En Corse, comme ailleurs en France, les médecins libéraux ont entamé ce lundi une grève illimitée pour dénoncer un projet de loi encadrant leur liberté d'installation. Lancée à l’échelle nationale par les médecins libéraux, cette action vise à protester contre la proposition de loi portée par le député Guillaume Garot, dont l'article premier — visant à encadrer l’installation des jeunes médecins pour lutter contre les déserts médicaux — a déjà été adopté à l’Assemblée nationale. Jugé « injuste, inutile et dangereux » par de nombreux professionnels, ce texte suscite une vive colère dans la profession. Pour les praticiens, il s'agit d’une nouvelle attaque contre une médecine libérale déjà fragilisée. « On veut faire porter à de jeunes médecins la responsabilité d'aller s'installer seuls, avec leur famille, dans des zones abandonnées par l’État, où il n'y a plus de service public », déplore Antoine Grisoni, président de l’URPS Médecins Libéraux de Corse. « Ce n’est pas à nous de régler trente ans de politiques ineptes et néfastes. »
Le projet de loi prévoit d'encadrer la liberté d’installation en orientant les jeunes diplômés vers les déserts médicaux. Une logique dénoncée par Cyrille Brunel, porte-parole du collectif ML Corsica : « Contester la liberté d'installation, c'est contester la médecine libérale. On nous parle de résoudre les problèmes des déserts médicaux, ce que nous partageons. Le problème, c'est qu'entre 84 et 90 % du territoire français est considéré comme désert médical. Nous y sommes déjà quasiment tous. » Antoine Grisoni souligne, de son côté, que ces mesures risquent d'aggraver la crise des vocations : « Depuis dix ans, il y a de moins en moins d'installations en libéral, au profit du salariat, voire d'abandons en cours ou à la fin des études. L'âge moyen d'installation recule. En Corse, on a vu des médecins tenter de s’installer dans le Niolu et devoir renoncer après un ou deux ans. Un médecin a du mal à vivre l’hiver dans des zones faiblement peuplées, et l'été, il est débordé par l'afflux de touristes. La situation devient ingérable. »
Pour les praticiens mobilisés, les jeunes médecins ne se détourneront pas des déserts médicaux par méconnaissance, mais parce qu'ils ont déjà mesuré la réalité de ces territoires. « À la fin de leurs études, les internes vont déjà dans les déserts médicaux pendant un an », rappelle Cyrille Brunel. « Ils travaillent parfois 90 heures par semaine pour pallier le manque de médecins dans les hôpitaux. Ils connaissent parfaitement les réalités de ces zones. Si le gouvernement veut les y contraindre, il faudrait qu’il n’existe pas d'alternative. Mais aujourd’hui, il y a des postes vacants dans les EHPAD, dans les assurances, et 30 % des postes hospitaliers ne sont pas pourvus. Ce qu’on va provoquer, c'est la fuite de nos jeunes confrères vers ces secteurs. »
Les médecins critiques face au projet de François Bayrou
Ce vendredi, le Premier ministre François Bayrou a présenté le « pacte de lutte contre les déserts médicaux » que le gouvernement souhaite instaurer. La proposition repose sur la création d’une « solidarité territoriale », qui obligerait tous les médecins à consacrer deux jours par mois à des consultations dans les zones sous-dotées. Une idée qui, loin de convaincre, a suscité l'indignation de nombreux professionnels de santé. « Cette proposition suppose énormément de sacrifices, c'est une fausse bonne solution », estime Antoine Grisoni. « Quand les médecins passeront deux jours par mois dans les zones reculées, ils ne seront pas résents dans leurs cabinets habituels. Ce manque se fera sentir ailleurs. »
De son côté, Cyrille Brunel rappelle que cette solution « a déjà été envisagée et soutenue par certains syndicats de médecins ». « Une partie des médecins est prête à aller dans les zones où il n’y a plus de praticien. Le problème, ce n’est pas de se déplacer, mais de trouver des locaux, du matériel, et de compenser le temps de trajet, car cela fait perdre du temps de consultation. Par exemple, les vingt consultations que je ne ferai pas à Furiani, je les ferai ailleurs, mais à la fin de l'année, je n'aurai pas soigné plus de patients. La pénurie sera simplement mieux répartie. » Selon lui, « il faut que les solutions proposées par nos responsables politiques soient réellement efficaces ». « Nous ne sommes pas fermés à la discussion sur cette idée, mais encore faut-il consulter ceux qui sont concernés. »
La grève des médecins libéraux se poursuit ce mardi, avec deux rassemblements organisés devant les hôpitaux de Bastia et d’Ajaccio. Un mouvement « transgénérationnel » réunissant internes et médecins installés. « D'un côté, il y a le projet de loi, auquel nous sommes totalement opposés, et de l'autre, la proposition du Premier ministre, sur laquelle nous sommes prêts à discuter », souligne Cyrille Brunel. « Nous attendons que le projet soit présenté à l'Assemblée nationale, mais il faut qu'ils arrêtent de faire semblant, c'est tout. »