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En Corse, la rue reste muette face à l'augmentation du prix des carburants


Pierre-Manuel Pescetti le Dimanche 24 Octobre 2021 à 16:15

Malgré une augmentation record du prix des carburants et de l'énergie et une contestation populaire sur le continent, la Corse semble, une nouvelle fois, faire figure d'exception. Les syndicats peinent à mobiliser et parlent même d'un "fatalisme" ambiant. La région est pourtant celle de France qui compte le plus de pourcentage de population sous le seuil de pauvreté et un coût de la vie des plus élevés.



En décembre 2019, à Ajaccio, la contestation contre le projet de réforme des retraites du gouvernement d'Edouard Philippe n'avait pas mobilisé plus de 200 personnes. Archives CNI
En décembre 2019, à Ajaccio, la contestation contre le projet de réforme des retraites du gouvernement d'Edouard Philippe n'avait pas mobilisé plus de 200 personnes. Archives CNI
Elle avait été l’étincelle mettant le feu aux poudres de la révolte populaire des ‘’gilets jaunes’’ à l’automne 2018. La hausse du prix des carburants ne mobilise plus autant qu’il y a trois ans. Pourtant, d’après les chiffres officiels du ministère de la Transition écologique, publiés lundi 18 octobre, le prix du litre de Sans Plomb 95 (SP95) s'est hissé en moyenne à 1,63 euro le litre, soit deux centimes de plus que la semaine précédente. C’est bien au-dessus du niveau atteint au plus fort de la crise des "gilets jaunes".
 
Sur le continent, le spectre des manifestations monstres chaque fin de semaine à Paris s’agite au fil des jours. Plusieurs d’entre elles ont eu lieu ce week-end dans certaines villes de France pour protester contre cette hausse record et inciter le gouvernement à prendre des mesures. Un message en partie entendu puisque le premier ministre Jean Castex a annoncé ce jeudi 21 octobre mettre en place dès décembre une ‘’indemnité inflation’’ de 100 euros par mois pour tous les Français gagnant mensuellement moins de 2 000 euros nets.

L’exception corse

En Corse, le prix au litre dépasse largement la moyenne de 10, de 20, voire de 25 centimes. Selon le site du gouvernement prix-carburants.gouv.fr, à Piana, le SP95 est vendu 1,80 euros le litre, 1,77 euros à Corte, idem à Ajaccio et à Bastia. Pourtant, l’immobilisme est de rigueur. Déjà fébrile il y a trois ans, le mouvement des ‘’gilets jaunes’’ et ses frémissements continentaux semble ne trouver aucun écho sur l’île. La réponse se trouve plutôt du côté des défenseurs sociaux traditionnels : les syndicats.
 
« Ce qui se passe en France aujourd’hui est permanent en Corse depuis des années » pour le secrétaire général du Syndicat des Travailleurs Corses (STC), Jean Brignole. S’il pointe du doigt un prix des carburants supérieur à la moyenne française depuis plusieurs années, contrairement à la situation inverse des années 1980, le syndicaliste s’alarme surtout d’une cherté généralisée de la vie. Le constat est partagé à la Confédération Générale du Travail (CGT). « La hausse du prix du carburant fait partie d’une vie de plus en plus chère et nous luttons contre ça depuis des années », signale Charles Casabianca, membre insulaire du syndicat.

Le « paradoxe » corse

Si le constat est également partagé par la population, les mobilisations populaires n’attirent pas foule. Jean Brignole relève un « paradoxe » sans pour autant y trouver la moindre explication. « Les gens sont touchés mais ne vont pas descendre dans la rue car ils paient plus cher qu’ailleurs. Tous les ingrédients sont présents pour une mobilisation populaire mais ça ne prend pas », constate-t-il. L’île est pourtant la région la plus pauvre de France. Selon une étude de l’Insee datant de 2021, 18,5 % de la population insulaire vit sous le seuil de pauvreté.
 
Charles Casabianca est tout aussi dubitatif mais évoque déjà une piste de réflexion : « faire une journée de grève c’est perdre de l’argent. La pauvreté grandissante entrave les gens. Ils n’ont pas forcément ni l’envie ni le pouvoir de perdre 50 euros pour manifester ». Se mobiliser le week-end serait-il la solution ? Pas pour le syndicaliste de la CGT qui note « ne pas mobiliser d’avantage le samedi et le dimanche ».

Le culte de la fatalité ?

Elle est une des pistes évoquées par plusieurs acteurs sociaux. Plus spécifiquement sur la thématique des carburants, le représentant du collectif ‘’Agissons contre la cherté des carburants en Corse’’, Fréderic Poletti porte une autre sorte de mobilisation : « nous ne nous sommes pas emparés du créneau de la rue. Notre combat est plutôt au niveau de l’analyse avec une partie de lobbying vers les élus insulaires ». Une délégation du collectif était présente à l’Assemblée de Corse le 1er octobre dernier pour assister au débat sur le rapport relatif au prix des carburants présenté par le président de l’exécutif Gilles Simeoni.
 
Le collectif avait également tenté de faire battre le pavé aux corses en avril 2021 à Bastia. Sans succès. Seul un peu plus d’une centaine de personnes étaient présentes. « Il faut être capable de maintenir une mobilisation forte mais ici ça ne dure pas », déplore Frédéric Poletti.
 
Comment l’expliquer ? Tout comme les syndicats, il ne saurait le faire qu’en invoquant l’argument d’un imaginaire collectif biaisé : « depuis des années on nous fait croire que la Corse est responsable du prix élevé de la vie à cause de son insularité et de ses routes sinueuses mais notre véritable ennemi commun c’est le fatalisme ! », expose-t-il.
Le destin plus fort que la volonté populaire ? « Les gens n’y croient plus, c’est surtout ça qui est préoccupant », regrette Frédéric Poletti. Autre paradoxe, il relève « une forte adhésion et de plus en plus de critiques sur les réseaux sociaux ». C’est pourtant bien la réalité qui frappe de plein fouet le quotidien de près d’un Corse sur cinq, celle d’une île où la vie serait plus chère qu’ailleurs, sans forcément avoir ses raisons.