Corse Net Infos - Pure player corse

Assemblée de Corse : Polémiques budgétaires sur fond de discorde politique et de discussions avec Paris


Nicole Mari le Vendredi 1 Avril 2022 à 22:19

L’Assemblée de Corse a présenté, vendredi après-midi, le budget primitif de la Collectivité de Corse (CdC) pour 2022, le premier de la nouvelle mandature 2021-2027. Ce budget de 1,891 milliard € s’inscrit dans la continuité de l’action initiée par le pouvoir nationaliste sur des choix stratégiques réaffirmés lors des orientations budgétaires et centrés sur la cohésion sociale, le développement durable et la construction d’un nouveau modèle économique et touristique post-Covid. Si l’opposition de droite s’est montrée plutôt constructive, les critiques se sont faites plus acerbes du coté du PNC-Avanzemu qui a voté contre. Core in Fronte a pointé du doigt le poids des charges salariales.



Assemblée de Corse en session. Photo Michel Luccioni.
Assemblée de Corse en session. Photo Michel Luccioni.
Un budget contraint et sous-dimensionné plombé par les contentieux et les crises à répétition. A l’aune des précédents, le budget primitif 2022, débattu vendredi à l’Assemblée de Corse, a confirmé l’insuffisance des ressources financières de la Collectivité de Corse (CDC) qui réduit drastiquement ses marges de manœuvre. Les quelques signaux positifs, enregistrés en janvier après deux dures années de crise et d’incertitudes pandémiques, ont vite été balayés par un enchaînement imprévu d’évènements qui n’ont fait qu’aggraver une situation déjà dégradée. Dès février, le mandatement d’office par l’ex-préfet Lelarge du règlement de la facture de 86 millions € due à la Corsica Ferries, a fait l’effet d’un coup de massue. S’y est ajouté un malus de 9,3 millions € d’intérêts liés au refus de l’Exécutif d’inscrire la créance au budget, estimant l’Etat totalement responsable de cette dette puisque c’est lui qui a imposé le service complémentaire maritime entre 2007 et 2013. En mars, la guerre en Ukraine et ses répercussions en termes économiques et d’augmentation des prix de l’énergie et des matières premières ont continué de creuser les inquiétudes et les perspectives.
 
Un bon budget
« Nous sommes dans une situation financière structurellement insatisfaisante qui ne nous permet pas de mener à bien nos politiques publiques ». Le président de l’Exécutif, Gilles Simeoni, pose d’emblée le cadre contraint, tout en estimant que compte tenu du contexte, le budget 2022 de la CDC est « un bon budget adossé à un compte administratif qui démontre que ce que nous fixons comme objectif, nous le faisons et nous le réalisons. Nous diminuons l'emprunt, et le niveau d’investissement est tout à fait considérable, atteignant même un niveau historique jamais atteint en 2021 ». Le budget, qui représente 1,468 milliard €, affiche une hausse de 7,72%. Le compte administratif présente un taux d'investissement de 317,4 millions € pour 2021 contre 253,8 millions € en 2020. La CDC investit environ 40 millions € en plus, soit plus une augmentation de 20 %. « Il y a des secteurs dans lesquels nous sommes en situation d’investir plus et mieux, mais dans des proportions limitées parce que nous n’avons pas les ressources nécessaires et que nous ne pouvons recourir à l’emprunt de façon disproportionnée ».

Gilles Simeoni. Photo Michel Luccioni.
Gilles Simeoni. Photo Michel Luccioni.
Un clou chasse l’autre !
Un budget que Gilles Simeoni qualifie également de « budget de transition par rapport à notre vision politique ». D’autant que de lourdes incertitudes laissent présager de nouvelles difficultés « L’annonce du président Macron d’une économie de 10 milliards sur les dotations aux collectivités locales pour l’exercice en cours, la sacralisation des aides aux communes. C’est une épée de Damoclés au-dessus de notre tête. Nous avons mené un combat âpre à l’issue incertaine, nous avons gagné 50 millions € qui nous permettent d’afficher un budget moins dégradé que ce qu’il aurait pu l’être, mais un clou chasse l’autre ! ». Le contentieux avec la Corsica Ferries concernant l’annulation de la DSP 2014-202 sous la mandature Giacobbi sera réexaminé judiciairement le 25 avril. En première instance, la compagnie maritime avait obtenu 300 000 €. « Nous considérons qu’il n’y a aucune indemnisation à verser, mais il y a la possibilité que la CDC soit condamnée à un paiement de 50 millions €. Même si c’est injuste, nous ne pouvons l’ignorer. Tous les efforts que nous avons déployés avec l’Etat sur la question des contentieux maritimes sont restés quasi-vains ». Pour autant, malgré ses coups de grisou à répétition, la CDC n’est pas étranglée financièrement. « La dette est importante – 934 millions € -, mais n’est pas déconnectée de notre capacité de remboursement. L’essentiel de la dette a été contracté avant 2018 pour payer des déficits dont nous ne sommes pas responsables. La CDC n’est pas dans le rouge, mais nous sommes obligés de faire des arbitrages parce que nous n’avons pas de marges de manœuvre. Le recours à l’emprunt est compatible avec des ratios qui, pour l’instant, se tiennent à distance des lignes rouges qu’il ne faut pas franchir ».
 
Des choix forts
Sur les politiques publiques, des choix importants ont été faits en faveur notamment de l’aménagement du territoire, de l’aide sociale, de l’aménagement hydraulique, également pour développer le tri à la source et le traitement des biodéchets. « C’est un choix fort pour trouver des solutions, pour casser la mécanique des centres de stock en montant en puissance la valorisation et la méthanisation des biodéchets ». Le président de l’Exécutif reconnaît des points de vigilance : « La question des charges sur laquelle il y a un vrai travail à faire et qui résulte des raisons conjoncturelles lourdes dues à la crise du Covid. Nous comptons beaucoup sur le travail qui va être mené par le nouveau DGS ». L’objectif est de se recentrer sur des priorités stratégiques dans une logique d’efficacité. « Nous devons préparer la discussion avec Paris qui débute le 8 avril. Fin des années 80, les régions maîtrisaient à 80 % leurs recettes fiscales, aujourd’hui, c’est totalement inversé. On ne peut pas continuer comme ça ! Il faut aller à Paris avec de bons indicateurs, des dépenses maîtrisées et une vision claire de nos besoins, de nos objectifs et de leurs financements par des recettes dédiées. Nous allons aussi tenter de mobiliser l’épargne corse au service d’un projet de développement économique. Nous devons construire un système budgétaire qui nous donne une garantie sur la pérennité des ressources, la main sur les taux et une réactivité ».

Xavier Lacombe, élu d'U Soffiu Novu. Photo Michel Luccioni.
Xavier Lacombe, élu d'U Soffiu Novu. Photo Michel Luccioni.
Bons et mauvais points
C’est, comme d’habitude, la droite qui ouvre le bal des critiques de l’opposition, mais on l’a connu beaucoup plus virulente ! Le maire de Peri et conseiller territorial du groupe U Soffiu Novu, Xavier Lacombe, se veut compréhensif et constructif. S’il pointe « une dégradation conjoncturelle des ratios », il salue en même temps « une approche prudentielle du budget. Il faut redoubler de vigilance et garder notre matelas avant de s’engager dans des dépenses nouvelles et disproportionnées » et « un dynamisme fiscal réel ». La taxe des transports augmente de 44% après une période compliquée marquée par le Covid, soit une recette de 25 millions €. Globalement, la fiscalité bondit de +11%, notamment sur les tabacs où les rentrées espérées atteignent 143 millions €. « Nous sommes à la fois satisfaits du résultat financier sur les tabacs et déçus d’un point de vue de la santé ». Le point noir reste, pour l’élu de droite, les dépenses de fonctionnement qui dépasse le milliard. « C’est vrai que des efforts ont été faits et la trajectoire respectée. Mais, si on veut continuer à investir, il faut diminuer encore les frais de fonctionnement ». Pour lui, « Ce n’est pas un bon budget. Sur l’investissement, on ne parvient pas à sortir des projets structurants. Sans rattrapage conséquent pour la Corse, il n’y aura pas de perspective favorable possible. Il n’y a pas une véritable amorce du changement de modèle. C’est regrettable ! Sur les ratios, la vigilance s’impose. L’épargne brute s’effondre de 30%. La capacité de désendettement passe à plus de 10 ans en raison du contentieux. Globalement, la trajectoire est mal respectée ». Xavier Lacombe enfourche, ensuite, son dada : la baisse des effectifs. « Nous n’avons toujours pas le nombre de départs à la retraite chaque année. Il y a une réelle réflexion à engager pour ne pas remplacer les sortants ». Il soumet également une autre piste de réflexion : la recentralisation du RSA proposée par le projet de loi de finances 2022 « qui pourrait nous faire économiser 4 à 5 millions € par an ».
 

Jean-Christophe Angelini. Photo Michel Luccioni.
Jean-Christophe Angelini. Photo Michel Luccioni.
Ni souffle, ni audace
L’opposition nationaliste aura, pour sa part, la dent bien plus dure. Jean-Christophe Angelini, président du groupe PNC-Avanzemu parle d’une « collectivité sous tutelle. C’est le premier sujet à mettre sur la table vendredi à Paris. Le budget présente une matrice structurellement et intrinsèquement inadaptée d’un point de vue des recettes ». Il propose de moduler la taxe des transports qu’il juge « dissuasive » dans un contexte de concurrence mondiale. Quant au tabac, il déclare que « le dilemme permanent entre le souci de la santé publique et de la bonne santé de notre CDC devra être tranché au profit de la santé ». Il tacle « un budget franco-français, sans souffle, sans audace dans la recherche d’autres financements. Comment faire nation comme ça ! Posons la question de la renégociation de notre dette sous peine de pertes cruelles de ressources et de difficultés à assurer les besoins essentiels. Il faut inscrire les choses dans un cadre plus durable ». Sa colistière et élue Corsica Libera, Josepha Giacometti prône « la nécessité de se mettre dans une logique de combat et de rapports de forces à tous les niveaux. Il faut aller chercher à cadre constant de nouvelles ressources. On ne peut plus rester dans une logique d’un super conseil général. Nous pouvons très largement changer le logiciel ». Avant de déplorer : « Dans les 100 jours devait se dessiner un nouveau cap : je ne vois pas la stratégie et les priorités suffisamment se dessiner. Je n’ai pas retrouvé la concrétisation des projets déjà validés. Ce n’est pas un budget de combat, mais un budget de gestion courante et de contraintes ».

Paul-félix Benedetti. Photo Michel Luccioni.
Paul-félix Benedetti. Photo Michel Luccioni.
La roulette russe
Paul-Félix Benedetti, président du groupe Core In Fronte, n’est guère plus tendre : « Le budget n’est pas en adéquation avec les promesses électorales. C’est un budget de routine que l’on traine d’année en année. On a besoin de s’auto-auditer, d’avoir une réflexion managériale : 4329 agents, 700 dans les agences et offices… et on continue de créer des postes, d’embaucher ». Le constat est, dit-il « amer. Si on reste en l’état, on n’aura pas les moyens d’agir, c’est la continuité de la déshérence. Vues les contraintes extérieures, il faut changer la matrice. On ne peut pas continuer comme ça, on ne peut pas garder cette inertie, on ne peut pas, chaque année, jouer à la roulette russe avec des recettes qui ne sont pas maîtrisées. On a besoin de recentrer tous nos moyens pour faire des économies d’échelle, de demander de la productivité à l’ensemble des agents, de leur faire comprendre que c’est un pays à construire ». Il s’avoue très contrarié : « Les seules baisses sur les crédits de fonctionnement sont sur la langue et la culture, or ce sont nos traceurs. C’est une erreur de casting ! Ils doivent être en hausse constante. Il y a, de temps en temps, des fausses notes. J’attends que les politiques soient conformes à nos engagements ». Avant de lâcher : « Les comptes sont justes : on n’a pas d’argent ! On est en train de plonger collectivement ! ».

Parler d’une même voix
A ce stade, on attendait logiquement la riposte de la majorité territoriale au feu roulant notamment de ses anciens partenaires devenus adversaires, mais ce fut, à la surprise générale, l’élu de droite, Jean-Martin Mondoloni, qui saisit son bâton de pèlerin pour rappeler tout ce beau monde à la raison : « En écoutant les propos de l’opposition nationaliste dans la perspective de la réunion de la semaine prochaine, je pense qu’on a besoin de nous parler ! Non plus en regardant derrière, mais en regardant devant ! Il serait bon de distinguer ce qui est du nationalisme et ce qui est du reste. Si nous allons à Paris en nous opposant, nous serons à la risée ! ». Il invite tous les groupes à définir « une ligne directrice partagée sur le minimum minimorum qui nous unit, qu’il s’agisse de fiscalité, d’investissement… ». Et pose une double question : « Sommes-nous capables de nous entendre sur ce qui nous pénalise structurellement ? Des chocs sismiques, il y en aura de plus en plus… On ne va pas monter à Paris en disant qu’on est tout juste à flot. On a des compétences octroyées par le législateur. Parvient-on à les assumer ou pas ? Allons-nous nous réunir pour en parler, sinon d’une même voix, du moins avec les moins de fractures possibles ? Par exemple, la Corse a-t-elle besoin d’un nouveau plan d’investissement ? Quels sont les sujets que l’on peut mettre sur le tapis ? Si nous ne répondons pas entre nous à ces questions, notre position ne sera pas tenable à Paris ! ».

La majorité territoriale. Photo Michel Luccioni.
La majorité territoriale. Photo Michel Luccioni.
Une trajectoire vertueuse
C’est bien l’avis de l’Exécutif et du groupe majoritaire Fà Populu Inseme. Louis Pozzo di Borgo, également président de la CAB, s’applique fermement à déminer les critiques : « On ne peut pas laisser croire aux Corses que ce budget est un échec ! Le budget n’est pas à la hauteur de nos ambitions ? Il répond aux besoins à court terme sur le territoire. 346 millions € d’investissements structurants : un niveau jamais atteint ! Est-il ambitieux à long terme ? Non ! Il y a le contexte épidémique, la guerre à prendre en compte ». Il renvoie froidement la balle à ses anciens alliés : « Il n’y a pas de rupture dans ce budget, il est dans la continuité en responsabilités et dans l’exercice du pouvoir. Six mois après les élections, il y aurait une rupture totale ! ». Les arbitrages ? « Ils sont indispensables ! On peut parler des secteurs qui bénéficient de nouveaux moyens : les SIS, la lutte contre les feux de forêts, 12 millions € pour l’eau, 5 millions € pour le déploiement du plan Biodéchets. Les premières communes ont déjà signé ». La dette ? Il dénonce « une volonté d’afficher un chiffon rouge ! Nous sommes très loin du seuil d’alerte. Nous avons la capacité de nous désendetter. Nous pouvons gérer la dette : 80 millions € empruntés ont généré plus d’un milliard € d’investissements. Les emprunts publics sont bien utilisés. Un vrai effort de gestion a été fait. La trajectoire est vertueuse. Nous tenons nos objectifs ». S’il admet que le bât blesse au niveau des charges de personnels grevées notamment par « le recours aux contractuels dus aux nombreuses absences liées à la pandémie », il assure : « Ce budget garantit que l’exercice budgétaire se déroulera sans encombre ».
 
Une gestion au mieux
Le président de l’Exécutif, Gilles Simeoni, remet également les pendules à l’heure en rappelant qu’il a maintenu le bateau CDC à flot même en pleine tempête : « Notre façon de gérer a permis à la Corse de faire face à des crises exceptionnelles sans précédent. Malgré le Covid et l’amende à la Corsica Ferries, nous avons augmenté notre investissement partout en maintenant un emprunt raisonnable et des ratios satisfaisants. Je ne pense pas qu’on aurait pu faire mieux dans la situation ! ». La vision politique ? « Nous sommes structurellement dans une situation qui ne nous ne permet pas d’emmener le pays là où nous voulons, ni à compenser les déficits historiques de la Corse ». L’ampleur de la dette ? « On a essayé pendant 3 ans de faire diminuer la dette. Le gouvernement n’a pas tenu son engagement sur les emprunts toxiques et on a du payer 61,9 millions €. La dette est composée de tous les héritages, ce n’est pas nous qui l’avons contractée, et elle ne nous met pas dans une situation dangereuse ». S’il comprend certaines critiques, il règle au passage quelques comptes, notamment le manque de soutien dans son bras de fer avec l’Etat concernant le paiement de l’amende à la Corsica Ferries. « Le fait politique était de voter le budget supplémentaire pour dire à l’Etat : « nous ne paierons pas 86 millions € ! ». Vous m’avez accompagné de loin, vous n’avez pas participé au vote. Ce n’est pas l’accompagnement que j’attendais de vous », lance-t-il à Josepha Giacometti. A la droite qui a voté contre : « Vous ne nous avez pas soutenus, ça aurait pu mal tourné ! ». Et au PNC qui s’est abstenu : « C’était un mauvais choix ! Seul Core in Fronte a préféré défendre les intérêts de la Corse plutôt que de s’opposer à la majorité territoriale ». Un budget franco-français ? « Je ne sais pas ce que cela veut dire ! ». A Core in Fronte, sur les marqueurs ? « Une hausse de 40 % des crédits sur la forêt, on monte en puissance. Sur la langue, les acteurs ne se saisissant pas suffisamment des crédits et les projets ne se finalisent pas ». Sur l’outil ? « Il n’est pas configuré pour la CDC et les agences et offices. Entre 90 et 100 agents partent à la retraite chaque année, certains ne sont pas remplacés. Les postes sont ouverts en interne et ne sont pas pourvus, ça crée un déséquilibre, une souffrance. On recrute sur de nouvelles compétences ». S’il agrée la proposition d’un corpus de base de demandes à Paris, il indique qu’il avait déjà transmis une liste de projets structurants pour 1 milliard d’euros à l’ex-préfet Robin. « Nous avons fait au mieux ce qui était possible de faire. Maintenant, nous devons obtenir les moyens qui nous permettront de concrétiser ces projets ».
 
Le budget primitif a été adopté par 32 voix pour, 25 contre - Un Soffiu novu et Avanzemu - et la non-participation de Core in Fronte. 
 
N.M.