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Édouard Philippe en Corse : « Pas d'avancées » pour Gilles Simeoni et Jean-Guy Talamoni


Nicole Mari le Jeudi 4 Juillet 2019 à 00:22

L'entretien entre le Premier ministre Édouard Philippe et les présidents du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse, Gilles Simeoni, et de l'Assemblée de Corse, Jean-Guy Talamoni, a débordé d'une vingtaine de minutes sur l'horaire prévu. Ce qui n’a guère changé la donne. Les présidents corses ont longuement parlé, plaidé tous les sujets fondamentaux, notamment la langue et les prisonniers, et redit que la question corse était d’abord et avant tout politique. Le Premier ministre a écouté, mais n’a rien répondu. A l’issue de l’entretien, les Nationalistes ont pris acte de « la porte fermée » et du « blocage » qui perdure.



Le président de l'Assemblée de Corse, Jean-Guy Talamoni, le président de l'Exécutif corse, Gilles Simeoni, et le Premier ministre, Edouard Philippe, à l'arrivée au siège bastiais de la Collectivité de Corse.
Le président de l'Assemblée de Corse, Jean-Guy Talamoni, le président de l'Exécutif corse, Gilles Simeoni, et le Premier ministre, Edouard Philippe, à l'arrivée au siège bastiais de la Collectivité de Corse.
Les Nationalistes n’attendaient rien de cette première visite officielle du Premier ministre dans l’île. Rien, dans les entretiens téléphoniques entre Gilles Simeoni et Edouard Philippe, en amont du voyage, ne laissait supposer une quelconque ouverture, mais répondant à l’appel au dialogue de Matignon, ils ont, en dépit de tout, encore une fois, accepté de jouer le jeu. «  La majorité territoriale est totalement disponible pour aborder l'ensemble des sujets qui sont considérés par la société corse comme essentiels… Tout cela, nous sommes prêts à en parler avec vous. La question corse n'est pas seulement une question économique, sociale, environnementale, elle est aussi une question fondamentale politique. Ce qui a fait cruellement défaut jusqu’à aujourd'hui, c’est la mise en perspective politique. Nous avons besoin d'entendre de la part du Premier ministre et du Chef de l’Etat que oui, depuis un demi siècle dans cette île, il y a eu une situation souvent malheureusement de conflit qui puise à l’histoire, au droit et à la volonté d’un petit peuple d’être reconnu dans son existence et dans ses droits… Ne pas prendre en compte cette dimension, c'est un déni de démocratie et prendre le risque cruel de l'échec pour la Corse, de l'échec pour la République, et de l'échec pour ceux qui vivent ici et qui y vivront demain. Nous espérons que vos mots sauront ouvrir des perspectives fécondes. Je reste persuadé qu'il existe un chemin qui va permettre à cette île d’avancer sur la route de l’émancipation et que ce chemin est tout à fait conciliable avec ce que dit, ce que veut et ce que pense la République », a résumé le président de l’Exécutif, Gilles Simeoni, dans la cour d’honneur du musée de Bastia où il a été invité à prendre la parole de manière impromptue avant l’intervention du Premier ministre. Une parole très applaudie par les élus et acteurs économiques et sociaux de Haute-Corse réunis pour l’occasion.

Un acte manqué
Mais les mots d’Edouard Philippe n’ont, au final, ni pendant l’entretien à huis-clos d’une heure au siège bastiais de la Collectivité de Corse, ni dans son discours public du musée, ouvert une quelconque perspective. A l’issue de ces deux séquences, les présidents nationalistes ont fait un constat désabusé. « Pas d’avancées. Le Premier ministre et les ministres qui l’accompagnaient ont écouté nos demandes, notre démonstration. Le Premier ministre en a pris acte. Nous n’attendions pas de réponses immédiates. Ce que nous souhaitons, c’est une modification profonde du cap pris par le gouvernement et l’Etat en Corse. Nous espérons que cela sera le cas dans les jours ou les semaines à-venir », poursuit Gilles Simeoni. Que pense-t-il du changement annoncé de méthode ? « Trop tôt pour le dire », répond-il prudemment. « Nous avons fait le choix d’être présents aujourd’hui, de réaffirmer de façon très claire notre volonté de dialogue et notre disponibilité dans tous les dossiers et dans tous les domaines. Nous attendrons la position du Chef de l’Etat, nous avons bien compris qu’in fine, c’est lui qui donne le La ». Garde-t-il un espoir de voir advenir l’acte II que les Nationalistes appellent de leurs vœux ? « L’acte I des relations entre la Corse et l’Etat est manifestement un acte manqué. Peu importe de savoir qui porte la responsabilité principale de cet échec. Ce qui compte, c’est de savoir s’il y a la volonté d’ouvrir un acte II qui permettrait de construire un véritable dialogue et une solution politique qui se déclinerait ensuite dans tous les domaines. Nous avons cette volonté, nous espérons qu’il y aura la même volonté du côté de Paris. Mais pour l’instant, il n’y a aucun signe d’évolution de ce côté-là. Nous constatons le maintien du cap antérieur. Il n’y a pas de rupture, mais une continuité dans l’attitude. C’est très regrettable ! L’Etat ne crée pas les conditions pour que nous avancions de manière significative, mais nous continuerons à le faire au service de l’intérêt général ».

Rien de nouveau
Une position « rigoureusement partagée » par le président de l’Assemblée de Corse, Jean-Guy Talamoni. « Notre majorité s’est consultée concernant cette visite du Premier ministre. Nous avons décidé de faire une nouvelle tentative pour simplement demander l’ouverture d’un processus de dialogue entre Paris et la Corse, la reconnaissance de la question corse dans sa dimension historique. De là découlent des dossiers économiques et techniques qu’il faudra examiner. Aujourd’hui, notre propos devait être politique. Il l’a été. Nous avons argumenté de manière forte notre position et notre projet. Nous n’attendions pas de réponses immédiates, mais nous attendons, dans les faits, un changement d’attitude de Paris. Pour l’heure, il n’y a rien de bien nouveau du côté de Paris ». Les rapports restent-ils compliqués ? « Compliqué, ça ne l’est pas spécialement pour notre majorité, mais pour l’ensemble de la Corse. N’oublions pas que la démocratie a parlé en Corse, à trois reprises, et qu’en décembre 2017, elle nous a donné la majorité absolue. Nous avons rappelé la nécessité de prendre en compte ce fait démocratique. Nous n’avons pas davantage de succès quand nous parlons au nom des élus corses. Certains votes ont été obtenus à l’unanimité de l’Assemblée de Corse et il n’en est tenu aucun compte du côté de Paris. On peut parler de déni de démocratie. Nous avons dit au Premier ministre que cette situation ne pouvait pas durer, qu’elle entrainait un profond malaise dans la société ».

Pool Photos Corse Matin - Angèle Chavazas
Pool Photos Corse Matin - Angèle Chavazas
Une violence symbolique
Les Nationalistes restent-ils confiants pour la suite ? « Confiants pour la Corse forcément puisque ce pays a tous les atouts pour se développer. La situation actuelle est incontestablement difficile, sans doute même dangereuse. La non-prise en compte du fait démocratique crée une frustration et des tensions, cela donne aussi de l’espace à un certain nombre de forces centripètes qui peuvent avoir la tentation de penser que la démocratie ne sert à rien. Nous restons persuadés que la démocratie est le seul chemin qui vaille. Nous ne sommes pas dans une logique de préalable. Nous disons seulement qu’il faut entendre ce que disent les Corses, à travers le suffrage universel. Il faut créer un cadre politique parce que le dialogue n’est pas une fin en soi. C’est un moyen d’arriver selon un calendrier et des objectifs définis à une solution politique », ajoute Gilles Simeoni. « Nous sommes dans le fil historique d’un combat qui dure depuis un demi-siècle. Aucun des fondamentaux, qui sont au cœur de notre engagement, n’est, pour l’instant, pris en compte par l’Etat. C’est une violence symbolique forte ! Il ne faut pas tomber dans le piège qui pourrait être tendu ».
 
Une impasse
Sur la question des prisonniers politiques : « Nous avons demandé que les trois personnes qui restent détenues au titre de la participation à l’assassinat du Préfet Erignac soient traitées comme tous les justiciables, que leur statut de DPS soit levé et qu’elles viennent, à très bref délai, purger leur reliquat de peine près de leurs familles en Corse. C’est l’application du droit français et européen. Tout autre choix serait la négation du droit. Nous l’avons dit de façon sereine et, là aussi, très argumentée ». Et de conclure : « Nous sommes, aujourd’hui, dans une situation d’impasse qui ne tend pas à être dénouée. Je le regrette profondément. Je le regrette d’autant plus que les conditions sont réunies malgré les difficultés pour s’engager sur un autre chemin. Mais, pour le faire, il faut être deux ! Nous avons la volonté de le faire, l’Etat ne l’a pas ! ».

Une fausse annonce
Concernant l’annulation du recours au fond de l’Etat sur le marché de la fibre ? « L’Etat a certainement pris acte que son recours devant le tribunal administratif ne pouvait pas prospérer. Le juge des référés a répondu de façon parfaitement argumentée à chacun des griefs avancés en expliquant que ces griefs n’étaient pas de nature à justifier l’annulation ou la suspension. Dont acte. Dans sa lettre adressée au tribunal à des fins de désistement, la préfète de Corse, de façon très étonnante, ajoute, qu’il appartiendra maintenant à l’autorité judiciaire, dans le cadre de l’enquête préliminaire, de regarder si au plan pénal, il y a matière à annulation de ce contrat. Je suis étonné parce que c’est une précision qui n’a pas lieu d’être dans le cadre d’un désistement. Cela semble montrer qu’ayant été défait su le terrain du droit administratif, l’Etat semble vouloir continuer à contester cette convention sur le terrain pénal. J’en prends acte. Je suis très serein et déterminé à avancer sur ce dossier structurant pour la Corse, notamment la Corse de l’intérieur ».
 
Propos recueillis par Nicole MARI.
 

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