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De la pénitence à la fête : en Corse, la Semaine sainte passe aussi par les assiettes


Mario Grazi le Jeudi 17 Avril 2025 à 16:53

Pas de Pâques à Corte sans le respect des traditions : jeûne, simplicité, et recettes transmises de génération en génération marquent encore aujourd’hui les repas de la Semaine sainte.



Le dimanche de Pâques, l'agneau, cuisiné sous toutes ses formes, sera sur toutes les tables à Corte (Photos Grazi Ritratti)
Le dimanche de Pâques, l'agneau, cuisiné sous toutes ses formes, sera sur toutes les tables à Corte (Photos Grazi Ritratti)

Depuis dimanche, jour des Rameaux, les catholiques sont entrés dans la Semaine sainte. Une semaine marquée, à Corte, par le respect des traditions culinaires. Certes, par le passé, les anciens évitaient de consommer de la viande durant toute cette période précédant Pâques. Ce n’est plus systématiquement le cas aujourd’hui. Toutefois, les Jeudi et Vendredi saints, les Cortenais restent fidèles aux plats traditionnels, à commencer par les beignets de courge. Préparés simplement avec de la courge, de la farine, du sel et de l’eau, ils sont ensuite plongés dans l’huile de friture puis roulés dans du sucre. Les œufs sont proscrits ce jour-là. La tradition veut que cette courge ait été récoltée le 31 octobre de l’année précédente !
On épluche donc la courge orangée avant de la couper en petits cubes, que l’on fait bouillir pendant 20 minutes. Une fois égouttés, les morceaux sont écrasés pour être mélangés à de la farine, de la levure fraîche et de l’eau. On ajoute une cuillère à soupe d’huile d’olive et une cuillère à café de sel, puis on laisse reposer la pâte une heure avant de passer à la friture. Pour un kilo de courge, on utilise 400 g de farine, 15 g de levure de boulanger diluée dans de l’eau tiède, et les ingrédients mentionnés.

 


Quant au plat de résistance, simple et nourrissant, il s’agit d’une soupe de pois chiches et de pâtes fraîches, généralement des taglierini. Aujourd’hui, par souci de simplicité, les nouilles remplacent souvent les pâtes maison. La recette est la suivante : on fait roussir deux gousses d’ail dans de l’huile d’olive, puis on y ajoute deux cuillères à soupe de concentré de tomates. On incorpore une boîte de pois chiches précuits rincés, on couvre d’eau à hauteur, puis on sale. Après 30 minutes de cuisson, on ajoute un verre d’eau si nécessaire, et on verse alors 150 g de nouilles. Cette soupe de « paste è ceci » est dégustée à midi et le soir, en famille, accompagnée, en dessert, des fameux beignets de courge.

Le Vendredi saint, la tradition veut que l’on poursuive le carême avec un « plat du pauvre » : la morue. Autrefois, on trouvait dans toutes les épiceries de Corte ces grands pavés de morue salée, les « sciappe di baccalà », qu’il fallait dessaler pendant 24 heures. Aujourd’hui, les Cortenais achètent simplement du cabillaud. On en farine les darnes avant de les faire revenir dans une cocotte. Une fois dorées sur les deux faces, on ajoute trois poireaux émincés que l’on mélange délicatement au poisson. On ajoute ensuite deux cuillères de concentré de tomates et une bouteille de coulis. Selon les goûts, on peut ajouter des pommes de terre, du piment, du sel, un peu d’eau à hauteur et une feuille de laurier. Ce repas est servi le vendredi soir également, sans entrée, sans fromage ni dessert, dans le respect strict de la tradition cortenaise.
 

Le samedi venu, la viande reste proscrite. Mais le dimanche de Pâques, c’est le grand retour des œufs dans les assiettes et surtout, de l’agneau nustrale ! En sauce ou au four, il régale la famille réunie pour célébrer la Résurrection du Christ. « La tradition de l’agneau pascal est respectée à Corte et je me fournis auprès des éleveurs du Cortenais, car les bergers sont nombreux dans la région à élever des agneaux. Même si nous avons un peu de demande sur le cabri, c’est l’agneau qui est privilégié. La clientèle achète généralement un agneau ou un demi, en fonction du nombre de personnes à table. Néanmoins, la tradition s’enorgueillit d’une variante : après le gigot piqué d’ail, avec ou sans os, on peut aussi opter pour une souris d’agneau confite ou pour « l’avant » préparé à la stretta. Face à la concurrence néo-zélandaise, qui propose de l’agneau trois fois moins cher, les Cortenais restent fidèles à leur agneau nustrale. En dehors de cette période, précisons toutefois que c’est l’agneau de viande qui est préféré à l’agneau de lait corse », explique Éric Faucon, responsable de la boucherie Moracchini.

À Corte, la majorité opte pour un agneau préparé en sauce à la « stretta », autrement dit en daube, que l’on appelle ici « stufatu ». On utilise la moitié d’un agneau que l’on nettoie avec de l’eau-de-vie pour éliminer les poils, avant de le faire roussir dans de l’huile neutre. Ce roussissage, d’environ 15 minutes, est essentiel pour obtenir une sauce liée, épaisse et savoureuse – jusqu’à « liccà u bavellu ». On ajoute ensuite six ou sept gousses d’ail écrasées, on mélange bien, puis on verse la moitié d’une bonne bouteille de vin rouge avec trois cuillères à soupe de concentré de tomates. Après évaporation du vin, on couvre d’eau à hauteur et on ajoute deux feuilles de laurier et un brin de nepita. On ajuste enfin le sel et le poivre, et on laisse mijoter une heure trente. Le plat se déguste avec des lasagnes au brocciu et à la menthe fraîche, ou des tagliatelles maison parsemées de parmesan ou de casgiu vechju.

Le lundi de Pâques, place à la merendella, où l’on partage migliacci, campanili et autres douceurs en plein air. Bona robba è Bone Pasque !

Gilda Emmanuelli et Mario Grazi

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