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Jean-Félix Acquaviva : « Si la réforme des retraites avait été présentée au vote, elle aurait été rejetée »


Nicole Mari le Jeudi 8 Juin 2023 à 17:59

Le groupe LIOT (Libertés, Indépendants, Outre-Mer et Territoires), auquel appartiennent les trois députés nationalistes corses, a été obligé de retirer sa proposition de loi visant à abroger la retraite à 64 ans, après que la présidente de l’Assemblée nationale l’ait vidée de sa substance en brandissant l'article 40 de la Constitution et en jugeant les amendements irrecevables. Une première dans l’histoire de la Vème République qui a suscité la colère de l’opposition nationale et qui est une atteinte féroce des droits du Parlement. Explications et réaction pour Corse Net Infos de Jean-Félix Acquaviva, député de la 2nde circonscription de Haute-Corse, membre du groupe LIOT.



Jean-Félix Acquaviva, député nationaliste de la 2ème circonscription de Haute-Corse, membre du groupe parlementaire LIOT (Libertés, Indépendants, Outre-Mer et Territoires), conseiller territorial du groupe Fa Populu Inseme et président du Comité de massif de Corse.
Jean-Félix Acquaviva, député nationaliste de la 2ème circonscription de Haute-Corse, membre du groupe parlementaire LIOT (Libertés, Indépendants, Outre-Mer et Territoires), conseiller territorial du groupe Fa Populu Inseme et président du Comité de massif de Corse.
- Comment vivez-vous le retrait de votre proposition de loi sur les retraites ? Comme un échec ?
- Tout d’abord, au moment où nous retirons le texte, notre devoir et nos pensées vont aux victimes de ce terrible drame d’Annecy, en espérant qu’elles survivent. Quand on prend la décision de retirer le texte, c’est aussi par rapport à cette échelle de valeur. Vue l’incapacité à voter sur l’article 1 et l’article 40 déclenché par la Présidente, le sujet n’était plus intéressant au fond et ne pouvait produire qu’un débat de chicaya dans l’hémicycle, ce qui ne pouvait pas nous convenir. Ensuite, nous sommes droit dans nos bottes, moralement, politiquement, démocratiquement. Nous avons fait ce pourquoi des millions de personnes voulaient que l’on agisse, en lien avec le mandat qui nous a été conféré durant les élections législatives. Nous avons été dès le début contre ce projet de réforme des retraites et nous le restons sur le fond, dans la vision du financement, l’allongement de la durée du travail à 64 ans qui n’était pas nécessaire, la non-prise en compte de la pénibilité, l’emploi des seniors... À partir de là, ce n'est pas un échec dans la mesure où nous avons fait ce pourquoi nous avons été élus et pour restaurer les droits du Parlement.
 
- N’est-ce pas ce qui se joue véritablement ?
- Oui ! Des artifices réglementaires ont été utilisés de manière excessive par le gouvernement et la majorité présidentielle pour éviter le vote. Dire que le 49-3 est un outil démocratique et que la motion de censure, qui a été provoquée par son utilisation, est un vote pour ou contre la réforme, est faux ! Je rappelle que le 49-3 est l’exception dans l’esprit de la Constitution, qui doit confirmer la règle pour un gouvernement qui veut gouverner. Quand le 49-3 devient la règle, notamment sur un sujet sociétal aussi important, et quand il est dégainé, comme ce fut le cas, en deux heures de temps, parce que le gouvernement se rendait compte qu’il était minoritaire en séance de deux voix pour le vote sur le fond de la réforme, on dénature l’exception qui devient la règle. L’exception vient en lieu et place du Parlement qui ne s’était pas prononcé en première lecture sur le sujet. C’est pour cela que nous avons présenté une motion de censure. Nous n’avions pas vocation à le faire, mais nous l’avons fait parce que le comportement du gouvernement est antidémocratique. Utiliser le 49-3 tort et à travers, de manière excessive et non exceptionnelle comme le prévoit le règlement, aboutit à ce que disait déjà Michel Debré en son temps : à force de vouloir toujours utiliser le 49-3, on se risquerait à une crise de régime. Notre motion de censure n’est pas passée à neuf voix près. Comme ce n’était pas un vote contre la réforme, mais un vote de défiance du gouvernement par rapport à ce qu’il avait fait, des députés, notamment républicains et autres, qui étaient contre la réforme, ne l’ont pas votée. Nous savons aujourd’hui que si la réforme avait été présentée au vote, elle aurait été rejetée.
 
- Vous taclez le gouvernement pour son absence de recherche de compromis. Et pourtant, il s’entête ?
- Oui ! Le gouvernement n’a pas été capable de créer des compromis suffisants sur le fond du projet de réforme, pendant sa construction parlementaire et avant même de passer au vote, en amont du 49-3. Il y a eu un déficit de concertation sociale, donc de démocratie sociale. Ce gouvernement, malheureusement, a choisi de jouer une partie de poker en misant uniquement sur Les Républicains (LR), en recherchant les voix du Sénat, en pensant que l’adoption au Sénat ramènerait l’ensemble du groupe LR à voter pour la réforme. Il s’est trompé ! Lorsque le groupe LIOT a, comme d’autres, fait des propositions, il ne s’est pas tourné vers lui, il lui fallait donc passer en force. Tout cela nous a amené à proposer, dans notre niche parlementaire, une loi qui nous permettait enfin de rétablir ce pourquoi nous sommes élus, c’est-à-dire voter. Si on s’assoit sur le fait que la démocratie, ce sont des échanges et des recherches de compromis qui doivent se solder par des votes de fond, à ce moment-là il n’y a plus besoin de Parlement ! On fait des gouvernements de technocrates, voire de grandes administrations, et on avance à coup d’arguments d’autorité. Cette vision n’est pas la vision du groupe LIOT. Nous sommes des démocrates. Pour nous, le préalable d’un système républicain, c’est la démocratie.

Le groupe LIOT.
Le groupe LIOT.
- La présidente de l’Assemblée nationale a brandi l’argument d’irrecevabilité financière. Cela crée un fâcheux précédent ?
- L’irrecevabilité financière n’est pas fondée. La présidente a utilisé cet argument pour supprimer l’article 1 et vider de sa substance la proposition de loi. C’est la première fois dans la Ve République qu’un président de l’Assemblée nationale se substitue à un président de la Commission des finances sur une proposition de loi d’un groupe d’opposition. Autrement dit, elle a ouvert la boîte de Pandore pour que l’irrecevabilité financière soit prononcée par le président de la Commission des finances ou par elle-même pour n’importe quelle proposition de loi d’un groupe de l’opposition. Les propositions de loi portent souvent sur des actions de politique publique qui nécessitent des financements qui sont gagés à l’intérieur de la proposition. Dans la forme, nous avons respecté l’ensemble de ces éléments. À savoir que le retour à 62 ans ne coûtait pas 13 milliards d’euros comment on l’entend, c’est faux ! Il coûtait 270 millions d’euros pour sa mise en œuvre en 2023 que nous avons gagés par une augmentation de quelques centimes sur le tabac, ce qui est totalement viable. Nous avions renvoyé dans un autre article à une conférence de financement avec l’ensemble des acteurs pour voir comment financer le système qui devenait déficitaire à horizon 2030. Nous avions le temps de trouver l’équilibre et nous avions des pistes de financement. Donc, dire que la proposition de loi est irrecevable financièrement est faux ! Et l’avoir fait de cette façon-là crée les conditions d’un affaiblissement total du Parlement. C’est pour cela que nous n’avons pas cédé. On doit respecter l’équilibre des pouvoirs.
 
- Vous avez été mis en minorité en Commission des affaires sociales qui a supprimé l’article 1...
- Le vote en Commission ne vaut pas vote général ! Là aussi, on présente le vote en Commission comme le vote de la mise en minorité. C’est comme si on arrêtait un match de football à la 45e minute et qu’on ne faisait pas la deuxième mi-temps ! Sachant comment ça s’est passé en Commission où l’on a remplacé à la dernière minute quelques députés qui étaient favorables à notre proposition de loi, ce n’est pas sérieux ! En responsabilité, nous avons décidé de retirer ce qui restait de cette proposition qui n'avait plus de sens. Aussi parce que lors de cette niche parlementaire, le groupe LIOT présente d'autres propositions de loi, moins médiatiques, mais tout aussi concrètes, efficaces et utiles, pour la vie de nos territoires, et que nous leur laissons ainsi le temps d’être examinées. Par exemple, une proposition de loi visant à élargir l’assiette de la taxe sur les transactions financières, et une autre visant à permettre une gestion différenciée des compétences eau et assainissement, c’est-à-dire revenir au transfert facultatif et non obligatoire aux communes et intercommunalités de ces compétences. Cette proposition de loi a déjà été adoptée au Sénat, et si elle venait à l’être dans notre niche aujourd’hui, ce serait un gain politique pour toutes les communes, en particulier les communes corses qui ne veulent pas se laisser déposséder de la gestion publique de l’eau potable qui est un enjeu sociologique, économique, social et patrimonial.  
 
- Finalement, le gouvernement fait ce qu’il veut en dépit des critiques violentes. Cela augure mal de l’avenir ?
- Sur ce coup-là, le gouvernement est allé loin, mais il ne pourra pas aller loin bien longtemps. Je rappelle quand même qu’il y a eu récemment des mises en minorité sur des sujets importants, mais moins médiatiques. La loi de programmation des financements publics, celle qui doit donner la trajectoire des finances publiques à Bruxelles de la part du gouvernement, a été rejetée la semaine dernière pour la deuxième fois consécutive. La première fois, le gouvernement a envoyé une note à Bruxelles en expliquant de manière vaseuse, comme il était mis en minorité, comment il comptait contenir les dépenses publiques en France. Bruxelles n’a pas tout compris. Une deuxième fois est rédhibitoire, et Bruxelles va taper sur les doigts du gouvernement français parce qu’il n’est pas capable de fournir une copie conforme à ce que veut le Parlement. Cela va créer un problème relationnel avec l’Union européenne. Donc, ces passages en force laissent des traces et mettent dans une impasse qui a été créée par le gouvernement lui-même, mais qui libère aussi une réflexion.

Les trois députés nationalistes du groupe LIOT : Jean-Félix Acquaviva, Paul-André Colombani et Michel Castellani. Photo CNI.
Les trois députés nationalistes du groupe LIOT : Jean-Félix Acquaviva, Paul-André Colombani et Michel Castellani. Photo CNI.
- A Beauvau, Gérald Darmanin a taclé le soutien des députés nationalistes au groupe LIOT dans cette affaire. Cela n’a pas altéré le dialogue sur la Corse ?
- Non ! Cela n’a même pas altéré nos propositions sur le foncier qui étaient pourtant écartées en début de réunion. On va revenir sur le droit de préemption de la Collectivité de Corse, on va parler de la fiscalité sur les transactions, de la zone tendue, du permis de louer pour les meublés, de la révision constitutionnelle… On voit bien que notre positionnement politique avec le groupe LIOT n’a pas du tout été préjudiciable. Bien au contraire ! Le gouvernement est dans la nécessité d’intégrer notre politique, s’il veut obtenir les 3/5è pour sa révision constitutionnelle. Et c’est parce que nous sommes restés droits dans nos bottes, que nous ne sommes pas des épiciers, mais des gens de compromis et d’accord politique, ce qui n’est pas du tout la même chose, que l’on va peut-être réussir à mettre la Corse sur les bons rails. Nous avons aujourd’hui une influence politique qui nous permet d’agir sur des enjeux thématiques forts, comme la loi ZAN, Zéro artificialisation nette, qui arrive au Parlement, ou la loi Industrie verte proposée par Bruno Le Maire.
 
- Finalement, cette affaire des retraites a eu le mérite de propulser le groupe LIOT sur le devant de la scène. C’est un énorme coup médiatique ?
- Aujourd’hui, le groupe LIOT existe politiquement. Il n’est plus ce groupe soi-disant de bric et de broc. Depuis l’ancien mandat Libertés & Territoires, nous avons un contrat politique sur lequel nous sommes solidaires, et, même si nous gardons la liberté de vote sur un tas de sujets, il y a des moments où nous sommes totalement en cohésion de groupe. J’avais dit pendant la campagne des législatives qu’il y avait de fortes chances pour que le gouvernement n’ait pas de majorité à l’Assemblée nationale. Sa majorité est beaucoup plus relative que ce que l’on pensait puisqu’il lui manque 39 députés pour avoir la majorité absolue. Cela veut dire qu’il est très minoritaire. Donc, dès 2022, nous l’avons appelé à faire du compromis, ce qu’il a du mal à faire. Il reste quatre ans avant la fin du mandat, nous l’appelons à être sérieux. Il y a des responsables politiques de premier plan au gouvernement et au sein de la majorité présidentielle qui entendent ce discours-là. Il faut les convaincre d’aller vers des accords politiques sur des tas de sujets, en particulier sur la solution politique globale pour la Corse.
 
- Voterez-vous la motion de censure déposée par LFI ?
- Non, je ne crois pas. Dans notre état d’esprit, nous ne nous positionnerons pas sur cette motion de censure. Notre rôle politique est d’être un épicentre fort de fédération des forces. La mention de censure, que nous avons déposée à un moment paroxystique où le gouvernement n’avait pas à sortir le 49-3, était un message lui disant de changer de politique. J’espère que ce message sera repris dans les discussions avec les syndicats salariés et patronaux parce que le sujet des retraites n’est pas clos. Lorsqu’on va rentrer dans le concret du financement, on sait que, de manière moins médiatique, des choses vont revenir sur la table. Ceci dit, nous ne rentrerons pas dans l’obstruction systématique, mais on ne s’interdit rien si le gouvernement exagère sur d’autres sujets, notamment sur la Corse. S’il n’y a pas d’accord politique, de respect de la démocratie en Corse ou dans d’autres endroits, si le gouvernement continue sur le même tempo de l’autoritarisme, à ce moment-là, nous nous réservons le droit de ressortir cette motion de censure.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.