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Création d'un pôle contre la criminalité organisée en Corse : une avancée saluée mais pas sans réserves


Christophe Giudicelli le Jeudi 5 Juin 2025 à 20:35

Annoncée en février devant l'Assemblée de Corse, la création d’un pôle anticriminalité dédié au traitement des affaires insulaires a été confirmée ce jeudi 5 juin à Bastia par Gérald Darmanin. Un dispositif inédit à l’échelle nationale, salué par les juridictions locales, mais accueilli avec vigilance par les barreaux corses



L’annonce était attendue depuis plusieurs mois. Jeudi à Bastia, Gérald Darmanin a confirmé jeudi 5 l’installation d’un pôle anticriminalité dédié au traitement des affaires liées au crime organisé insulaire. Une annonce qui confirme la ligne esquissée devant l’Assemblée de Corse en février, au cours de la session spéciale consacrée à la lutte contre la criminalité mafieuse.

Dans ce dispositif inédit à l’échelle nationale, Bastia devient le centre judiciaire du traitement des affaires de criminalité organisée en Corse, avec une montée en puissance progressive : 57 postes supplémentaires – magistrats, greffiers, assistants – seront créés d’ici 2027, dont 17 pourvus par des magistrats. Les premiers renforts sont attendus dès septembre.


« Une grande satisfaction » pour la cour d’appel
Du côté des juridictions, l’annonce est bien accueillie. Pour Hélène Davos, première présidente de la cour d’appel de Bastia, « la lutte contre la criminalité organisée va être totalement réorganisée » et cette réforme constitue « une grande satisfaction ». Elle salue un dispositif « comme une fusée à plusieurs étages » : « Le très haut du spectre va être jugé à Paris par le Parquet national, la JIRS de Marseille continuera de traiter les assassinats. Ce nouveau pôle, installé à Bastia, va s’emparer des problématiques comme les extorsions, qui ne sont pas gérées en Corse actuellement. Avec plus de moyens, nous pourrons nous emparer de plus de problématiques. »

Même discours pour Jean-Jacques Fagni, le procureur général près de la cour d’appel de Bastia : « C’est un projet mûrement réfléchi et nous avons offert au ministre un certain nombre de documents sur la criminalité corse. C’est la suite logique, avec la présentation de moyens nouveaux pour lutter efficacement contre la criminalité organisée au niveau régional. Ce pôle de lutte va nous donner des moyens complémentaires : en magistrats, en fonctionnaires, en assistants spécialisés en matière d’analyse criminelle. Cela va renforcer nos actions dans des domaines où nous ne sommes pas absents, mais dans lesquels nous ne sommes pas totalement efficaces. » Objectif affiché : obtenir des résultats sur le terrain dans un contexte où la Corse semble s’enfoncer de plus en plus dans une spirale désastreuse et mortifère : incendies à répétition, assassinats, victimes collatérales. Pour Hélène Davos : « Il y a une urgence. Nous sommes dans un moment que je qualifierais de basculement. L’attente de nos concitoyens est légitime et nous oblige, nous professionnels, à être au rendez-vous. »
 


Les bâtonniers
Les bâtonniers

Les barreaux vigilants
Si la création du pôle bastiais est saluée dans ses principes, elle suscite aussi des réserves du côté des barreaux insulaires. A la sortie d'un entretien avec le ministre Darmanin, Me Marie Colombani, bâtonnière d’Ajaccio, rappelle que les avocats n’ont été que partiellement associés au processus de mise en place : « Ce qui nous inquiétait surtout, c’était de savoir comment allait se construire ce pôle. Nous avons été entendus par la mission de préfiguration, mais sans retours très précis. » Elle souligne que la structure, bien qu’annoncée comme exceptionnelle, « n’en est pas vraiment une », au regard de ses modalités régionales encore à affiner. « L’essentiel, c’est que la lutte contre la criminalité puisse reposer sur une véritable politique judiciaire à l’échelle de la Corse, sans affaiblir la juridiction ajaccienne. » La bâtonnière rappelle les demandes conjointes des deux barreaux : « Ce que nous demandons, ce sont des moyens humains. Des magistrats, des greffiers, mais aussi des policiers, des techniciens. Il faut des gens pour traiter, arrêter, investiguer. Il n’a jamais été question de supprimer la compétence de la JIRS de Marseille, et cela n’a d’ailleurs pas été évoqué par le ministre. »

Interrogé sur les réserves exprimées par les ordres, Gérald Darmanin a appelé à « raison garder ». « Les avocats font leur travail, mais je pense aussi aux avocats des victimes », a-t-il lancé, en évoquant les violences récentes qui ont marqué l’actualité insulaire. Il cite notamment le décès d’une jeune fille, « morte dans des conditions absolument ignobles », comme illustration de l’urgence à agir. Pour le garde des Sceaux, l’enjeu dépasse les équilibres institutionnels : « Quand on est sous la pression des extorsions de fonds, des incendies criminels, des assassinats, il faut que l’État protège. Il ne s’agit pas que la mafia l’emporte, comme elle a pu le faire sur d’autres îles méditerranéennes. Ce sont les règles de la République qui doivent prévaloir. » Et de conclure : « Bien sûr, les droits de la défense sont essentiels. Les magistrats sont les premiers garants de l’État de droit. Mais notre devoir est aussi de répondre à l’attente de justice. »
 

Mais au-delà du principe, des doutes persistent sur la capacité de l’institution à concrétiser les engagements annoncés, notamment en matière de recrutement. Pour le bâtonnier du barreau de Bastia, Me Benoît Bronzini de Caraffa, la question de l’attractivité du territoire reste entière « Aujourd’hui, il y a des postes qui sont ouverts à Bastia et pas pourvus parce qu’il n’y a pas de magistrats qui ont été volontaires sur ces postes-là. Les magistrats sont dans une position très particulière, on ne peut pas les forcer à venir sur un territoire, donc il faut aussi rendre le territoire attractif. Je ne sais pas s’il y a de la peur, après on a une histoire un peu compliquée, il y a évidemment des magistrats qui ont été menacés. Après, je pense qu’au-delà de la question des menaces éventuelles qui pèsent sur les magistrats... » Une inquiétude entendue par le ministère. Jean-Jacques Fagni précise que  « Des mesures d’accompagnement des magistrats et de leurs familles ont été mises en place pour faciliter la venue. Au niveau national, le ministère de la Justice a créé une filière pour les magistrats intéressés par la lutte contre le crime organisé. Nous allons avoir une filière d’excellence dans ce domaine. »

Une table ronde sur l’attractivité sera organisée en présence de Gérald Darmanin ce vendredi 6 juin.