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J.-G. Talamoni : « L’opinion internationale saisie sur la situation faite à la Corse »


Nicole Mari le Mercredi 13 Août 2014 à 01:11

Président du groupe Corsica Libera à l’Assemblée de Corse (CTC), Jean-Guy Talamoni affiche sa satisfaction après le 3ème débat des Ghjurnate, ayant rassemblé des progressistes de droite et de gauche. Le leader indépendantiste revient, pour Corse Net Infos, sur les déclarations des élus socialistes au sujet de possibles alliances au 2nd tour des territoriales de décembre 2015, sur les relations avec les Modérés et sur la stratégie politique de son mouvement. Il propose une manifestation populaire pour faire pression sur Paris et l’obliger à prendre en compte les décisions de la CTC. Et veut saisir l’opinion internationale sur le déni de démocratie fait par Paris à la Corse.



Jean-Guy Talamoni, président du groupe Corsica Libera à l’Assemblée de Corse (CTC).
Jean-Guy Talamoni, président du groupe Corsica Libera à l’Assemblée de Corse (CTC).
- Qu’a apporté de plus ce 3ème débat ?
- Il a, d’abord, permis de prolonger, dans un cadre largement ouvert comme celui des Ghjurnate, le débat de la CTC où nous avons été particulièrement actif, comme chacun s’accorde à le reconnaître. Nous avons, aussi, voulu interroger les élus qui ont, publiquement et clairement, dit, avant même le communiqué du FLNC, que Corsica Libera devait être associé à la prochaine construction politique. Je pense, notamment, à Jean-Charles Orsucci et à Emmanuelle de Gentili. Nous voulions savoir comment ils envisageaient cette construction en commun dans les mois et les années à-venir.
 
- Leurs réponses ont-elles répondu à votre attente ?
- Oui ! Des choses ont été très clairement exprimées, tout particulièrement par Jean-Charles Orsucci. Il a, notamment, dit que Corsica Libera devait être associé au prochain Exécutif territorial. Ces propos retiennent notre attention à condition que cette association se fasse sur la base du projet global qui est en train, semble-t-il, de voir le jour à la CTC et auquel nous avons largement participé.
 
- Cette possibilité change-t-elle votre stratégie ?
- Notre stratégie demeure identique. Elle a toujours été basée sur un ordre chronologique : mettre, d’abord, les idées en avant et ne parler, que dans un 2ème temps, de l’accès aux responsabilités. Un grand nombre de nos idées ayant été reprises et validées par la CTC, se pose, donc, la question de notre participation aux responsabilités. Il est tout à fait logique que nous soyons présents dans la phase de mise en œuvre du projet. Nous ne participerons pas à une simple gestion de l’île, mais bien à un gouvernement de la Corse. Pour construire un avenir serein pour nos enfants, il faut que les élus de la Corse restent cohérents autour du projet qu’ils soutiennent, qu’ils le précisent et soient capables de gouverner ensemble.
 
- Envisagez-vous de présenter une liste Corsica Libera aux élections régionales ?
- Nous sommes encore loin de cette échéance. Il y aura des débats internes et une assemblée générale. Mais, nous l’envisageons. Je dirais même : Pourquoi pas ! L’idée d’une liste Corsica Libera au 1er tour ne me paraît pas absurde, ce serait même logique.
 
- La perspective de fusion ou d’alliances au 2nd tour vous parait-elle possible ?
- C’est vraiment un peu tôt pour le dire ! Si nous arrivons à finaliser un projet global pour la Corse et à lui donner une force suffisante, si autour de lui se coalisent un certain nombre d’élus, la question se posera, au 2nd ou au 3ème tour, d’un gouvernement en commun avec tous ceux qui soutiennent la réforme. C’est une idée à mettre en débat, non seulement lors des Ghjurnate, mais aussi dans le cadre des organisations politiques.
 
- Femu a Corsica fut le grand absent des Ghjurnate. Y-a-t-il fracture avec les Modérés ?
- Depuis 5 ou 6 ans, nous invitons systématiquement Jean-Christophe Angelini et Gilles Simeoni, les deux leaders de Femu a Corsica. Ils ne sont jamais venus et se sont toujours fait représentés. Nous avons eu des débats intéressants avec leurs représentants, mais ces absences montrent qu’il n’y a pas un enthousiasme très fort pour venir aux Ghjurnate. Cette année, notre démarche a été différente. Il ne s’agissait pas du tout de faire preuve d’ostracisme à l’égard de quiconque et surtout d’autres nationalistes, mais de prendre en compte les déclarations d’élus qui ont dit clairement qu’il fallait construire avec nous. Dans le même temps, nous avons constaté avec regret que des Nationalistes, à Porto-Vecchio et à Bastia, faisaient le contraire en réactivant le fameux préalable de la condamnation de la clandestinité !
 
- Le préalable n’est-il pas venu plutôt des partenaires des Modérés ?
- Ils ont accepté de le réactiver à la demande de leurs partenaires. Pour nous, c’est une faute politique ! Mais, nous n’allons pas revenir éternellement sur les mêmes problèmes ! Nous avons voulu poursuivre le dialogue avec ceux qui ont commencé à dialoguer avec nous et qui ont affirmé leur volonté de travailler avec nous. J’ai le regret de constater qu’à ce jour, Femu a Corsica ne nous a jamais dit qu’il souhaitait travailler avec nous. Jamais ! C’est un peu paradoxal ! A part ça, il n’y a pas de problème ! Nous discutons avec eux à la CTC. Quelques uns de leurs militants ont assisté au débat. Nous les avons bien accueillis. Nous continuerons de dialoguer avec tous ceux qui le souhaitent.
 
- U Rinnovu a, aussi, lancé un appel à la cohérence des Nationalistes. Y répondez-vous ?
- Avec U Rinnovu, nous nous sommes quittés, il y a fort peu de temps, d’un commun accord et de manière digne. Il ne nous paraît pas à l’ordre du jour d’envisager de nous retrouver. La question ne se pose pas !
 
- Pour revenir au débat, n’avez-vous pas l’impression que les positions des progressistes tendent à s’aligner sur les vôtres ?
- Tout à fait ! Nous le constatons avec satisfaction. Les déclarations de Jean-Charles Orsucci, avant l’annonce du FLNC, son intervention devant Marylise Lebranchu à la CTC qui a été la plus importante de toutes celles prononcées par les élus, son interview au Ribombu… sont très claires sur la situation, ce qu’il convient de faire et la façon dont il veut travailler avec nous. Emmanuelle de Gentili s’inscrit dans le même discours et la même volonté. Pierre Ghionga, qui est venu à plusieurs reprises aux Ghjurnate, est, aussi, clairement dans cette perspective. Ces élus représentent la majorité régionale et le Conseil exécutif de Corse. C’est très important pour nous de savoir jusqu’où ils veulent aller !
 
- Tous semblent s’accorder sur l’autonomie. N’est-ce pas, pour vous, une grande avancée ?
- Le mot « autonomie », je m’en méfie parce que chacun y met ce qu’il veut ! Dans un ouvrage des années 80, Raymond Barre disait, à propos du 1er statut particulier, que la Corse avait, déjà, un statut proche de l’autonomie ! Or, en 1981, nous en étions très loin et Raymond Barre n’était pas un imbécile ! Nous disons : évolution, étape, réforme et, très précisément, ce que nous voulons dedans. Nous l’avons dit pour la réforme de l’architecture institutionnelle où nous proposons une chambre des provinces, l’élection à la proportionnelle… Nous l’avons dit pour le statut de résident où nous expliquons comment intégrer la diaspora… Nous le disons pour le prochain statut particulier. Pour le processus global, nous parlons de dévolution.
 
- C’est-à-dire ?
- Ce qui se fait en Grande-Bretagne s’agissant de l’Ecosse, de l’Irlande… La première phase de dévolution permet une évolution institutionnelle importante. Dans une deuxième, le processus, s’il est validé par le peuple, se poursuit de manière dynamique et non statique. Les premiers régionalistes voulaient « l’autonomie interne dans le cadre de la République française ». Nous ne voulons pas qu’à terme la Corse reste dans le cadre de la République française, pour autant, aujourd’hui, nous discutons avec ceux qui souhaitent y rester. Il faut donner la parole aux Corses, à différents moments de leur histoire, afin qu’ils choisissent leur destin.
 
- Les élus socialistes ont répété que Paris n’entendait pas la voix de la Corse et que l’évolution n’est pas gagnée. Qu’en pensez-vous ?
- C’est un autre problème. La première étape était vraiment de mettre les élus de la Corse d’accord sur le plan des idées. C’est en cours. La deuxième concerne les relations avec Paris. Il est vrai que le gouvernement français se comporte de manière assez lamentable en émettant des fins de non-recevoir à des demandes massivement majoritaires portées, y compris par le parti socialiste. Il semble tétanisé par le souvenir de ce qui est arrivé à Lionel Jospin, il y a quelques années. Il est convaincu que s’il met le doigt dans l’engrenage du dossier corse, il subira une nouvelle catastrophe électorale. Ce n’est pas une manière de raisonner qui sied à des hommes d’Etat ! Mais, nous n’avons manifestement pas affaire à des hommes d’Etat !
 
- La question corse est-elle vraiment dangereuse pour Paris ?
- Oui ! C’est vrai ! Surtout si Paris ne fait rien ! C’est ce que leur a dit, dans son intervention à la CTC, Jean-Charles Orsucci !
 
- Emmanuelle de Gentili exhorte à la patience et à un travail de lobbying et de pédagogie. Y êtes-vous favorable ?
- Nous avons commencé à faire de la pédagogie auprès des élus corses qui, maintenant, viennent sur nos positions. La patience des Corses est réelle, mais elle a des limites. Il faut que le processus avance à un rythme raisonnable. Si Paris s’acharne à faire la sourde oreille, il faudra que l’ensemble des élus et des Corses, qui soutiennent la réforme, parlent plus fort. Les élus devront aller sur le terrain revendiquer pleinement la prise en compte de leurs décisions.
 
- L’échéance d’automne, avec le projet de réforme institutionnelle proposé par la CTC, ne va-t-elle pas mettre le gouvernement au pied du mur ?
- C’est vrai, mais ce projet, tout essentiel qu’il soit, n’est pas la partie la plus importante de la réforme. L’architecture institutionnelle, la suppression des départements, le mode de scrutin inhérent… étaient l’objet du référendum de 2001. Nous devons dire en quoi nous voulons déroger au futur droit commun français et quel statut nous demandons. Paris nous dit, aujourd’hui, que, sur ces points-là, l’avis des Corses serait pris en compte sans modification. Nous sommes quand même méfiants ! Ensuite, il reste les gros morceaux : la coofficialité et le statut de résident.
 
- Sur la réforme institutionnelle, pensez-vous dégager une large majorité ?
- Oui ! Le Comité stratégique a déjà débattu d’un certain nombre de points qui semblent acquis, très majoritairement et même de manière quasi-consensuelle. Le premier est de déroger au statut des régions françaises. Ce serait quand même paradoxal de rentrer dans le droit commun alors que nous sommes sous statut particulier depuis les années 80 ! Une large majorité, y compris de conseillers généraux, est favorable à la collectivité unique et à un système de représentation des territoires pour remplacer les conseils généraux. Nous faisons la proposition, très ancienne d’ailleurs, d’une Chambre des provinces avec élection à la proportionnelle. Pierre Ghionga semble sur la même ligne avec sa Chambre des territoires. Une autre proposition, plus complexe, vise à créer un collège de représentation des territoires inclus à la CTC. Le débat n’est pas tranché. Il y a un consensus autour de la proportionnelle afin que l’ensemble des forces politiques soit représenté.
 
- Ce projet sera-t-il l’heure de vérité et le moyen de juger de la bonne volonté de Paris ?
- Je ne crois pas ! C’est la partie de la réforme qui ne présente pas de difficultés et qui gène le moins Paris. S’il rechigne, ce serait totalement scandaleux puisqu’il vient, encore, de nous dire que le projet serait validé. Ce ne serait qu’un reniement de plus ! Il y en a déjà eu sur le rapprochement des prisonniers ! Nous avons eu des expériences désastreuses de dialogue avec Paris. Mais, même s’il valide ce projet sans y changer une virgule, ce ne sera pas significatif.
 
- Quelle sera, alors, l’échéance significative ?
- Ce sera le moment où Paris sera mis en situation de valider l’un des deux dossiers, pour lui difficiles, de la langue corse et du statut de résident. Mais, il ne faut rien attendre d’une soi-disant bienveillance parisienne ! Pour faire bouger le gouvernement, il faut une pression très forte des élus et de la société à travers des manifestations populaires. Nous proposons la création d’une plateforme politique, associative et syndicale pour construire un rapport de forces. Nous demandons aux élus de descendre dans la rue comme ils l’ont fait, à plusieurs reprises, pour le statut fiscal et aux Corses de montrer ce qu’ils veulent.
 
- Quand ?
- Peut-être à la rentrée prochaine ou dans les semaines qui suivront… Ce serait une bonne manière de commencer ainsi le travail pour 2014-2015. Il faut, autour des élus, toutes tendances confondues, faire descendre le maximum de Corses dans la rue pour réclamer la prise en compte des votes de la CTC. Ensuite, nous avons proposé qu’une délégation de la CTC rencontre, avant la fin de l’année, les parlementaires français et les présidents de groupe. Enfin, nous allons lancer une démarche internationale et saisir l’opinion de la situation qui nous est faite et qui est une insulte à la démocratie. La France donne des leçons au monde entier et ne tient pas compte des décisions très majoritaires d’une assemblée légitime, de droit français, élue suivant ses lois, et qu’elle ignore.
 
- De quelle façon ?
- Nous allons prendre contact avec Bruxelles. Nous avons, déjà, engagé des discussions avec un certain nombre de partenaires européens. Certains sont des partenaires habituels et accéderont, peut-être, à l’indépendance dans quelques temps. Nous avons eu des contacts avec des Etats constitués. Nous avons l’intention de mettre la France en accusation sur son comportement en Corse, sur le déni de démocratie qui ne correspond absolument pas à la manière dont elle se présente devant l’opinion internationale. Il y a vraiment des Etats que cela intéresse ! Nous prendrons un certain nombre d’initiatives dans ce sens-là.

Propos recueillis par Nicole MARI.