Ils étaient une vingtaine de producteurs, venus participer à cette assemblée qui, au-delà de ce qu’impose la contrainte réglementaire, avait pour objectif de poursuivre la réflexion sur des sujets essentiels pour la filière des huiles essentielles. Certains sont de petits producteurs qui fabriquent leurs propres cosmétiques et les vendent en direct. C’est le cas de Joseph Bernardi (Regalu di dolcezza), qui, avec son fils Maxime, diplômé de l’Université européenne des saveurs et des senteurs (UESS), exploite deux parcelles fermées de 3,5 hectares au total, sur lesquelles il a planté du romarin, du thym, de l’immortelle... « un peu de tout, dit-il. Lentisques, myrtes, carottes sauvages ou achillée, lavande et lavandin... » Sitôt qu’il a cueilli 100 kilos de plantes, il les porte au laboratoire où Maxime les distille dans leur petit alambic, pour y produire huiles essentielles et hydrolats. Au total, il récolte bon an, mal an, environ 3 à 3,5 tonnes d’immortelles. D’autres ont des productions plus importantes, comme Pascal Hinyot (Mardys Garden), qui, depuis plus de vingt ans, s’est lancé dans le domaine. « Au début, on voulait vivre dans la nature. Et faire un jardin d’Éden. Puis très vite, on a compris que c’était une erreur. En fait, il faut faire ce que le lieu appelle à faire. Ce qui pousse spontanément dans la nature : il faut seulement l’aider, et sélectionner... » Car tous semblent avoir en commun une vraie passion pour la nature et pour leur métier. Comme Joseph Bernardi qui a toujours en mémoire le linge embaumé que sa grand-mère étendait sur le maquis, à Ghisoni, pour le faire sécher : « Ces odeurs !! »
Un dossier IGP remarqué par l’INAO
Aujourd’hui, l’association compte 36 membres, sans compter les quatre nouveaux venus dont l’adhésion a été annoncée en début de réunion. « D’ici juin, on devrait compter sur les doigts de la main les producteurs qui ne sont pas encore adhérents », se félicite Michel Dubost, président de l’APROHEC. Pourquoi juin ? Parce que la réunion qui se tiendra les 26 et 27 juin marquera un tournant dans la procédure en cours d’obtention de l’IGP – Indication géographique protégée – pour l’huile essentielle d’immortelle.
L’APROHEC a en effet été créée en mai 2022 autour d’une problématique vitale : « la mévente de notre produit phare », l’huile essentielle d’immortelle. Dès janvier 2024, l’association déposait un dossier auprès de l’INAO – Institut National de l’Origine et de la Qualité –, pour demander l’obtention de cette fameuse IGP, signe de qualité qui devrait permettre aux producteurs corses de tirer leur épingle du jeu. Un parcours long et complexe, nécessitant un travail de titan : « ça paraissait difficile, mais nous y sommes ! La commission permanente et la commission d’enquête ont souligné la dynamique du groupement et la qualité du dossier ! »
L’ODARC et l’Università di Corsica avaient fait des analyses et des comparaisons avec les huiles concurrentes : l’INAO n’a pas manqué de souligner que de tels travaux, de cette qualité et de cette ampleur, sont choses rares. En juin 2024, la commission a remis un avis favorable et l’INAO a informé les différents acteurs français du secteur. Aujourd’hui, la procédure – en phase d’instruction – est donc en bonne voie. En juin prochain, les membres de la commission d’enquête viendront sur place, notamment pour échanger avec le groupement et pour visiter quelques exploitations.
L’hydrolat d’immortelle
Mais ce n’est pas tout : « l’INAO nous a fait une proposition incroyable : ils nous ont invités à réfléchir à adjoindre l’hydrolat dans la définition de l’IGP. » L’idée serait de faire une IGP conjointe pour les deux produits, permettant « de valoriser tout le travail fait au niveau de l’immortelle », avec « la Corse et l’immortelle, deux images phares qui vont nous propulser, nous porter », souligne Michel Dubost.
La question n’est pas neutre : si, en effet, l’hydrolat était jugé « un produit comparable » à l’huile essentielle, il ne pourrait plus utiliser, dans l’avenir, la référence à la Corse sauf à bénéficier également de l’IGP. Aussi faut-il soigneusement étudier la question, qu’il s’agisse de sa composition, de ses circuits de commercialisation, de ses propriétés, usages ou dénominations... Un groupe de veille a été constitué sur le sujet, avec l’objectif d’un projet d’étude de faisabilité avant le mois d’avril. Un questionnaire va être adressé aux adhérents pour recueillir ces nouvelles informations. Et une nouvelle campagne d’analyse va être lancée.
Pour autant, les hydrolats ne sont actuellement pas reconnus pour les IGP dans le nouveau règlement communautaire, ce qui complique encore un peu les choses !
Des questions à régler
D’ici juin, les membres de l’association ont donc du pain sur la planche. D’autant qu’il va leur falloir répondre aux différentes questions et recommandations formulées par la commission, pour déterminer ce qui figurera ou non dans le cahier des charges du produit. Certaines sont très techniques, mais plusieurs mettent en exergue des points fondamentaux pour lesquels les décisions n’ont rien d’évident.
Ainsi de la possibilité ou non de conditionner le produit hors de Corse : en d’autres termes, doit-on autoriser la vente en vrac ? Le permettre favoriserait les ventes : un point essentiel pour les producteurs dans la situation actuelle. Mais cela peut contribuer à augmenter les risques de fraude, certains transformateurs pouvant mélanger dans leurs préparations des huiles essentielles provenant de différentes origines, tout en prétendant n’intégrer que de l’huile corse. Protection versus promotion : deux critères essentiels, mais qui entrent en conflit. Le choix est difficile et suscite le débat !
Une autre question touche également un problème de fond : celle de la DUO, date d’utilisation optimale. C’est d’elle que va dépendre la possibilité ou non de vendre les stocks des années antérieures sous le signe IGP. Les analyses, aujourd’hui, semblent montrer que l’huile essentielle d’immortelle est stable avec le temps. Mais cela reste à confirmer.
Enfin, se pose la question de l’origine des plants d’immortelle, compte tenu des problèmes de germination rencontrés depuis deux ou trois ans : une question elle aussi essentielle pour l’avenir de la filière.
Structurer la filière
Pour autant, l’IGP ne va pas résoudre l’ensemble des problèmes que rencontrent les professionnels, qu’ils soient techniques, réglementaires ou commerciaux. « Nous avons une filière en émergence, explique le président, et nous sommes au B-A-BA de l’organisation. »
Pour approfondir les questions, explorer de nouvelles voies, saisir les opportunités, elle cherche maintenant à se structurer davantage : organiser le système de communication entre les membres pour mieux répondre aux problématiques des adhérents et « savoir à tout moment où on en est » ; élaborer une véritable réflexion stratégique qui permette de mettre en cohérence les idées pour les transformer en projets, avec des complémentarités et des passerelles ; faire émerger un projet collectif de commercialisation ; bâtir un projet cohérent pour aider les producteurs à l’exportation...
Le président a insisté sur la résilience de cette « filière pleine d’avenir », malgré les difficultés rencontrées, soulignant que « l’année 2025 sera véritablement décisive pour le développement de l’association. »