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Charlotte Terrighi : « Les affaires de la Corse sont les affaires de la France, et les affaires de la France sont les affaires de la Corse »


Nicole Mari le Mercredi 26 Octobre 2022 à 09:58

Conseillère territoriale d’opposition, membre du groupe de droite U Soffiu Novu, Charlotte Terrighi, maire de Vignale depuis 27 ans, représente, à l’Assemblée de Corse, le territoire de Marana-Golo. Connue pour son engagement sur le terrain et son sens de la proximité, cette élue discrète a aussi des convictions politiques fortes et des idées qu’elle entend défendre. Ancienne conseillère départementale, elle déplore la disparition des départements. Elue de droite, elle tire à boulets rouges sur le pouvoir nationaliste. Elle explique à Corse Net Infos qu’elle est une régionaliste convaincue, animée par « une certaine idée » de la Corse, mais refuse toute idée d’autonomie qu’elle taxe d’idéologie. Pour elle, il n’y a pas de problème corse, mais des problèmes en Corse auxquels il est urgent d’apporter des solutions.



- La dernière session de l’Assemblée de Corse a été écourtée, suite à la décision de justice infirmant la demande de libération conditionnelle de Pierre Alessandri. Avez-vous quitté l’hémicycle également en guise de protestation ?
- Par la force des choses seulement ! En l’absence de la majorité territoriale, de l’Exécutif et faute de quorum… D’un point de vue humain, le maintien en détention après près d’un quart de siècle d’Alain Ferrandi et Pierre Alessandri est effectivement excessif. Il y a des familles autour des hommes qui, elles aussi, ont payé indirectement le prix de cette folie à la société. Je ne pense pas que le motif de « troubles à l’ordre public » soit fondé en cas de libération. Ceci dit, il faut reconnaître que les évènements, que la Corse a connu au printemps dernier, peuvent encourager les magistrats à penser le contraire ! Lorsqu’à l’issue de la réunion de la délégation organisée le 7 septembre, le Président Simeoni affirme que la Corse a donné des gages d’apaisement ces dernières années depuis l’arrêt des activités du FLNC en 2014, il oublie clairement les heurts et débordements spectaculaires du mois de mars, dignes des cités les plus dangereuses de la banlieue parisienne. Laisser croire à la jeunesse que les discussions avec Paris ont démarré avec les violences, ce n’est pas pousser l’analyse très loin ! Elles les ont certes précipitées, mais le processus de décentralisation est prégnant dans tous les pays européens pour arriver à un juste équilibre entre les territoires et la mondialisation croissante. Le sujet est arrivé à maturité, et cet espace de dialogue ouvert à Beauvau est propice pour notre île qui a la chance de pouvoir aller plus vite que les autres territoires. La loi 3DS et les interventions permanentes à l’AMF (Maires de France) ou à l’ARF (Régions de France) témoignent de cette lente mutation de nos institutions. Il faut savoir et pouvoir dire à notre jeunesse que la révolte est parfois nécessaire, quelque fois même salutaire, mais jamais la violence.
 
- Pour en revenir à la question, fallait-il, selon vous, continuer les travaux ?
- Oui ! On aurait pu et dû continuer nos travaux à l’Assemblée de Corse tout en prenant position. Par cette suspension, c’est la Corse qui subit. Des décisions ne sont pas actées, les individualisations correspondantes ne peuvent pas suivre, etc… La Corse est à l’arrêt. Revenons à la raison ! On ne peut pas réagir à l’actualité de la sorte, au risque de nous décrédibiliser ! Comment prétendre à davantage de pouvoirs lorsque l’on peine à exercer ceux que l’on a déjà et à tenir l’intégralité d’une séance publique ! L’hémicycle est une institution, pas une estrade militante.  
 
- Vous êtes élue depuis plus d’un an à l’Assemblée de Corse, vous êtes plutôt discrète. Pourquoi avez-vous décidé de vous exprimer aujourd’hui ?
- Ma vision de l’efficacité en politique ne s’est jamais inspirée du show-business et ma discrétion est bien moindre dans les instances où je siège et où j’essaye de faire profiter de mon expérience d’élue de terrain, puisque je suis maire de Vignale depuis 1995, et vice-présidente d’interco. J’ai été, aussi, conseillère départementale et maintenant conseillère territoriale. Régionaliste de la 1ère heure - ça remonte aux années 73-80-, le mot décentralisation ne m’a jamais fait peur, mais le mot décentralisation a des limites que j’estime, pour l’instant, en partie atteintes. Ma première année de conseillère territoriale me conforte dans mon discours de clôture à la dernière session du département de Haute-Corse où j’exprimais mes plus grands doutes sur la mise en œuvre de cette fusion. Et d’ailleurs, nous n’avons pas assisté à une fusion, mais à l’engloutissement par le mammouth régional des deux départements… Les conséquences sont que nous n’avons toujours pas une démarche organisationnelle claire, ni d’organigramme. Le pragmatisme et l’efficacité sur le terrain, qui étaient la marque des départements, font grandement défaut. C’est mon premier constat d’élue territoriale.
 
- Quels sont vos autres constats ? 
- Le deuxième constat est un jacobinisme local très prégnant, à tel point que j’en suis venue à me demander si l’on n’était pas dans la transposition d’un modèle parisien pourtant décrié. Il est vrai que le jacobinisme est tentant quand on est le maître absolu. Il appartient aux Corses de se rendre compte qu’aujourd’hui, les seuls contre-pouvoirs sont les intercommunalités où il faut absolument préserver équilibre, politique et pluralité. Les Corses ne doivent plus subir comme ils ont subi cette fusion imposée sur un « chiche ! » et qui est l’exemple flagrant du déni de démocratie, puisque le référendum de juillet 2003 confortait les départements. Encore un ministre qui a dû céder au bagout, balayant en une minute l’expression populaire. Il faut reconnaître que le président de l’Exécutif incarne certes la représentation d’une certaine éloquence et l’expression d’une force de persuasion, ce qui ne veut absolument pas dire qu’il est la représentation de la vérité politique. Et le bien dire ne dispense pas du bien faire ! Mon troisième constat est que les vérités d’hier ne sont pas celles d’aujourd’hui.
 
- C’est-à-dire ?
- Vous souvenez-vous de cette chanson émanant du milieu nationaliste, vent debout contre les clans, chantant avec une pointe d’humour : « Un n’andemu a vutà per sti purcellacci techji ! ». Ayant bien connu cette période où, élus des partis dits traditionnels, nous étions traités de la sorte, je me demande avec la même pointe d’humour qui sont les « purcellacci techji » aujourd’hui ? Et oui, la place était bonne hier, elle est bonne aujourd’hui, et le sera demain ! Aucun changement institutionnel, quel qu’il soit, ne changera la nature humaine. Et si je peux me permettre un conseil à ceux qui transforment leurs convictions en certitudes, l’histoire est remplie de repentances. Nietzsche disait : « Ce n’est pas le doute qui rend fou, c’est la certitude ». A méditer quand on détient l’avenir d’un territoire entre les mains !
 
- Les Nationalistes disposent de la majorité absolue depuis 2017.  La responsabilité ne leur incombe-t-elle pas de gérer les affaires de la Corse ?
- Attention ! On oublie trop souvent le détail des résultats électoraux. En 2017, il y a eu 48% d’abstention et 42% en 2021. En 2004, qui est la dernière élection que la famille libérale a remportée, il y avait eu un taux de participation de 74%. Là où un Corse sur 4 ne se rendait pas aux urnes il y a vingt ans, désormais, c’est quasiment un sur deux qui boude les urnes. Cette masse constitue, à elle seule, une force, certes silencieuse, mais qui, selon toute vraisemblance, ne se reconnaît pas dans la seule expression des idées et qui a sûrement envie que l’on gère ses problèmes. Le rôle de l’Exécutif est d’être au service de tous les Corses. Persister de la sorte dans une logique militante les éloigne de cet objectif. L’obsession autour des sujets liés à la souveraineté découle d’une volonté de satisfaire une base militante qui n’entend pas se contenter de gérer les affaires de la Corse. Avant d’être en responsabilité, les nationalistes refusaient de participer aux élections nationales. Ce n’est plus le cas. Il y a eu rétropédalage dans le raisonnement qui les place dans l’ambiguïté. Ils se rendent compte que le lien avec Paris est non seulement nécessaire, mais aussi indéfectible. Les affaires de la Corse sont les affaires de la France, et les affaires de la France sont les affaires de la Corse ! Plus ça va, plus on s’éloigne de l’opérationnel dans l’hémicycle. Tout cela fait que l’on passe beaucoup de temps sur la question statutaire, alors que les Corses ont besoin de réponses concrètes sur les compétences qui sont les nôtres et qui pourraient améliorer la vie des Corses. On a le sentiment que comme pour la fusion, la majorité veut aller à marche forcée vers l’autonomie, au détriment de l’exercice des prérogatives dévolues par la loi. Et qu’elle ne se contente pas de ses succès électoraux, mais cherche en permanence à garder la main sur l’opinion. La preuve en est du Giru de Femu a Corsica, comme on l’a vu à Figari où c’est l’issue du processus par voie référendaire qui paraît se préparer. Au fond, peut-être parce qu’ils ne sont pas aussi sûrs d’eux ? Sans compter qu’il y a clairement un problème de responsabilité de la part de l’Exécutif dans les difficultés que l’on rencontre dans l’île.
 
- Qu’entendez-vous par « problème de responsabilité » ?
- J’entends par là qu’on ne cesse de mettre en cause les mandatures et majorités antérieures. Le poids de l’héritage est sans cesse mis en avant négativement. Est-il utile de rappeler que lorsque les nationalistes accèdent au pouvoir en décembre 2015, la cinquantaine d’établissements scolaires était déjà implantée, tout comme les 6 ports et les 4 aéroports, les infrastructures routières dans la foulée du PEI (Plan exceptionnel d’investissements), la politique sociale des Conseils généraux… Ce n’était pas l’an 0 de la Corse ! Quand on parle de 40 ans d’inertie, c’est clairement injuste ! On entend dans l’hémicycle, que c’est de la faute de la droite, puis de la gauche, maintenant du manque d’autonomie. Et après, si autonomie il y a, elle sera aussi mise en cause pour dire qu’il nous faut l’indépendance… Prendre le pari qu’il y aura surenchère n’est pas prendre un grand risque ! Pourtant, quand on lit ce que sont, pour les partis nationalistes, les fondamentaux de l’autonomie - une terre, une langue, un peuple -, n’avez-vous pas l’impression en les lisant d’y voir les mêmes fondamentaux que ceux de l’indépendance !
 
- Selon vous, les discussions parisiennes ne peuvent être fructueuses pour l’avenir de la Corse ?
- Le principe même de la discussion n’est jamais négatif. L’État doit comprendre que l’ouverture de ce dialogue ne peut pas être une réponse à un fait donné dans un temps donné par des personnes données, mais que ce doit être une logique permanente et partenariale sur tous les sujets. Elles ne pourront être fructueuses que si on fait passer l’intérêt général de la Corse avant l’idéologie. J’espère qu’il ressortira de ces discussions par la prise de conscience qu’il n’y a pas de problème corse, mais des problèmes en Corse auxquels il est urgent d’apporter des solutions afin de ne pas promettre aux générations futures des larmes de sang. Que le président de l’Exécutif, qui use à l’envi du mot « historique » reste modéré… Qu’il n’ait pas à rentrer dans l’histoire comme celui qui a fait basculer la Corse de la pauvreté à la misère et a rejoint ceux qui, selon la formule consacrée, ont participé à l’autopsie d’une illusion.
 
Propos recueillis par N.M.