Corse Net Infos - Pure player corse
Corse Net Infos Corse Net Infos

CorseNetInfos


Le rapport de l’Assemblée nationale valide le principe d’une « autonomie encadrée » de la Corse


Nicole Mari le Mardi 20 Mai 2025 à 22:53

Le rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur l’avenir institutionnel de la Corse, qui n’est pas totalement finalisé, devrait être présenté au plus tard le 28 mai prochain. A l’inverse du rapport du Sénat, controversé et avorté, le texte valide le principe de l’autonomie de la Corse, mais une « autonomie encadrée » avec « un pouvoir normatif délégué » et sous double contrôle juridictionnel. Il ratifie l’existence d’une communauté corse, ne rejette pas l’idée d’un statut de résidence pour lutter contre la spéculation immobilière, préconise de renforcer les compétences des intercommunalités et de modifier le mode de scrutin territorial.



L'hémicycle de l'Assemblée de Corse. Photo CNI.
L'hémicycle de l'Assemblée de Corse. Photo CNI.
C’est un rapport très attendu, mais qui, pour l’heure, n’a rien de définitif. La mission d’information de l’Assemblée nationale sur l’avenir institutionnel de la Corse, conduite par Florent Boudié, un élu Renaissance, proche de Gérald Darmanin, et composé de 15 autres députés, dont les quatre députés insulaires, a livré ses premières conclusions dans un document de 116 pages, qui circule au Palais Bourbon et continue d’être ajusté avant sa version finale qui pourrait être divulguée le 28 mai prochain. Difficile dans ses conditions d’interpréter ce qui est susceptible d’être modifié, notamment le point épineux du pouvoir normatif. Une certitude à ce stade : le long travail de cinq mois, effectué par les parlementaires, débouche sur un rapport bien différent de celui que le Sénat n’a pas validé. Il essaye de faire le tour de la question de manière bien plus objective que ne l’a fait la Chambre Haute. Et le constat est sans appel : « Le cumul de caractéristiques, lié en particulier à sa condition insulaire et à sa géographie intérieure, qui la singularise au sein de l’espace français, pose la question d’une différenciation institutionnelle accrue, propre à la Corse et à elle seule, et donc non duplicable aux départementaux continentaux ». Le rapport affirme ainsi que la Corse a besoin d’une nouvelle évolution institutionnelle. Il approuve le principe d’autonomie : « La mise en place d’un statut d’autonomie, dont les contours sont esquissés par le projet d’écriture constitutionnelle, pourrait apporter des réponses concrètes en déployant des capacités nouvelles d’adaptation des mesures aux contraintes et réalités locales ». Et formule un certain nombre de recommandations.
 
Un possible statut de résidence
Partant des particularismes corses et des « défis structurels et cumulatifs » auxquels l’île est confrontée, le rapport reconnait, d’abord, que la langue corse est « un vecteur d’identité culturelle », et que « le pouvoir normatif délégué confié à la collectivité de Corse dans le cadre de l’évolution institutionnelle de l’île pourrait permettre d’instaurer un statut particulier pour la langue corse, et de répondre ainsi aux inquiétudes des acteurs de l’enseignement immersif ». La mission d’information recommande, donc, que « la question d’un statut de la langue corse soit, le cas échéant, débattue et précisée dans la future loi organique qui devra trancher ce point ». Le rapport liste, ensuite, les contraintes géographiques, entre enclavement et discontinuité territoriale, et convient que la spécificité insulaire engendre « une série de désavantages structurels qui affectent directement la vie économique et sociale de l’île », notamment la mobilité, les prix et les équilibres économiques. Les réponses apportées par l’Etat sont, à ce jour, poursuit-il, « insatisfaisantes ». Là aussi, la mission d’information est « convaincue que ces spécificités renforcent la nécessité d’adapter les politiques publiques aux réalités territoriales de l’île » et que « des aménagements du droit applicable pourraient contribuer à desserrer l’étau des contraintes socio-économiques ». De même, concernant l’urbanisme, le rapport relève que les normes ne sont pas adaptées aux réalités insulaires et qu’ « une différenciation locale renforcée des normes nationales semble indispensable et difficile à atteindre à droit constant ». Il affirme même que pour lutter contre la pression démographique, « facteur de déséquilibres fonciers et sociaux » et d’une grave crise du logement alimentée par la pression foncière et l’explosion des résidences secondaires, la proposition « de régulation controversée », à savoir le statut de résidence, peut être « envisageable » et ne contrevient pas aux droits français et européen. « L’instauration d’un « statut de résidence » n’aurait pas pour conséquence de créer une catégorie juridique distincte de citoyens, comme le ferait un « statut de résident », mais d’instaurer des conditions d’accès à la propriété foncière reposant sur des critères objectifs, sans discrimination fondée sur l’origine ou la citoyenneté ».
 
Une faute collective
Un long chapitre est ensuite consacré à la genèse du processus de Beauvau qui a abouti au projet d’écriture constitutionnelle. Le rapport entre dans le vif du sujet en analysant les limites de la décentralisation, des statuts particuliers, de la Collectivité unique et des compétences conférées. Il admet que le droit existant d’expérimentation et de différenciation, conféré à la Corse par son statut, est « un mécanisme complexe et inopérant », « source de frustrations », « qui n’a pas permis d’atteindre l’objectif d’adapter des normes nationales au contexte corse : une « faute collective » selon le préfet de Corse ». Un bilan donc « très en deçà des attentes ». C’est une pierre jetée dans le jardin des anti-autonomistes qui plaident pour une simple amélioration du droit d’adaptation. Assez critique sur la création de la collectivité unique, la mission parlementaire remarque qu’elle a « conforté un sentiment de déprise de l’action publique locale » et un « sentiment de perte de proximité » auprès de nombreux élus. Elle préconise, dans le cadre d’une « autonomie encadrée », de construire un meilleur équilibre territorial pour « éviter les risques que ferait peser une concentration trop forte du pouvoir local entre les mains d’une collectivité unique renforcée ». Dans cette optique, le rapport pose la nécessité de réviser la carte administrative de coopération intercommunale, de renforcer la strate des intercommunalités et de réfléchir à la possibilité « d’autoriser les deux territoires les plus urbanisés, que sont les communautés d’agglomération de Bastia et du Pays Ajaccien, à se voir attribuer une ou plusieurs compétences propres au statut de métropole ». Cette disposition leur serait donnée à titre dérogatoire dans le cadre du processus. Dans le même ordre d’idées, le rapport propose de redéfinir le rôle de la Chambre des territoires et de modifier le mode de scrutin de l’Assemblée de Corse « afin de faire respirer la démocratie ». Il reprend le projet de loi du sénateur de la Corse-du-Sud, Jean-Jacques Panunzi, visant à territorialiser le mode de scrutin par l’instauration de onze « sections territoriales » afin de pallier la disparition des conseils départementaux, ce que l’Exécutif territorial et l’Assemblée de Corse ont largement rejetés par 45 voix contre 16 voix pour en 2023.
 
Une autonomie à la française
Concernant le projet d’écritures constitutionnelles proprement dites, le rapport prône la reconnaissance d’un statut constitutionnel particulier de la Corse. Tout en rappelant que si l’inscription de la Corse dans la Constitution fait consensus, deux visions s’opposent entre la création d’un titre spécifique dédié à la Corse et la création d’un nouvel article 72-5 dans le titre XII existant consacré aux collectivités territoriales, il indique que « la création d’un titre consacré au statut particulier de la Corse pourrait contribuer à une forme de fractionnement des collectivités territoriales ». Il ratifie « la consécration constitutionnelle » de l’existence d’une « communauté historique, linguistique et culturelle en Corse, partie intégrante du peuple français », contenue dans le premier alinéa du projet d’écriture constitutionnelle, et la reconnaissance du « lien singulier » de la Corse « à sa terre », résultant notamment des contraintes géographiques et foncières attachées à sa condition insulaire. A l’inverse du terme « peuple corse » rejeté par la Conseil constitutionnel, il considère que « la notion de communauté est à même de préserver l’unicité du peuple français, tout en reconnaissant les particularismes de certaines de ses composantes ». Reste enfin à définir l’autonomie qui n’est, note le rapport, qu’inscrite qu’à une seule occasion dans le texte de la Constitution, à son article 74 : « un pouvoir normatif délégué », présenté comme « la clef » de « l’autonomie territoriale à la française ». C’est l’attribution à la Corse de ce pouvoir normatif délégué étendu au champ législatif que prône la version présente du rapport, les domaines de compétences dans lesquels il pourrait s’exercer étant renvoyés à la loi organique. « L’autonomie de la Corse aurait ainsi la portée que lui donneraient, à la fois, le constituant et le législateur organique et vaudrait pour elle seule. En ce sens, l’écriture constitutionnelle issue du « processus de Beauvau » est, d’une certaine façon, « auto-réalisatrice » : elle ne s’adosse en aucune manière à une définition générique de l’autonomie qui n’existe au demeurant pas en droit français », déclare la mission parlementaire.
 
Des compétences transférées
Ce pouvoir délégué reste ambigu et d’autant plus difficile à cerner qu’il est toujours l’objet de discussions et donc susceptible d’évoluer d’ici la remise du rapport définitif. Il diffère, en l’état, du pouvoir législatif propre, c’est-à-dire la capacité à faire des lois de manière autonome que demandent les Nationalistes. En même temps, le pouvoir d’adaptation serait renforcé. Une « évolution significative », note le rapport, car il ne serait plus conditionné à une demande préalable auprès du Gouvernement, à charge à la loi organique d’en déterminer les modalités de recours. Au final, ces deux pouvoirs combinés donneraient à la Corse ce que le rapport définit comme une « autonomie encadrée » inscrite dans la Constitution dont le contenu, les compétences, les conditions et les limites seraient déterminées par la loi organique. Quel sera l’écart avec l’autonomie de plein droit et de plein exercice revendiquée les Nationalistes ? Le rapport glisse dans un flou diplomatique, tout en faisant valoir que ce pouvoir normatif accordé constitue une avancée considérable, ne serait-ce que par les compétences transférables. S’il n’est pas fait mention d’une autonomie fiscale, le rapport concède une compétence en matière de fiscalité immobilière et de succession, des compétences renforcées en termes d’aménagement foncier avec la mise en place d’un statut de résidence, la création de lignes régulières de service public aériennes et maritimes entre la Corse et l’Italie, la création d’un centre hospitalier universitaire (CHU), la possibilité de réguler la fréquentation dans les sites remarquables ou encore le fléchage des recettes de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) sur le financement de la gestion des déchets.  
 
Un garde-fou juridique
Le rapport justifie le double contrôle juridictionnel de l’exercice du pouvoir normatif, le contrôle de légalité du Conseil d’État pour les textes de nature réglementaire et le contrôle de constitutionnalité du Conseil constitutionnel pour les normes à valeur législative, ainsi que le principe d’une évaluation obligatoire. « Le principe de contrôle et d’évaluation instaurerait un double garde-fou : celui exercé par les contrôles de constitutionnalité et de légalité du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État d’une part ; et celui introduit par l’évaluation des normes prises par la collectivité de Corse, dans le but de renforcer la sécurité juridique des normes locales, de prévenir les risques d’inefficiences ou d’inefficacité des normatives, et d’accroitre la légitimité, la transparence et la responsabilité du pouvoir normatif délégué ». Concernant le référendum, si les députés acceptent le principe d’une consultation préalable des électeurs de Corse, ils refusent qu’elle se substitue au Parlement. Elle « devra donc nécessairement avoir lieu après l’adoption du projet de loi constitutionnelle, dans le contexte des débats qui animeront la future loi organique ». Le rapport affirme au passage que la gestion des ports et des aéroports est « un enjeu stratégique qui nécessite une évolution législative et d’importants investissements » et qu’il est absolument nécessaire d’aboutir à une solution juridique avant la fin de l’année. De même, la mission parlementaire invite le gouvernement a engagé « au plus vite » le projet de rédaction constitutionnelle « tel qu’adopté le 27 mars 2024 par l’Assemblée de Corse », et que « ce dépôt devant le Parlement puisse être formalisé avant la fin du premier semestre 2025 » afin de permettre la réunion du Congrès à Versailles à la fin de l’année 2025.
 
N.M.