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Jacqueline Gourault : « La prévention des incendies, c’est l’aménagement du territoire. Il faut adapter les réponses »


Nicole Mari le Dimanche 7 Janvier 2018 à 00:06

Après les incendies, exceptionnels en cette période hivernale, qui ont, en moins de 48 heures, ravagé 2000 hectares en Costa Verde, brulé 11 maisons à Chiatra, détruit une bergerie et son cheptel caprin, causé des dégâts matériels et écologiques majeurs… et dépouillé des gens de tous leurs biens, la ministre chargée des affaires de la Corse, est allée sur place se rendre compte de la situation. Elle explique, à Corse Net Infos, la nécessité de s’adapter à une situation qui, du fait du réchauffement climatique, pourrait devenir une norme. Face à cette aggravation du risque incendie en toute saison, elle prône une réponse : l’aménagement du territoire.



Jacqueline Gourault avec la mairesse de Chiatra, Pancrace Maurizi, et le président de l'Exécutif de Corse, Gilles Simeoni, sur la place du village de Chiatra, traversé par les flammes le 3 janvier dernier.
Jacqueline Gourault avec la mairesse de Chiatra, Pancrace Maurizi, et le président de l'Exécutif de Corse, Gilles Simeoni, sur la place du village de Chiatra, traversé par les flammes le 3 janvier dernier.
 
- Quelle réponse pouvez-vous apporter à la détresse des victimes des incendies ?
- Une réponse humaine tout simplement ! De chaleur humaine, de réconfort, d’être avec eux, à côté d’eux dans ce malheur pour certains qui ont perdu leur maison. J’ai vu deux personnes dont la maison a entièrement brûlé, elles n’ont plus rien ! Un homme m’expliquait qu’il était passionné de photos et qu’il avait des photos en stock, des appareils photos et des ordinateurs. Tout a brulé ! Il dit qu’il ne peut même pas reconnaître le serveur des appareils photos tellement la puissance du feu était forte et a tout détruit ! Tout a été très subi, très rapide ! Maintenant, il faut penser à l’avenir, à la reconstruction, faire fonctionner les assurances pour ceux qui en ont. C’est primordial ! Il faut saluer l’immense solidarité spontanée venue de toute la Corse. Mme le maire de Chiatra a été formidable, elle n’a pas eu peur de braver le feu pour sauver des vies humaines en allant chercher les gens chez eux, aidée d’un jeune du village. On voit combien la force des hommes et des femmes est quelque chose d’important. D’autant plus important dans les périodes de grande difficulté.
 
- Vous parlez de solidarité corse. Les sinistrés peuvent-ils attendre une solidarité nationale ?
- Bien sûr ! Devant de tels événements, la solidarité agit à tous les niveaux. Aussi bien au niveau local avec les habitants des villages, les maires et les deux présidents de la Collectivité de Corse qui sont ici à mes côtés. Leurs agences, au niveau agricole, vont regarder ce qui peut être fait. Sont également présents le président de la Chambre d’agriculture et le député du coin. Au niveau national, le Préfet réunira très prochainement tous les acteurs, aussi bien ceux qui ont subi les incendies que ceux qui doivent assumer la solidarité nationale. Il faut, bien évidemment, apporter des réponses !
 
- Vous évoquez une force européenne de lutte contre les incendies. Est-ce une réponse possible ?
- Oui ! Je pense aux canadairs ou à toutes sortes d’avions de la sécurité civile. Il y a beaucoup de choses à faire, mais il y a ce que l’on peut faire à court et moyen terme pour aider les gens à trouver un logement, à reconstruire…Il y aussi ce que l’on peut faire à plus ou moins long terme. On sait bien qu’ici le problème foncier, au sens large du terme, c’est-à-dire le cadastre ou l’absence de cadastre, et donc de propriétaires, l’entretien des terres, la réinstallation des agriculteurs… tout cela est très important ! Là où il y a des hommes et de l’agriculture, même si ça n’empêche pas tout, cela prévient la désertification et joue un rôle dans l’aménagement du territoire !

- Quels moyens mettre en place en matière de prévention pour éviter que ce type de sinistres ne se reproduise ?
- La prévention, c’est l’aménagement du territoire ! Cela veut dire une meilleure connaissance du foncier, des propriétaires, des absences de propriétaires, de l’entretien du territoire, du développement de l’agriculture et, donc, aussi, des aides à l’installation agricole. J’ai rencontré un berger qui a tout perdu, son cheptel caprin est mort. J’ai compris qu’il avait installé lui-même des tuyaux pour amener l’eau, il n’a pas d’électricité… Tout cela est très précaire ! Si on veut prévenir, il faut absolument améliorer l’aménagement du territoire. On ne prévient jamais tout ! Le feu peut se déclarer et être poussé par un vent très puissant. On ne peut pas tout éviter, mais il faut entretenir le territoire.
 
- Les petites communes rurales n’ont pas les moyens financiers d’entretenir le territoire. Comment faire dans ce cas ?
- La solidarité avec les autres collectivités doit jouer. Il faut se donner des objectifs. Une collectivité, comme la Collectivité de Corse, peut, évidemment, engager une politique dans le domaine environnemental pour entretenir les terrains, éviter les friches… C’est très important ! Il y a, aussi, tout ce qui relève de la prévention faite par les pompiers avec des installations d’anticipation pensées sur le territoire dont le président Simeoni vient de me parler. La nouvelle collectivité va réfléchir au fond sur ce changement climatique qui fait qu’en hiver, il y a eu, fait très rare en Corse, des incendies comme en été ! Il n’a pas plu depuis l’été, l’eau est très basse dans le barrage, la sécheresse se développe… C’est un problème ! Il faut adapter les moyens aux nouvelles conditions climatiques.
 
- Les maires disent que la loi, qui donne obligation de débroussailler au 30 juin, n’est pas adaptée au climat corse. Est-il possible d’adapter cette loi ?
- Bien sûr ! C’est ce dont j’ai longuement parlé hier. On voit bien qu’il faut adapter les lois aux territoires. Ce qui est vrai dans les Vosges, ou dans le Loir et Cher où j’habite, n’est pas forcément vrai en Corse. Il faut, donc, une souplesse, une capacité de différenciation, d’adaptation des territoires aux problèmes qu’ils rencontrent, à leurs particularismes. La Corse est une île et, je dirai avec encore plus de conviction aujourd’hui parce que je l’ai survolée dans un hélicoptère de la gendarmerie, c’est une montagne dans la mer. Il faut tenir compte de toutes ses spécificités naturelles que l’homme a développées avec l’occupation du territoire. C’est très important de donner la capacité d’adaptation !
 
- Un problème prégnant est celui des terres en friche. Certains pays ont des lois pour obliger les propriétaires à défricher, cultiver ou louer. Est-ce envisageable en France ? 
- Des lois existent déjà en France. Quand des défrichements ne sont pas faits, les maires peuvent intervenir auprès des propriétaires. Ce n’est pas toujours facile ! Quand des maisons sont prêtes à s’effondrer et que les propriétaires ne font rien, les maires peuvent prendre des arrêtés de péril. Ils peuvent, aussi, exiger des propriétaires un défrichement. Si ces derniers ne le font pas, le maire peut faire défricher et leur renvoyer la facture. J’ai été maire pendant 25 ans, et je sais que c’est plus facile à dire qu’à faire ! Surtout dans un territoire comme celui-ci où il y a des immensités de friche dont on ne connaît pas toujours les propriétaires. C’est un vrai sujet pour la Corse !
 
Propos recueillis par Nicole MARI.

 

Les dégâts matériels et environnementaux importants en Costa Verde.
Les dégâts matériels et environnementaux importants en Costa Verde.