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Chambre des territoires : Les maires du rural sur le front des incendies et la relance de la filière Bois


Nicole Mari le Mardi 13 Avril 2021 à 08:03

Urbanisme, prévention des incendies, politique forestière, estives, aides aux communes…. Un ordre du jour chargé pour la séance d’avril de la Chambre des territoires, la dernière de la mandature si les élections territoriales sont maintenues en juin. Les maires sont montés au créneau pour demander une révision du PADDUC, plus de moyens dans la lutte contre les incendies, la relance de la filière bois, tout en félicitant la démarche en cours de reconquête des estives. L’Exécutif a fait un point d’étape sur les aides accordées aux communes et présenté une révision du dispositif « Una casa per tutti, una casa per ognunu ».



Le siège de la Chambre des territoires à Bastia. Photo CNI.
Le siège de la Chambre des territoires à Bastia. Photo CNI.
C’est l’épineuse question du PADDUC (Plan d’aménagement et de développement durable de la Corse) et ses problèmes de compatibilité avec les lois nouvelles qui a ouvert la session en visio-conférence intégrale de la Chambre des territoires. Avec deux constats prégnants. Le premier porte sur le flou d’application des Lois Elan, Montagne et Littoral. « La loi Elan crée des interférences et prive le PADDUC d’effets. Cela crée une insécurité juridique permanente qui n’est plus supportable pour les maires dans leur démarche d’élaboration des PLU ou des SCOT. Il faut absolument que le PADDUC devienne document de référence dans la loi. Nous travaillons sur l’opportunité d’une adaptation législative », précise Rosa Prosperi, conseillère territoriale. Le second est la demande d’une révision partielle et anticipée du PADDUC pour le rendre plus efficace. « Malgré le PADDUC et la loi Elan, l’urbanisation est galopante sur les zones proches du rivage que le PADDUC devrait protéger, or les permis sont délivrés avec l’accord du préfet, de la CTPENAF, (Commission territoriale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers), voire du Conseil des sites. Pour mettre en œuvre un développement harmonieux et maîtrisé, il y a nécessité de réviser le PADDUC ». Le président du Conseil exécutif, Gilles Simeoni, répond que la procédure de révision est lourde et longue et passe par un diagnostic entre les objectifs et les réalisations, un débat avec les maires et les citoyens... Elle ne pourrait intervenir avant fin 2021.
 
Faut-il réviser le PADDUC ?
« Je ne pense pas que l’on puisse, à ce stade, parler de révision. Il faut rester dans le calendrier prévu », assène en écho Jean Biancucci. Il riposte sur les permis de construire : « Les permis délivrés en bord de mer ne passent pas en CTPENAF qui n’examine qu’un nombre très limité de dossiers situés dans le rural et les villages. Le Conseil des sites a, aussi, ses limites et ne peut statuer que dans le cadre de la dimension paysagère ». Il rejoint la nécessité de « réinventer des moyens d’interventions qui permettraient au PADDUC d’avoir la force de s’opposer à la spéculation immobilière. Là est le fond du problème ! ». Et annonce qu’une méthodologie sera présentée à la session d’avril de l’Assemblée de Corse pour la mise en place de comités techniques, une restitution des travaux est prévue en juillet, une synthèse en septembre devant le Conseil exécutif avec un vote fin 2021. Le maire de Ghisoni, Don Marc Albertini, se focalise sur les ESA (Espaces stratégiques agricoles) et sur la clarification des critères de pente pour les villages de montagne. « La pente est partout dans nos villages, de très nombreuses parcelles sont en pente. Nous étions bloqués en montagne par ce critère. Les anciennes terrasses, qui étaient des jardins vivriers situés en plein village, sont mis en ESA, alors que les châtaigneraies, qui mériteraient d’y figurer et d’être accompagnées par un plan d’action, ne le sont pas. Il faut considérer le PADDUC comme un levier de développement de la montagne, pas d’obstruction de nos villages ».

Incendie dans le Nebbiu. Photo JB Andreani.
Incendie dans le Nebbiu. Photo JB Andreani.
La lutte contre les incendies
Les maires du rural montent, ensuite, au créneau sur la prévention des incendies avec, là-aussi, des constats sur la situation actuelle et des réponses stratégiques à apporter. « Les FORSAP (Forestiers-sapeurs) sont essentiels au milieu rural pour la sauvegarde de l’environnement, la lutte contre les incendies, mais également la sauvegarde des villages. Leur présence doit donc être renforcée et les moyens doivent leur être donnés pour leur permettre d’intervenir de manière sécurisée et efficace », alerte le maire d’Ogliastro, Jean-Toussaint Morganti. Il salue la création de 15 postes et l’acquisition de matériels pour renouveler une quinzaine de machines, « un geste important bien que les besoins soient plus nombreux » et une montée en puissance « progressive et satisfaisante ». Les maires souhaitent un interlocuteur sur place et une lisibilité sur l’utilisation des moyens. « La lutte coûte très cher, on y met des sommes colossales. Il faut pouvoir anticiper et privilégier la prévention, quitte à faire appel à de la sous-traitance, si nécessaire ». Pour la saison à venir, sont envisagés le développement du brûlage dirigé, mais aussi l’extension de la Déclaration d’intérêt général d’urgence (DIGU), mise en œuvre notamment en région Occitanie et qui sera expérimentée sur la ComCom de Fium’Orbu Castellu.
 
Une défense passive
L’idée est de créer des zones d’interface, au-delà des 50 mètres, qui viendraient en complément des OLD (Obligation légale de débroussaillement). « Cette déclaration d’intérêt général permet de créer une défense passive, cela fait des années que nous en discutons. Aujourd’hui, la prise de conscience est générale et tout le monde est aligné. L’expérimentation du Fium’Orbu pourrait être étendue à d’autres communes », se réjouit le vice-président de la ComCom, Don-Marc Albertini. Des financements pourraient être engagés par le Comité de massif ou au niveau intercommunal. Ceci dit, le vrai enjeu pour les maires est, d’abord, de faire appliquer les OLD. « Les maires se retranchent devant les indivisions ou le manque de moyens, mais c’est aux propriétaires des maisons de nettoyer autour de leur maison, pas aux propriétaires des terrains », déplore le maire d’Ogliastro. « Il y a l’angoisse de la dépossession, certains agitent le chiffon rouge », renchérit le maire de Ghisoni. Le député et président du Comité de massif, Jean-Félix Acquaviva, présent pour exposer l’étude sur les estives, fait savoir qu’un amendement sera introduit dans le projet de loi 4D pour gager, sur les terrains, la dépense en amont des communes obligées de débrousser les terrains privés.

Plateau du Cuscionu.
Plateau du Cuscionu.
La reconquête des estives
L’enthousiasme est unanime pour saluer la démarche en cours du Comité de massif pour la relance du pastoralisme et de la transhumance et l’étude de fond réalisée sur « l’évolution de l’occupation et des usages des estives par territoire ». L’objectif du Comité de Massif est d’élaborer une charte pour la gestion des estives afin de partager les bonnes pratiques et de parvenir à un modèle de cohabitation adaptable à chaque territoire en donnant la possibilité aux éleveurs de retourner en estives, tout en permettant la coexistence d’autres activités. Vingt territoires d’estives sont identifiés. « La montagne corse devient un enjeu de convoitise, et les conflits d’usage se déclinent de plus en plus souvent, de façon explicite ou à bas bruit. Nous allons mettre en œuvre une stratégie de reconquête avec les acteurs du terrain, et je suis très heureux que ce travail ait débuté par le plateau du Cuscioni qui est un fleuron de cette reconquête », commente Gilles Simeoni. Le maire de Zoza, Pierre Marcellesi, loue « à plus d’un titre, l’esprit et le fond de cette démarche et le travail exemplaire du Comité de massif qui valorisent l’intérieur, pas de manière artificielle ou standardisée, mais en respectant l’identité de notre territoire ». Il s’interroge, néanmoins, sur l’harmonisation de cette politique avec les actions du Parc naturel régional. Le maire de Ghisoni pointe l’aspect humain : « Pour une reconquête pastorale, il faut des bergers qui transhument, remontent dans la montagne et occupent l’espace. Comment aider les bergers qui y sont déjà ? Que peut-on faire pour aider tous les bergers, qui ne font plus d’estive et ne tournent plus qu’en plaine, à revenir sur le chemin de leurs aïeux ? ». Jean-Félix Acquaviva explique que des bergers ont déjà fait remonter des besoins, « certains ont fait le pari de revenir » et qu’une action est prévue sur trois points essentiels : la sécurisation foncière pour occuper l’estive, la bâtisse d’accueil du berger avec la question de l’eau, de l’énergie, de l’accès, et aussi l’outil de production. Enfin, la compatibilité avec la gestion touristique.

Forêt de Vizzavona. Photo CNI.
Forêt de Vizzavona. Photo CNI.
La relance de la filière Bois
Bien plus problématique, le débat sur la politique forestière fait état des travaux de la Commission mise en place en février dernier pour tenter de contrer l’effondrement de la filière du bois corse. Là encore, les maires alternent critiques sur le Programme pour la forêt et le bois de Corse 2021-2030, intégré au Plan Rilanciu, et suggestions. « Ce programme n’est pas assez politique. Il faut fixer des indicateurs et des objectifs opérationnels, mais aussi les moyens à mettre en œuvre, les partenaires à mobiliser et le calendrier. Il faut, aussi, définir une gouvernance claire avec la désignation d’un conseiller exécutif référent et d’une structure, par exemple la Chambre des territoires, qui encadre. Il faut, enfin, y intégrer la problématique du pastoralisme et de la multifonctionnalité de la forêt », estime le maire de Noceta, Fabien Arrighi. Il recommande « un affichage clair de la commande publique, qui est un outil indispensable de relance de la filière, et l’intégration des forêts privées dans la stratégie globale, notamment commerciale. On souhaite que des actions soient mises en œuvre pour améliorer la desserte et couvrir le territoire d’infrastructures suffisantes en termes de scierie et de séchoirs ». Le maire de Ghisoni pose l’équation économique : « Longtemps, la forêt corse a généré de la richesse. Pourquoi, aujourd’hui, 90% du bois utilisé en Corse est-il importé ? Cela fait 5 ou 6 ans qu’on ne vend plus un m3 de bois corse pour les charpentes. Pourquoi le bois corse n’arrive-t-il pas à satisfaire la demande du marché local ? Combien ça coûte ? On sait que le prix de revient est plus cher. Le bois importé bénéficie de la continuité territoriale et des subventions pour concurrencer le bois corse ». Le conseiller exécutif et maire de Cuttoli, Jean Biancucci, approuve : « La forêt est un secteur qui peut être vital pour la Corse. En 1949, 73 scieries fonctionnaient, il y en a 2 aujourd’hui, dont une vient d’ouvrir. Il y a péril en la demeure ! ». Pour lui, « Il n’y a pas de filière du bois, mais des segments morts et d’autres encore vivants. Il faut une véritable stratégie territoriale pour développer les premiers et revivifier les seconds. Ce qui suppose des moyens financiers qu’on pourrait trouver dans les fonds européens sur une base pluriannuelle avec des objectifs échelonnés ». Et assure : « Si on ne tape que sur une partie du problème, il y aura un échec patent à terme. C’est une opération à la mesure d’une vie d’homme ».  
 
Une hausse des aides
Le rapport sur l’individualisation des crédits des aides aux communes et intercommunalités, validés par l’Exécutif, le 6 avril dernier, n’a suscité aucun débat, même pas la modification prévue du règlement des aides. « Un exercice de transparence », affirme le président de l’Exécutif, « chaque commune peut voir ce qu’elle a eu et ce qu’ont eu les autres. Chacune a eu son dû, sans considération d’appartenance politique. Les seules priorités ont été validées ensemble et sont en faveur des petites communes ou des communes de montagne ». Près de 33,8 millions € d’aides ont déjà été attribués. Notamment, 11,4 millions € pour 393 opérations dans 180 communes au titre des Dotations quinquennale et Ecole, ou encore 3,4 millions € dans les territoires ruraux au titre du Fonds de solidarité territoriale. Ces aides vont également servir à la création d’un espace de coworking et d’un Fab-Lab à Vicu-Sagone, à la reconstruction du plateau scolaire et sportif d’Abbazia à Prunelli di Fium’Orbu, ou à la revitalisation urbaine à Corti. Plus de 1,6 million € est aussi attribué à Purtivechju, Bastia et Aiacciu pour des politiques urbaines. S’y ajoutent 5 millions € dans le cadre de la convention Eau et 4,5 millions € du Fonds Montagne pour abonder les dispositifs d’aides liés à la crise sanitaire dans les villages de l’intérieur. « Nous notons déjà une augmentation conséquente en crédits de paiement par rapport à 2020, de l’ordre de 20%. Elle traduit une montée en puissance des nouveaux dispositifs qui commencent à être mieux connus par les maires, comme, par exemple, le fonds de territorialisation ou le Fonds Montagne du Comité de massif. Le Fonds Paese connaît un franc succès avec 30 dossiers qui sont déjà remontés. Nous allons sur le terrain à la rencontre des maires concernant cet outil qui peut soulager leur trésorerie », remarque Gilles Simeoni.
 
Une meilleure efficacité
Une grosse part des crédits a concerné le logement et le dispositif « Una casa per tutti, una casa per ognunu ». Plus de 7,1 millions € ont déjà été investis sur les 11 millions € prévus dans une trentaine d’opérations d’acquisition foncières pour du logement locatif à prix encadré, de réhabilitation de logements communaux, d’aides directes aux primo-accédants… « L’augmentation est exponentielle. Les communes mobilisent largement les différents dispositifs de création de logements locatifs sociaux ou d’accession à la propriété. Cela marche bien, si cela continue, il faudra abonder les crédits pour 2021 », se félicite Gilles Simeoni. Comme convenu, ce dernier dispositif a été réévalué pour être plus en prise avec les réalités du rural et de la montagne. « Nous avons mis un terme à la prime de 10 000 € aux primo-accédants, qui avait des effets pervers et contreproductifs. 70% des aides finançaient des acquisitions dans le périurbain et alimentaient l’urbanisation. Ce n’est pas en cohérence avec nos objectifs politiques d’aménagement du territoire. La prime était même intégrée dans le prix des promoteurs et cela ne facilitait pas un effet durable d’accession à la propriété puisque les biens étaient revendus », explique le président de l’Exécutif. L’aide, comprise désormais entre 15 000 à 30 000 €, est resserrée et bénéficie pour 75% aux villages de l’intérieur et 25% aux centre-villes historiques avec un délai minimum avant revente. L’objectif est « une montée en charge immédiate de la production de logements pour soutenir un aménagement harmonieux du territoire et lutter contre la spéculation ». Ce rapport sera soumis au vote à la session d’avril de l’Assemblée de Corse.
 
N.M.