Bastia célèbrera la Saint-Jean le 23 juin avec son traditionnel feu sur le Vieux-Port*. Une coutume ancienne, héritée d’un passé païen et toujours vivant dans la mémoire des quartiers. Bien avant de devenir une fête chrétienne, la Saint-Jean marquait un moment clé du calendrier : le solstice d’été, jour le plus long de l’année. À cette période, les hommes allumaient des feux pour célébrer la lumière, comme pour retenir encore un peu les derniers rayons avant que les jours ne commencent à raccourcir. La religion s’est ensuite approprié ce symbole en fixant au 24 juin la naissance de Jean-Baptiste, figure biblique associée au baptême et à la lumière. Une date stratégique, six mois avant Noël, célébrée au moment du solstice d’hiver.
À Bastia, cette tradition est toujours ancrée dans les rues du centre historique, comme l’explique Battì Raffalli, président du comité des fêtes et de l’animation du patrimoine de la ville. “Les feux étaient faits dans différents endroits de la ville, en particulier dans le centre historique”, raconte-t-il. “Dans la haute ville, le feu était allumé sur la Place d’Armes, à la place de l’actuel toit du parking. En bas, tout le monde se retrouvait sur le quai sud du Vieux-Port, à l’emplacement actuel du grand feu.” Mais ces fucarè n’étaient pas seulement des symboles, puisqu’ils étaient aussi l’occasion pour les quartiers du Puntettu, du Mughjò, et du Guadellu de mettre de côté leurs rivalités.
.“Tous ces micro-quartiers étaient un peu les quartiers rivaux, mais il y avait une trêve pour la Saint-Jean”, détaille Battì Raffalli. “Ils se chamaillaient à longueur d'année mais s’entendaient et se retrouvaient pour avoir un plus beau feu que celui de la Haute-Ville où, à l'inverse, les habitants voulaient que leur feu soit plus important que celui de la basse ville, et inversement."
"C'était un peu une compétition entre les deux grands secteurs du centre historique que sont la haute ville et la basse ville.”
Une fête devenue populaire
Lors de la préparation des feux, les jeunes des quartiers se rendaient sur la place du marché. “Il y a un vieux commerce, toujours présent aujourd’hui -les Anciens Etablissements Belgodere - qui vendait un peu de tout. Il n'était pas rare que les jeunes aillent demander de récupérer tous les cartons du commerce, parce qu'il recevait toujours de la quincaillerie. On trouvait vraiment de tout dans ce magasin. Les jeunes allaient chez lui, ou bien chez d’autres personnes de la place du marché, pour récupérer des cagettes en bois ou tout autre chose qui pouvait prendre feu.”
Autrefois, les jeunes veillaient même la nuit autour du fucarè pour éviter les coups bas. “Il n'était pas rare le matin, à quelques jours de la Saint-Jean, de voir des silhouettes dans les cartons”, déclare Battì Raffalli. “Les plus grands, et surtout les plus costauds, dormaient dans de petites cabanes près du tas de bois pour le surveiller toute la nuit. Il est arrivé, dans les années 50 et même au début des années 60, que le feu de la Saint-Jean, de la basse ville ou de la haute ville, brûle avant le bon jour. Il était allumé par ceux qui venaient du quartier rival pour donner du travail en plus à tous les jeunes, qui devaient alors à nouveau aller dans les magasins et chez les ébénistes pour récupérer du bois ou des cartons.”
Aujourd’hui, le feu de la Saint-Jean n’a plus lieu qu’à un seul endroit, sur le quai sud du Vieux-Port, au pied de la citadelle. Si les rivalités d’antan ont disparu, l’esprit du fucarè continue d’animer les Bastiais chaque mois de juin. À l’approche de la Saint-Jean, les préparatifs débutent. “Le monticule et la pyramide deviennent de plus en plus grands. Quand il commence à être très haut, en général nous sommes le 21 ou le 22 juin. C’est un rendez-vous qui fait partie des traditions de Bastia.”
À Bastia, tous les 23 juin, l’ambiance de fête populaire, mêlant ferveur religieuse et convivialité de quartier, reste intacte. “C’est une fête de quartier où la cérémonie religieuse est parfois dépassée par l'envie de convivialité des habitants”, précise Battì Raffalli. “C’est aussi un moment de retrouvailles avec des anciens du quartier, qui sont partis après l’urbanisation de Lupino et qui habitent désormais ailleurs, parfois même en dehors de la ville. Les fêtes religieuses, qui sont aussi des fêtes de quartier, sont importantes. Il y a des dates comme celle-ci que l'on ne changera pas et qui continuera encore pendant des siècles.”
* La ville organise également un fucarè à Lupinu, sur le terre-plein devant le boulodrome