd’hui. Et aujourd’hui on veut nous gommer ? Je ne suis pas d’accord.  C’est pour cela que je dis aujourd'hui que nous ne sommes pas satisfaits de la politique qui est menée par l’Assemblée. Aucun dossier sérieux n’a été traité. À eux de voir ce qu’il convient de faire. Mais aujourd’hui, ils ont la possibilité de réaliser ce que nous attendons depuis plus de 50 ans : l’autonomie de plein exercice qui donne un pouvoir fou. 
 
- Votre livre connait un énorme succès, y compris en dehors de la Corse. De quoi mieux faire comprendre le combat que vous avez mené avec le FLNC ?
- Je ne m’attendais pas à ce que mon livre rencontre autant de succès, y compris sur le continent. Je reçois même des lettres d’Irlande, de la Belgique et des États-Unis. À l’époque, nous, nationalistes, nous avons fait l’erreur de ne pas faire de communication. Mon livre permet d’éclairer la situation et de faire preuve de pédagogie pour que les gens comprennent notre combat. D’ailleurs dans les milliers de commentaires qu’on peut lire sur les réseaux sociaux, tout le monde salue mon action et le FLNC n’est plus condamné. J’ai atteint le but que je voulais : remettre les pendules à l’heure en Corse vis-à-vis de certaines personnes aux égos surdimensionnés, et permettre une compréhension de notre combat au-delà des frontières de l’île. Je suis heureux d’avoir permis de mettre ces choses au point, mais je ne cherche pas à attirer la lumière sur ma vie à 84 ans. 

----
"Confessions d’un patriote corse, des services secrets français au FLNC"
 Éditions Fayard, 328 pages, 21,90€