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Dans une lettre ouverte au Garde des Sceaux, l'écrivain Roland Laurette demande la révision du procès d'Yvan Colonna


C.-V. M le Lundi 3 Août 2020 à 18:22

L'écrivain Roland Laurette passe pour l'un des meilleurs connaisseurs du dossier Colonna*. L'agrégé de Lettres modernes, professeur de culture générale en classe préparatoire à HEC, s'adresse aujourd'hui - dans une lettre ouverte - au Garde des Sceaux Eric Dupont-Moretti, qui fut l'un des défenseurs d'Yvan Colonna. Il lui demande, dans le cadre de la réforme de la justice préconisée par le ministre, "la révision d'un procès aussi inéquitable qui a conduit un innocent sous les verrous depuis 17 ans."
Selon lui, "il faudrait d'abord réunir ces collèges d'experts demandés par A. Mannarini (balistique) et E. Agnel, (téléphonie). Ils ont poursuivi leurs investigations** et disent apporter des preuves nouvelles".



Yvan Colonna a été condamné en 2011 à la prison à perpétuité pour avoir participé à l’assassinat en 1998 du préfet Claude Erignac
Yvan Colonna a été condamné en 2011 à la prison à perpétuité pour avoir participé à l’assassinat en 1998 du préfet Claude Erignac
"Monsieur le Ministre,
Votre nomination au poste de garde des sceaux représente la chance historique d'initier la réforme de notre système judiciaire que vous aviez récemment préconisée : séparation du judiciaire et de l'exécutif ; impartialité du juge entre accusation et défense ; responsabilité du juge.
L'affaire Colonna est la synthèse de tous les maux appelant ces remèdes.
Yvan Colonna a été condamné à la réclusion à la perpétuité par trois cours d'assises « spécialement composées » parce qu'il aurait participé dans la nuit du 5 au 6 septembre 1997 à l'attaque de la gendarmerie de Pietrosella (Haute-Corse) et qu'il aurait été le tireur dans l'assassinat de Claude Érignac, préfet de Corse, au soir du 6 février 1998. Arrêté le 4 juillet 2003, il est en prison depuis.


Il est temps de rappeler les éléments essentiels de cette affaire. Ils stigmatisent une justice d'exception exceptionnellement inéquitable.
Des accusations mensongères : En garde à vue, les membres du « commando Érignac » passent aux aveux. Maranelli accuse Colonna d'avoir été le tireur. Alessandri, présent sur les lieux du drame, l'accuse aussi mais dit avoir regardé ailleurs. Ottaviani reste vague. Le chef du commando « n'accuse personne ». Tout le dossier de l'accusation repose sur ces mises en cause disparates. Elles sont en fait truffées de contradictions. En voici trois.


La première concerne Pietrosella : seuls Versini et Alessandri affirment que Colonna y était mais appartenait au sous-groupe de l'autre. Où était-il donc ?
La deuxième porte sur l'arme du crime : Alessandri dit l'avoir remise à Colonna. Maranelli dit avoir conduit Colonna à « une adresse en ville » où « quelqu'un » lui aurait remis le pistolet.
La troisième concerne le jour suivant l'assassinat. L'épouse de Maranelli affirme que Colonna est venu voir son mari, à Cargèse, avant neuf heures du matin. Celle de Ferrandi, affirme qu'il est resté chez elle, à Ajaccio, jusqu'au samedi midi. Vers neuf heures, Colonna aurait donc été à la fois à Cargèse et à Ajaccio !
Et voici le coup de grâce au scénario de l'accusation : E. Agnel, expert en téléphonie auprès des tribunaux, a analysé les huit appels reliant Maranelli à Ferrandi entre 20h16 et 20h57, le 6 février. Grâce aux relais et antennes téléphoniques activés, il fixe la gestion du temps et le parcours suivi par les deux voitures du commando. Ils sont incompatibles avec les déclarations de garde à vue. Colonna a bien été condamné à la perpétuité sur la base d'un scénario factice.


Une culpabilité improbable. Deux témoins oculaires de l'assassinat disent : « le tueur que nous avons vu n'était pas Colonna ». En revanche, plusieurs témoins voient l'accusé à Cargèse le soir de Pietrosella et le soir du 6 février.
Au procès de 2009, l'expert en balistique A. Mannarini crée l'événement : son rapport montre que le tueur du préfet était plus grand que sa victime. Le médecin légiste, l'expert J.C.Schlinger et le témoin oculaire J. Colombani confirment ces conclusions. Ce qui exclut Colonna.


Quelle justice ? Le dossier d'accusation sera pourtant renvoyé devant trois cours d'assises, toutes trois « spécialement composées » par le même Premier Président de la cour de Cassation, lui-même nommé par le seul Président Sarkozy.
Déclaration du procureur au premier procès : « Sur Pietrosella, je n'ai rien et il faudra vous contenter de rien ». Le juge Thiel avait pourtant signé l'ordonnance de renvoi. Pour l'assassinat du préfet, les accusateurs s'étant rétractés que restait-il de tangible à la juge Le Vert ? Pour elle, à l'évidence, les membres du commando disent la vérité quand ils chargent Colonna, ils mentent quand ils l'innocentent. Plus fort encore : en 2004, Alessandri lui écrit pour s'accuser d'être le tueur. Aveu considérable dont elle ne tient aucun compte : le scénario bâti à partir des gardes à vue est tabou. Ainsi, aucun juge n'a-t-il entendu le propos si clair d'Alessandri : « Il y avait d'autres complices dont les noms n'ont jamais été donnés. J'ai donné le nom d'Y. Colonna pour protéger ces autres personnes qui ont participé et conçu l'attentat. » Colonna devait à tout prix rester le tueur. D'où, par exemple, l'absence de toute reconstitution sur place avec les témoins oculaires.


Pire encore. Au troisième procès, l'expert E. Agnel, montre que la téléphonie anéantit le scénario retenu. Le juge Stéphan le contraint au silence : « Non, non, rasseyez-vous ! On vous a assez entendu ! » Il justifie même les pirouettes à la barre du chef de l'enquête : « Le témoin répond ce qu'il veut », dit-il à la défense. Un comble. Le dossier monté contre Colonna était tellement vide que le chef de l'enquête ou le procureur J.-C. Kross, ont fini par se réfugier derrière leur « intime conviction ».
On pourrait encore évoquer le viol de la présomption d'innocence, les pressions subies par les témoins à décharge, les pièces disparues du dossier, les mensonges des enquêteurs, les coups tordus scandaleux...


Oui, il faut réformer la Justice selon les principes que vous avez énoncés.
Pour amorcer une telle révolution, je propose que l'Exécutif lance la révision d'un procès aussi inéquitable qui a conduit un innocent sous les verrous depuis 17 ans. Il faudrait d'abord réunir ces collèges d'experts demandés par A. Mannarini (balistique) et E. Agnel, (téléphonie). Ils ont poursuivi leurs investigations** et disent apporter des preuves nouvelles.
On dira : ce n'est pas au ministre de purger les problèmes non réglés par l'avocat. Les intérêts supérieurs de la Justice et la simple humanité ne dépassent-ils pas largement les limites d'un conflit d'intérêt bien théorique ? Et n'oublions pas : l'équité mène à l'acceptation de la loi et à la paix."
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*Roland Laurette « Le Roman de Ghjuvanni Stéphagèse » « L'innocence qui dérange ». 
* *cf un nouveau rapport rédigé par E. Agnel et, sur facebook, affaire Mannarini Colonna 27 août 2019 et 23 juillet 2020 + mannariniover-blog.fr